Gestion et prévention des comportements suicidaires en milieu scolaire — Dre Émilie Rivet : « Il importe d’oser, de poser des questions directes aux enfants »

La semaine dernière, un drame est survenu impliquant une jeune fille d’à peine 15 ans. Un drame de trop qui nous rappelle notre responsabilité commune ainsi que l’urgence d’encadrer et d’accompagner comme il se doit nos jeunes. Si le bullying, fléau grandissant notamment sur les réseaux sociaux figure parmi les potentielles causes de mal être chez un jeune individu, d’autres facteurs pèsent sur la balance. Émilie Rivet, docteure en Psychologie Clinique et Chief Operations Officer de Konekte/Action for Integral Human Development souhaite que nous puissions ensemble créer un environnement où chaque élève et chaque membre du personnel se sente en sécurité, protégé et soutenu. À savoir que demain sera lancé le manuel de postvention pour la gestion et la prévention des comportements suicidaires en milieu scolaire par Konekte.

- Publicité -

l Le bullying, un fléau qui prend trop d’ampleur dans les écoles mauriciennes. Peut-il mener au suicide dans certains cas ? 

Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel, influencé par une multitude de facteurs à risque : individuels, sociaux, scolaires, biologiques et familiaux. Ces facteurs interagissent et peuvent prédire des comportements suicidaires sur une période relativement longue (ex. : une année.). Un des facteurs à risque au niveau scolaire est être/avoir été victime d’intimidation scolaire/cyberharcèlement. Parmi les facteurs à risque les plus courants à l’adolescence, on retrouve un trouble de santé mentale (la dépression majeure, observée dans 80-90% des suicides complétés) ; une tentative de suicide antérieure et un plan suicidaire clairement défini

l Quel est le constat des comportements suicidaires en milieu scolaire à l’île Maurice ?

Au cours des dernières années, plusieurs établissements scolaires ont dû faire face à une hausse des comportements suicidaires (pensées/tentatives/mort par suicide) chez les élèves. Dans le cadre de l’un des projets de l’entreprise sociale Konekte : les services d’écoute en milieu scolaire, une analyse des problématiques énoncées par les élèves bénéficiaires de 2020 à 2024 (environ 800 chaque année) démontre qu’annuellement 55% des élèves en moyenne sont victimes d’une forme de violence (432/an).

Une moyenne annuelle de 57 situations d’élèves présente des comportements suicidaires sur 29 semaines, environ 2/semaine. Avant 2020, il y avait quelques rares cas par an.

Une augmentation de 11% de comportements suicidaires depuis 2020

Une nette augmentation des états dépressifs chez les élèves depuis 2020.

Depuis 2022, une augmentation de 40% des sollicitations de situations préoccupantes. 38 sollicitations depuis la rentrée scolaire 2025 alors que la moyenne annuelle est 43.

Il est important de noter que ces chiffres, représentant 7% des élèves dans 18 collèges, offrent une estimation localisée et limitée. Ces données ne peuvent être généralisées à l’ensemble des élèves du secondaire, qui compte environ 88 000 élèves répartis sur 153 collèges.

l Quel est l’impact des comportements suicidaires sur les élèves en milieu scolaire ?

En milieu scolaire, les conséquences du suicide peuvent être encore plus importantes avec un risque d’augmentation significative d’autres suicides ou de tentatives de suicide parmi les élèves. L’effet d’entraînement possible est un phénomène inquiétant. À la suite du décès par suicide d’un ou d’une élève, on estime que le risque augmente de trois fois les probabilités que survienne un autre suicide dans l’établissement scolaire que fréquentait cet élève, notamment dans les trois semaines suivant le décès.

Des recherches indiquent que 50% des adolescents exposés à un suicide présentent un risque de 2 à 4 fois plus élevé de se donner la mort et qu’entre 1-4% des suicides d’adolescents surviendraient dans un espace-temps limité. Ce risque peut perdurer jusqu’à 7 mois après la mort par suicide d’un pair, la prévalence des idées suicidaires avec plan de passage à l’acte augmente significativement chez les adolescents ayant été exposés.

Les adolescents sont aussi particulièrement susceptibles d’imiter le suicide d’un pair, en grande partie parce qu’ils s’identifient davantage aux comportements de leurs semblables, que ceux des adultes. Les adolescents à risque/vulnérables/fragiles peuvent avoir l’impression que la mort par suicide est une solution possible pour arrêter de souffrir. Cela amplifie leur vulnérabilité et augmente le risque d’adopter des comportements suicidaires.

l Comment faire pour adresser ce problème sur le plan scolaire ?

Sur le plan scolaire, la postvention est une approche essentielle dans le cadre de la gestion et prévention des comportements suicidaires en milieu scolaire, particulièrement après un suicide ou une tentative de suicide au sein d’un établissement. Elle consiste en une série d’interventions planifiées et coordonnées visant à apporter un soutien immédiat aux élèves et au personnel affectés, tout en réduisant les risques d’entraînement et en facilitant le processus de deuil.

