Le 14e MOI ! Oui, moi, sans S, pour mieux démontrer le nombrilisme dont l’homme peut faire preuve sans tenir compte de ce que celui d’à côté essuie comme catastrophe. Depuis les surenchères populistes de la campagne électorale et du lendemain de la proclamation des résultats des élections générales, la frénésie nationale s’articulait autour d’une seule et unique préoccupation : kan pou pey sa 14e mwa-la ? Et cela même si, au plus profond de chacun des bénéficiaires potentiels, un petit doute aurait pu subsister quant à la capacity to pay de l’économie mauricienne en général, et pas seulement celle des opérateurs économiques.
Le scénario probable du Diego Rent Book, brandi par le gouvernement sortant et découlant du Draft Political Agreement entre Londres et Port-Louis, laissant entrevoir la transformation de la République de Maurice en une nation de rentiers, s’est estompé. L’opposition au Chagos Deal, de plus en plus bruyante au Royaume-Uni, contraste avec le lourd silence planant jusqu’ici à Port-Louis autour de l’Independent Review réclamée par le nouveau gouvernement de Navin Ramgoolam. Un nouveau Diego Statement est annoncé pour demain. Cela n’a pas été de bon augure pour le porte-monnaie de l’État.
En complément, les conclusions du State of the Economy, présenté par le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, au Parlement mardi dernier, sont venues ajouter une nouvelle couche de catastrophisme à la conjoncture socio-économique. Mais la question du 14e MOI s’est avérée être aussi têtue qu’un âne.
Finalement, est venue la Balancing Act du cap du montant. Avec le démarrage, ce vendredi 13, de la campagne de l’exclusion de ce 14e MOI, une nouvelle page de tourmente s’est ouverte. La question demeure : la nécessité d’honorer cette promesse (électorale) ? Qui a tort, et qui a raison ? Le débat peut s’éterniser, alors que les plus cyniques pourront oser dire que cela durera le temps de Mme Consommation, que ce soit pour l’achat de produits de première nécessité ou pour se permettre une extravagance.
Mais au même moment, aussi loin de Maurice géographiquement qu’aussi près émotionnellement, l’intense cyclone tropical Chido, avec ses rafales de l’ordre de 250 km/h, a causé des ravages meurtriers entre Agalega et Mayotte. Il a mis à nu la vulnérabilité extrême de cette région du bassin sud-ouest de l’océan Indien face à la puissance déchaînée de la nature. Les habitants d’Agalega semblaient avoir oublié qu’il y a près de 40 ans, le cyclone dévastateur Andry avait frappé, causant une victime et 349 sans-abri, soit littéralement toute la population de l’archipel.
Depuis jeudi matin, Agalega constate avec ahurissement les dégâts de ce koudvan, comme on le disait si bien dans le temps, et panse ses profondes cicatrices, dans un élan de solidarité. Un peu plus loin, et quelques jours après, Mayotte essuyait de plein fouet ces mêmes rafales, qui avaient balayé Agalega de 22h à 23h30 dans la nuit de mercredi à jeudi. Les images en direct du passage de Chido à Mayotte donnent froid dans le dos. Le bilan en termes de pertes humaines et de dégâts matériels est encore plus alarmant.
Le message transmis par la présence de Chido dans l’océan Indien ne mérite-t-il pas d’être interprété comme la nécessité de reléguer au second plan ce caprice du 14e MOI au profit d’un aspect plus dramatique, mais fondamental : le changement climatique ? Oui. Le changement n’est pas seulement politique. Le temps a changé.
Qui n’aura pas remarqué que, depuis sa formation à l’Est des îles de l’océan Indien en début de semaine dernière, Chido a suivi une trajectoire littéralement en ligne droite vers l’Ouest, sans changement de direction et presque à la même vitesse, pour aller finir sa course meurtrière sur les côtes de l’Afrique orientale ? Jusqu’ici, les cyclones dans la région avaient tendance à errer avant de se dissiper dans des eaux plus froides du Sud de l’océan Indien.
Un petit détail submergé par le poids des préoccupations conjoncturelles, au point où la détresse des habitants d’Agalega, causée par le passage de Chido comme un voleur dans la nuit, aurait pu être facilement marginalisée par ce 14e MOI. Cependant, un sursaut de solidarité se manifeste à l’égard des Agaléens, enfants de la République de Maurice, souvent livrés à eux-mêmes au cœur de cet océan Indien tant convoité par des riverains-ersatz ou par proxy.
L’épisode dramatique de Chido doit permettre de transcender ce nombrilisme, cette attitude narcissique, qui rend aveugle et insensible à la bigger picture, pas la Big Data de Pulse Analytics, que le changement climatique nécessite une mobilisation sans faille des ressources personnelles, nationales et planétaires.
Surtout que, même si le destin des îles est de chanter, comme le disait le poète Régis Fanchette, ces mêmes cailloux de l’océan Indien partagent une vulnérabilité sans commune mesure face aux dangers et aux catastrophes naturelles.
Débarrassons-nous de ce 14e MOI pour mieux appréhender demain… même s’il n’est à personne.
Même Mother Nature.
Patrick Michel