Me Roshi Bhadain : « L’avenir, c’est le Reform Party »

C’est dans les bureaux flambant neufs de ses Chambers, aux Docks de Port-Louis, que le leader du Reform Party nous a reçus, jeudi dernier. Roshi Bhadain nous livre son analyse de la situation politique du pays, un peu plus de deux mois après les dernières élections générales. Il choisit ses exemples pour critiquer l’action du nouveau gouvernement en mettant le doigt sur les incohérences et décisions controversables qui ont suscité la polémique.

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 Revenons pour commencer cette interview aux troisièmes 60/0 de l’histoire politique de Maurice. Comment expliquez-vous ce vote massif en faveur de l’Alliance du Changement ?

— La population a surtout voté pour mettre Jugnauth dehors. Rappelez-vous du slogan BLD ! Avec ce qui s’est passé au cours des deux dernières semaines avant les élections, il était évident qu’on allait vers un 60/0. Je l’avais dit et répété en demandant à la population de voter aussi pour une opposition, mais elle voulait tellement le départ de Jugnauth qu’elle n’a rien voulu entendre et a offert des scores jamais vus aux candidats de l’Alliance du Changement.

Quelle est la principale leçon à tirer des dernières élections générales?

— Que quand les Mauriciens en ont marre d’un gouvernement, ils vont le botter hors du pouvoir, en votant plus avec émotion qu’en réfléchissant. Ce qui fait qu’on se retrouve avec seulement deux parlementaires de l’opposition au Parlement. Deux parlementaires qui, au départ, ne s’entendent pas entre eux. L’opposition extra parlementaire, n’en parlons pas. Face à ce vide politique, le Reform Party revient et se prépare pour les prochaines municipales.

En fin de compte, votre retrait annoncé de la politique avec la promesse que vous n’alliez pas critiquer tout de suite le nouveau gouvernement n’aura duré que quelques semaines. Encore une promesse politique, post-électorale cette fois-ci, non tenue !

— J’aurais bien aimé prendre un long congé politique, retourner vers ma famille, mettre de l’ordre dans les affaires de mon père décédé, emménager mes nouveaux Chambers. Mais après les élections, le bureau politique a décidé, à l’unanimité, que le Reform Party devait participer aux élections municipales et revenir sur le devant de la scène, surtout avec ce qui est en train de se passer avec le nouveau gouvernement.

 Justement, quelle est votre analyse de la performance du nouveau gouvernement, qui n’a pas encore cent jours d’existence ?

— L’Alliance du Changement avait fait naître des attentes immenses que le gouvernement n’a pas encore réalisées, ce qui provoque pas mal d’inquiétudes et d’insatisfactions. Surtout quand on regarde comment sont faites les nominations.

Le gouvernement affirme que les caisses de l’État sont vides, dilapidées par son prédécesseur. Ce dernier déclare qu’il a laissé le pays en bonne santé économique. Quelle est la bonne affirmation, selon vous ?

— Si on fait un chiffrage des mesures annoncées dans le discours-programme, on arrive facilement à plus de Rs 400 milliards. Si la situation est aussi mauvaise que le gouvernement l’affirme dans le State of the Economy, les mesures du discours-programme ne pourront pas être mises à exécution, d’autant plus que nous avons déjà une dette qui dépasse les Rs 500 milliards, sans compter l’argent nécessaire pour rouler le pays. Il y a une énorme contradiction entre la situation décrite dans le State of the Economy et les annonces du discours-programme. Où va-t-on tirer l’argent et les ressources humaines pour réaliser les promesses du discours-programme, et en combien de temps ? Par ailleurs et contrairement à ce qu’il affirme, le MSM a très mal géré l’économie du pays avec la dépréciation de la roupie, les abus des réserves de la BoM et de la MIC, les cas de gaspillages et de fraudes et les contrats donnés aux petits copains. Le MSM est très mal placé pour venir dire qu’il a géré correctement l’économie !
Le Reform Party n’est pas entré dans cette vente aux enchères qu’ont été les promesses électorales aux dernières élections, peut-être à notre détriment. Nous voulions être crédibles, francs et honnêtes, et je pense que dans le moyen et le long termes, les Mauriciens réaliseront que nous avions raison.

Les deux principales alliances avaient misé sur la location de Diégo Garcia aux Américains par l’entremise des Anglais, pour financer le budget de l’État mauricien. Quelle est votre opinion sur cette question de location ?