La formation du personnel et de la direction est un élément clé de la stratégie de postvention. Sans une préparation adéquate, il est difficile d’appliquer des interventions rapides et efficaces. Autre élément essentiel est l’encadrement des professionnels en psychologie/de l’écoute pour soutenir le personnel et la direction ; et assurer le suivi des élèves/adultes à risque.

l Et sur le plan familial ?

Les parents jouent un rôle fondamental dans le soutien à leurs enfants, en particulier lorsqu’il s’agit de prévenir les comportements suicidaires. Quelques pistes qui peuvent aider dans ce sens notamment être attentif à l’adolescent au quotidien : prendre un moment chaque jour pour l’écouter ; demander régulièrement comment il.elle se sent ; observer son état général (humeur, alimentation, sommeil) ; observer les signes avant-coureurs de la dépression comme les signes psychologiques (tristesse prolongée, angoisses fréquentes, colère fréquente, etc.), les dignes comportementaux (troubles du sommeil, conduites agressives, fatigue intense, repli sur soi, etc.) et les signes cognitifs (troubles de concentration/d’attention, pensées suicidaires, etc.)

Si certains de ces signes sont présents, il importe d’oser, autant que possible, de poser des questions directes sur les pensées suicidaires, par exemple : «Parfois quand on souffre, on peut avoir des pensées de se faire du mal. Je suis là pour toi. On peut en parler ensemble» ou sur le risque suicidaire, par exemple : «Est-ce que tu souffres au point de vouloir se te faire mal?» Parler de suicide ne pousse pas l’adolescent à passer à l’acte. Au contraire, cela créer l’occasion à l’adolescent de pouvoir en parler ouvertement, de se confier et se sentir moins seul. Cela permet aussi de mieux cerner l’intensité de la souffrance de l’adolescent. Et si des pensées suicidaires sont évoquées, il est conseillé d’éloigner de lui les objets dangereux (couteaux, cutter, objets tranchants, etc.) et produits à risque (médicaments, pesticide, etc.), de rester à ses côtés, autant que possible et de rechercher de l’aide auprès d’un professionnel de santé rapidement. 

l Que propose Konekte pour agir contre les comportements suicidaires à l’adolescence ?

Le lancement du manuel de postvention pour la gestion et la prévention des comportements suicidaires en milieu scolaire par Konekte, prévu le lundi 3 mars, constitue un pas important dans la mise en place de stratégies de soutien et de prévention des suicides dans les établissements scolaires. Ce manuel a pour objectif d’accompagner les adultes travaillant dans ces institutions lors de situations graves où un élève présente des pensées suicidaires ou lorsque survient une tentative de suicide ou un décès par suicide.

Ce manuel se veut un guide pratique pour les membres du personnel afin qu’ils.elles puissent mieux comprendre comment gérer ces événements traumatiques, en étant accompagnés par une équipe formée et compétente. Le manuel est basé sur plusieurs recherches, évaluations, études et livres publiés sur divers thèmes dans le domaine de la psychologie, dont les comportements suicidaires à l’adolescence. Il est le fruit d’un travail d’équipe, de collaboration, de concertation avec : Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, consultante au sein de Konekte ; l’équipe thérapeutique ; les membres des équipes de postvention, les responsables d’établissements scolaires et une experte légale. 

Par ailleurs, la formation des équipes de postvention est un élément clé de ce dispositif. Des professionnelles en psychologie ont développé un parcours initial de formation de 60 heures (minimum), depuis juillet 2018, pour les membres du personnel et les professionnels de l’écoute/en psychologie sur la gestion et prévention des comportements suicidaires. Ce parcours inclut un accompagnement spécifique pour la mise en place des étapes à suivre en cas de suicide/tentative de suicide au sein de l’établissement scolaire. À partir de mai 2024, toutes les personnes formées, selon les établissements, sont officiellement désignées comme faisant partie d’une Équipe de Postvention (EPV) au sein de leur établissement. Un nouveau parcours de formation de six journées sera proposé en 2025 à partir du 10 mars. Pour plus d’information, téléphone : 460 2919, mail : info@konekte.mu.

l Conclusion ?

Mettre en place des actions concrètes pour soutenir les élèves et le personnel face aux événements traumatiques est une responsabilité qui incombe à tous les acteurs et autrices de la communauté scolaire. En garantissant que chaque établissement scolaire à l’île Maurice dispose des ressources nécessaires pour gérer ces situations, nous contribuons à renforcer la résilience de la société tout entière.

Je suis fière de ce que nous avons accompli ensemble et suis convaincue de l’impact de notre travail grâce à notre détermination, notre dévouement et engagement sans faille. Ensemble nous continuerons à œuvrer pour que toute personne en souffrance puisse trouver des sources d’aides appropriées en évitant, autant que possible, d’avoir recours à des comportements suicidaires. Notre souhait pour l’avenir est que tous les établissements scolaires à l’île Maurice aient des membres du personnel formés à la postvention, avec un manuel à l’appui pour la gestion de ces événements traumatiques. L’enjeu est de taille et il est de notre responsabilité d’œuvrer pour que l’environnement scolaire soit un lieu sécurisant, sûr et protecteur pour tous.

Propos recueillis par

Kovillina Durbarry

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -