Nous aimer à nouveau

C’est une formidable leçon qu’a donnée la population mauricienne lors du scrutin législatif du 10 novembre 2024. Certes, dans l’absolu, un 60-0 n’est pas forcément bon pour une démocratie, car cela implique un fonctionnement parlementaire où 2 députés correctifs auront du mal à constituer une véritable opposition. Mais ce score sans appel est significatif d’une volonté populaire de dire un immense NON !
Il y a avait un choix fort à faire dans cette élection. Un choix entre démocratie et fric. Et l’issue, quoi qu’on en dise aujourd’hui, n’en était pas assurée. Mais face à Pravind Jugnauth et à son gouvernement qui n’ont eu de cesse, au cours de ces 5 dernières années, d’asseoir une dictature à bas bruit, l’électorat mauricien s’est très largement mobilisé en choisissant, lui aussi, de faire les choses presque silencieusement. Et l’on peut relever la maturité dont a fait preuve cette population.
Dans les semaines et jours qui ont précédé le scrutin, on aurait pu craindre des soulèvements violents. Les écoutes téléphoniques diffusées par le toujours mystérieux Missié Moustass donnaient, en effet, à entendre, dans la bouche du Commissaire de Police et de l’épouse du Premier ministre, entre autres, des propos qui ne tenaient pas seulement du racisme le plus crasse, mais qui montraient clairement comment des sections de la population, en particulier les Créoles, étaient sciemment privées du droit à l’égalité et à la justice. Voire, à la vie, même.
Mais la population mauricienne est restée calme jusqu’au scrutin. Et en nombre, elle est allée tranquillement voter. En virant la totalité du gouvernement sortant, et donnant une victoire sans appel à l’Alliance du Changement. Si Pravind Jugnauth avait remporté les élections de 2019 avec seulement 37% des voix, l’alliance PTr-MMM-ND-ReA a remporté celles de 2024 avec près de 63% des voix, contre 27% au MSM-PMSD.
Leçon : ne jamais sous-estimer la capacité d’absorption et la capacité de rejet d’une population. Car manifestement, le gouvernement MSM estimait qu’il pouvait tout se permettre, après avoir fait passer ses abus du temps du Covid, sa gestion calamiteuse de la marée noire du Wakashio, ses actes évidents de népotisme, de corruption, de siphonage des biens de l’État, de vendettas politiques, de plantage de drogue, de menées policières, de subordination du judiciaire. Le gouvernement MSM croyait qu’il pouvait tout se permettre parce qu’il avait pris le contrôle et gangréné toutes nos institutions démocratiques. Parce qu’il avait instauré un redoutable système de victimisation, de blacklisting, d’asphyxie et de punition pour celles et ceux qui osaient encore s’opposer à lui. Le gouvernement MSM croyait qu’il pouvait tout se permettre parce qu’il pensait que l’argent permet tout. Or, la population mauricienne lui a montré, lors du scrutin du 10 novembre 2024, que non, l’argent n’achète pas tout. Et cela est immensément rassurant.
Certes, on peut d’interroger sur ce qu’aurait été le résultat de ces élections s’il n’y avait pas eu Missié Moustass. À celui-là, l’Alliance du Changement et la population mauricienne dans son ensemble doivent une fière chandelle. Car il a provoqué un électrochoc d’envergure en donnant à entendre, clairement, ce que tant de personnes soupçonnaient, ou refusaient carrément d’acknowledge. À savoir la façon crûment anti-démocratique, arbitraire, raciste, castéiste et liberticide dont le pays a été mené ces cinq dernières années. La presse le disait. Des opposants au régime le disaient, et nous devons aussi une fière chandelle à toutes ces femmes et tous ces hommes qui, malgré tout, nous ont alerté, se sont battus, souvent dans une grande indifférence. Et l’on peut comprendre l’amertume de Rama Valayden face au peu de votes obtenus, lui qui a sacrifié sa santé à nous alerter ces dernières années, lui qui a fait l’objet de toutes les mesures de rétorsion de ce pouvoir, lui sans qui des affaires comme l’affaire Kistnen auraient été mises sous chape de plomb et évacuées de la conscience publique. Mais il était face à une vague, et les choix de ralliement de dernière heure à Linion Reform de Roshi Bhadain l’ont, sans doute, desservi.
Avec les écoutes téléphoniques mises en ligne par Missié Moustass, il n’était plus possible de dire : nous n’étions pas au courant que c’était à ce point. Et la population a manifestement réagi à ce qu’elle a entendu avec choc et dégoût, ces dernières semaines.
De fait, il est significatif de voir comment, le jour du scrutin et le jour de la proclamation des résultats, hommes, femmes et enfants ont déferlé dans les rues en arborant et en faisant flotter les couleurs de l’alliance victorieuse, certes, mais aussi, davantage, le drapeau mauricien. Ce qui irait dans le sens de montrer clairement qu’au-delà d’un vote de sanction du gouvernement sortant et d’un vote d’adhésion à l’Alliance du Changement, les Mauriciens-nes ont voulu signifier un vote de défense et de promotion de leur pays.