— J’ai l’impression que Navin Ramgoolam voulait avoir la paternité du much better deal sur Diégo Garcia, mais on pourrait terminer sur un zero deal. Surtout avec la manière dont ce dossier est géré. Alors que Maurice est en train de négocier avec les États-Unis de Trump, le ministre mauricien de l’Éducation entame des discussions avec l’ambassadeur de l’Iran, l’un des principaux ennemis déclarés des États-Unis et de la Grande-Bretagne ! C’est dans la presse internationale et c’est un fait qui a été mis en avant par les opposants à l’accord sur les Chagos ! Quelle était la nécessité de faire cette rencontre, alors que nous sommes en train de négocier avec les Américains ? Il y dans la gestion de tout cela une incohérence que je n’arrive pas à comprendre. On me dit qu’il faut donner au gouvernement le temps de s’installer, mais est-ce que, par exemple, sur le dossier des Chagos, on a le temps de donner le temps au temps ? Le deal Chagos est important pour Maurice dans le contexte économique actuel.

Vous avez mentionné comme source de mécontentement les récentes nominations. Qu’avez-vous à dire sur ce sujet ?

— Je ne vais pas entrer dans les détails, mais nommer l’auteur de la fameuse phrase « il faut penser en dehors du boîte » à la tête de AML et l’aéroport ! Les Mauriciens commencent à se demander « eski pa mem divin ki fer nou boire dans enn nouvo boutey ? » Ce qui est totalement en contradiction avec ce que Shakeel Mohamed avait dit publiquement : « pas pou protez kamarad parti au pouvoir, mais pou promouvoir la méritocratie et la transparence », et il a même ajouté qu’il ne ferait pas partie d’un gouvernement qui pratiquerait une telle politique. La nomination dont nous venons de parler le met en porte-à-faux avec le discours qu’il avait tenu avant les élections. Avec d’autres, il nous avait dit et répété qu’il fallait « put the right men at the right place », mais on dirait que même s’il fait partie du front bench du gouvernement, son discours n’est pas écouté. Et puisque nous en parlons, ce front bench a un autre gros problème.

Lequel ?

— J’ai fait une addition de l’âge des quatre membres du front bench du nouveau gouvernement et je suis arrivé à un total de 290 ans…

 …on pourrait vous rétorquer : 290 ans d’expérience…

— …on pourrait aussi dire 290 d’expérience et d’énergie déjà utilisées, ce qui fait qu’il n’en reste pas beaucoup pour faire des choses. L’average age du front bench est de 72 ans et la voix du plus jeune n’est pas écoutée.

 

Qu’est-ce que vous avez contre les vieux qui, je vous le rappelle, ont été plébiscités par l’électorat pour les postes qu’ils occupent au gouvernement !?

— Je ne dirais pas que les électeurs ont choisi Ramgoolam, Bérenger, Duval ou Subron : ils ont voté pour faire partir Jugnauth et ses alliés. Voter contre, ce n’est pas du tout la même chose que voter pour. Il ne faut pas oublier que plus de 20% de l’électorat ont voté pour Jugnauth and Co, ce qui fait 1 électeur sur 4. Je n’ai rien contre les vieux, je ne fais que faire des constats. Pour moi, le nouveau gouvernement est devenu très vite un établissement d’hébergement pour les vieux copains et les vieilles copines qui étaient à la retraite. Quand je vois les nominations, c’est presque un old boys and girls club, une fraternité. C’est comme une équipe de football qui reprend tous ses vétérans à la retraite pour aller jouer un match en finale ! Toutes proportions gardées, c’est une forme de gérontocratie, un gouvernement de vieux, une forme d’oppression des vieux sur les jeunes. Par rapport à tout ce que je viens de dire, je pose la question suivante : est-ce que tous ces jeunes qui voulaient quitter le pays et s’établir ailleurs, ayant voté pour le changement, se retrouvent dans ce gouvernement ?

 

On annonce qu’Iqbal Rajahballee est pressenti pour occuper le poste de CEO de la Financial Service Commission. Vous n’allez pas me dire que dans ce cas, ce n’est pas « the right man at the right place » !?

— Iqbal Rajahballee est un très bon professionnel, mais il faut rappeler qu’il a occupé le même poste il y a 22 ans. Entre-temps, le monde a évolué et beaucoup de choses ont changé. Le fait que l’on fasse appel à la même personne pour le même poste, 22 ans après, démontre clairement à quel point on a « progressé » dans ce secteur, au risque de décourager les jeunes professionnels. Le monde va vite, il évolue, il n’est pas statique. Si on continue à tergiverser comme une nation, si les décisions ne sont pas prises, on reculera nécessairement.

Après les critiques, essayons d’être un peu plus positifs. Qu’est-ce que ce gouvernement peut et doit faire pour le bénéfice du pays et de ses habitants ?