Mais ne soyons pas candides pour autant : le communalisme a des ramifications très profondes à Maurice, et des expressions fortes de ralliement national – comme celles manifestées pour les Jeux des Iles ou pour la manif Wakashio – n’empêchent pas que, par la suite, ce système divisif reprenne ses droits et son emprise. Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour que notre mauricianisme ou mauricianité soit une chose qui s’exprime et se vive totalement au quotidien, et non pas comme un mécanisme de réaction.
À ce titre, on peut aussi se réjouir de la place occupée par les jeunes dans cette élection. Pravind Jugnauth se mordra, sans doute, encore longtemps les doigts de sa décision le 1er novembre 2024 de fermer l’accès aux réseaux sociaux, alors qu’aucune menace à l’ordre public ne le justifiait. Mesure anti-démocratique par excellence aux yeux du monde entier, celle-ci a achevé de faire l’ensemble de la population mauricienne se sentir concernée, agressée, menacée. Les jeunes, en premier lieu. Mais il est aussi significatif de noter que l’important mouvement des jeunes vers les urnes avait déjà commencé à se préfigurer pendant la campagne électorale. Et il est stimulant de voir à quel point une jeunesse que certains ont trop souvent dit amorphe et inintéressée a travaillé, au cours de cette campagne, dans les rangs du MMM, notamment.
Autre point saillant : l’entrée au gouvernement de Rezistans ek Alternativ. Elle est spectaculaire l’ascension de cette formation hier encore considérée comme marginale, mais qui n’a cessé, ces dernières années, de faire entendre une voix claire, construite, cohérente, argumentée, solide, sur nombre d’enjeux nationaux et internationaux. Une voix de gauche, progressiste, écologiste, féministe, résolument anti-néolibéralisme, anti-communalisme. Si certain-es ont pu se montrer sceptiques, voire carrément antagonistes au ralliement de cette formation à l’alliance des « dinosaures » PTr-MMM, Ashok Subron et son équipe viennent, en tout cas, de réaliser une performance inédite en plaçant ces perspectives au sein d’un gouvernement. Comme ce que certain-es considèrent comme un retour de la classe des travailleurs au gouvernement. Et il sera crucial de voir dans quelle mesure celle-ci se fera digérer ou se fera pleinement sa place.
Aujourd’hui, il nous reste encore à nous demander comment nous avons pu arriver aux extrémités auxquelles nous a menés le gouvernement MSM. Et comment faire pour ne plus jamais en arriver là ? Comment déconstruire tout le mal qui a été fait à la société et à la psyché mauricienne ? Celle qui a quand même permis que des hommes et des femmes assoiffé-es d’un pouvoir inique et dangereux arrivent à exercer ce pouvoir pendant des années, avec la duplicité, voire la complicité, d’un certain nombre d’entre nous. Il nous reste à construire sur la capacité retrouvée à nous aimer. Car oui, nous sommes tant à avoir détesté, à avoir eu honte de ce que Maurice était devenue, ces dernières années, à nos propres yeux, aux yeux du reste du monde. Un petit État autocratique, corrompu, vautré dans la surpuissance malsaine de l’argent, dans la destruction aveugle de ses rares ressources humaines et naturelles.
Et on le voit si fort dans les manifestations qui ont suivi ces résultats électoraux : nous sommes si heureux de nous retrouver, en toute liberté, en nous trouvant beaux, et forts, et capables, et entreprenants à nouveau, après des années de mise sous coupe.
Il y a beaucoup à faire pour rebâtir la confiance dans nos institutions, érodée au point de voir, un soir d’élections, des multitudes de personnes se précipiter aux abords des centres de dépouillement, allant jusqu’à fouiller la police elle-même, parce que craignant de se voir voler les résultats de son vote.
Il y a beaucoup à faire pour construire un système qui nous permettrait d’échapper à l’ultra-verticalité du pouvoir qui a permis de tel abus.
NOUS avons beaucoup à faire, individuellement et collectivement…

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SHENAZ PATEL
Face à la dictature à bas bruit instaurée depuis 5 ans par le gouvernement MSM, la population mauricienne a fait entendre un NON massif et retentissant dans les urnes. Passée l’euphorie de la « libération », le chantier est vaste et exigeant pour reconstruire ce qui a été durement atteint. Pour déconstruire la verticalité du pouvoir qui a permis ces abus. Et pour faire face aux défis cruciaux qui sont déjà là…

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