— Je suis un patriote. Je veux que mon pays réussisse, que le deal sur les Chagos se fasse. Il faut utiliser les 60/0 et la carte blanche donnée par les électeurs pour aller vers l’avenir et travailler pour le pays. Je pense que si le gouvernement réussit à faire ce qu’il a promis sur les changements constitutionnels annoncés dans le discours-programme, ce sera un très grand pas en avant. La première chose, c’est la réforme électorale en supprimant son côté communaliste avec l’instauration d’une dose de proportionnelle. Ensuite, le right to recall qui donne le droit aux électeurs de faire une pétition contre les députés qui ne font pas leur travail, ont fauté ou fané. Il y a, ensuite, le financement des partis politiques, l’amélioration des droits fondamentaux et des libertés individuelles, et les lois sur la protection de l’environnement et de la nature. Dans le discours-programme, il est dit que le gouvernement fera les changements constitutionnels en six mois. S’il le fait, je dirais bravo parce que ce gouvernement réussira à faire ce qu’on n’a pas pu faire au cours des 50 dernières années. Mais…

Ah ! j’attendais ce mais…

— …mais il faut s’attendre à des obstacles et des résistances à la réalisation de ces amendements, par exemple, sur l’abolition du Best Loser System. C’est à ce moment qu’on saura qui est qui au sein du gouvernement de l’Alliance du Changement et si les actions vont de pair avec les discours sur la démocratie. Mais toutes les autres mesures du discours-programme, toutes les lois et les institutions qui remplaceront les anciennes ou les amender, plus particulièrement celles qui sont obsolètes, devront être faites par le bureau de l’Attorney General. Est-ce qu’il dispose de suffisamment de ressources humaines pour drafter tous ces nouveaux textes de loi, en bonne et due forme, pour qu’ils ne soient pas contestés en Cour ? Est-ce que le gouvernement est prêt à faire siéger le Parlement deux fois par semaine, comme le Reform Party l’avait demandé, afin de débattre et d’adopter les nouvelles lois ? Cela demande beaucoup d’énergie des ministres et des parlementaires de faire ce qu’il faut dans les ministères, dans leurs circonscriptions et au Parlement. Cela demandera beaucoup d’énergie aux fonctionnaires, mais est-ce que les syndicats ne commenceront pas à crier, alors qu’on commence à entendre chuchoter que le gouvernement n’aime pas beaucoup les fonctionnaires, en raison du fait qu’il a rappelé des fonctionnaires à la retraite ?

Est-ce que vous redoutez que nous nous retrouvions dans la même situation au Parlement que pendant la précédente législature avec des députés de la majorité taper la table qui se comportaient comme des rubber stamp du gouvernement, en votant systématiquement les lois et amendements proposés ?

— Et comment ! D’autant plus que nous allons nous retrouver avec un Parlement composé seulement de membres de la majorité gouvernementale en dehors de deux représentants de l’opposition qui, je le souligne une fois encore, ne s’entendent pas entre eux. C’est le revers des 60/0 et c’est pourquoi le Reform Party est en faveur de l’amendement de la loi électorale qui lui apportera une dose de proportionnelle, ce qui apportera une balance au Parlement et une meilleure prise en compte des choix des électeurs.

Que pensez-vous de l’affaire Franco Quirin, l’un de vos heureux adversaires dans la circonscription numéro 20 ?

— J’ai lu son interview dimanche dernier et j’ai lu dans la presse de cette semaine qu’on lui avait demandé de ne pas assister à la réunion du groupe parlementaire de la majorité. Le MMM ne veut plus de lui, le PTr, non plus. Moi, dans le passé, dans des circonstances similaires, j’ai démissionné du Parlement et rendu son ticket au MSM.

Vous êtes en train d’inviter Franco Quirin à suivre votre exemple ?

— Cela dépend de ses principes, de ses valeurs, de sa dignité et de son honneur. En tout cas, pour moi, puisque je ne m’entendais plus avec le MSM de Pravind Jugnauth, il fallait que je démissionne et que je lui rende son ticket. Par ailleurs, il faut que les électeurs du numéro 20, et les autres arrêtent de voter avec la nostalgie du passé et pensent à l’avenir.

Et, évidemment, cet avenir c’est vous et le Reform Party !

— Oui l’avenir, c’est le Reform Party qui ne veut pas que l’on change de candidat ou de parti, mais qui veut changer le système. C’est pour cette raison que nous allons présenter des candidats aux prochaines élections municipales, si l’on veut éviter un 120 zéro de l’Alliance du Changement face à ce qui reste de l’ancienne Alliance Lepep, entre autres. Oui, l’avenir c’est le Reform Party parce que nous n’existons que depuis 8 ans, que nous sommes en train de progresser, et que le parti grandit. Va arriver un moment où les Mauriciens devront se poser les questions fondamentales suivantes : Qu’est-ce qu’ils veulent pour l’avenir de leurs enfants ? Continuer à voter pour les partis traditionnels qui refont toujours la même chose, ou voter pour un parti nouveau, jeune, avec de nouvelles idées pour changer un système qui existe depuis 50 ans et qui est à bout de souffle ? Est-ce qu’il n’est pas temps d’arrêter d’avoir une mentalité d’assistés et de donner une chance à notre pays de savoir ce qu’il vaut et ce qu’il veut faire ? Nous allons nous présenter aux municipales pour, d’une certaine façon, donner l’occasion aux Mauriciens de corriger les 60/0 de la dernière fois.

l Corriger les derniers 60/0 ?
— Aux dernières élections, la population a donné la majorité absolue à l’Alliance du Changement et 80 jours après, on est obligé de constater que le changement promis n’est toujours pas mis en pratique et qu’il y a plus de confusion dans l’action gouvernementale qu’autre chose. Qu’est-ce que nous demandons aux électeurs des villes : d’élire ses candidats, afin que le Reform Party puisse constituer une opposition démocratique, qui n’existe malheureusement pas au niveau national, au niveau des villes. Nous voulons que la démocratie soit gagnante dans les municipales avec un contre-pouvoir et des élus qui empêcheront les abus, la dilapidation des fonds ou la nomination des old boys en le dénonçant comme je l’ai fait dans cette interview.

Revenons en arrière. Pourquoi est-ce que le Reform Party a contracté une alliance avec Nando Bodha, Rama Valayden et compagnie aux dernières élections ?

— Nous avons contracté cette alliance électorale parce que nous n’avons pu avoir, pour diverses raisons, 60 candidats valables et avec des défections. C’est dans ce contexte que nous avons fait cette alliance ; plus en fonction des difficultés et des circonstances et pour ne pas diviser les votes.

Est-ce que depuis ces élections, votre ambition, votre rêve – certains disent votre obsession – de devenir Premier ministre de Maurice sont toujours présents ?

— Ce n’est ni une ambition ni un rêve, comme vous le dites. Ce n’est pas une ambition démesurée pour la gloire ou le pouvoir. C’est l’opportunité de servir son pays, de prendre les décisions importantes et courageuses pour son présent et son avenir. Je pense qu’il faut vraiment tout faire pour changer le système. Si pour y parvenir, j’ai besoin de me présenter comme Premier ministre au nom du Reform Party, je le ferai. C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs, au cours de la dernière campagne.

Vous n’avez pas encore compris que votre demande a été rejetée par les électeurs ?

— Non, je ne le crois pas. Je pense que la priorité des électeurs pour les dernières élections était de mettre Jugnauth dehors ! Il faut bien faire comprendre que je suis assoiffé de rien et que je sais prendre mes responsabilités en quittant le pouvoir et ses avantages, et je l’ai fait. Aujourd’hui, tout le monde parle de Kobita Jugnauth et la kwizinn en oubliant que j’ai été le premier à en parler, en 2017, à expliquer et à dénoncer son fonctionnement. Ce qui m’a valu des commissions d’enquête bidon, des arrestations, des enquêtes de la MRA et des menaces sur ma famille. C’est le prix à payer quand vous restez ancré sur vos principes et vos valeurs.Quels sont vos commentaires sur le retour de Dawood Rawat et ses commentaires parlant d’un complot contre la BAI par le gouvernement de 2014/2015 dont vous faisiez partie ?

— J’ai dit à maintes reprises que c’est Vishnu Lutchmeenaraidoo qui, en tant que ministre des Finances, a pris le décision, avec la Banque Centrale, d’annuler la licence de la Bramer Bank qui a fait chuter la BAI, qui détenait 75% des actions de cette banque. Quand cette licence a été retirée, l’assurance BAI a perdu Rs 3 milliards, ce qui a provoqué sa chute. Il faut bien comprendre que ce n’est pas moi qui ai pris cette décision, mais que j’ai été désigné par le conseil des ministres pour aller expliquer cette décision au nom du gouvernement à la télévision. Je ne vais pas entrer dans les détails de cette affaire, sauf pour dire que les pratiques qu’on reprochait à la BAI étaient aussi en cours ailleurs, dans d’autres groupes.

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