Jeunesse : Le harcèlement scolaire existe aussi à l’école maternelle

Même s’il semble moins fréquent que chez les grands, ce rapport de domination peut se mettre en place chez les tout-petits. Avec des conséquences pour la scolarité des victimes, leur rapport aux autres et leur sociabilisation. Week-End vous partage cette semaine un article publié sur le site d’information Slate.fr, traitant d’un sujet encore méconnu : le harcèlement scolaire à l’école maternelle. Si l’article traite essentiellement du cas français, la question se pose aussi ailleurs, notamment à Maurice.

Aller à l’école la boule au ventre, ça arrive même aux tout-petits. À 5 ans, Nolan (*prénom changé) pleurait chaque matin avant de rejoindre ses copains de moyenne section. Ses parents ont découvert, stupéfaits, qu’il y subissait chaque jour les moqueries répétées de deux de ses camarades. Pour l’équipe enseignante de la petite école dans laquelle il était scolarisé, la gestion de cette situation a été une première. Mais des cas comme celui de Nolan sont, pourtant, de moins en moins rares.

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« On a de plus en plus de retours de directeurs et d’enseignants d’écoles maternelles qui mentionnent des situations de harcèlement », confirme Catherine Verdier, psychologue pour enfants et fondatrice de l’association Amazing Kids, qui lutte contre le harcèlement scolaire. Les faits recensés en France sont en augmentation partout et les classes de maternelle n’y échappent pas.

« Le harcèlement ne commence pas au collège »

Selon l’association e-enfance, qui lutte contre le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire, « le harcèlement est défini comme étant une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique ». Des moqueries quotidiennes à l’école, même à 5 ans, rentrent donc dans cette définition. « Le harcèlement a toujours existé à tous les âges, confirme Samuel Comblez, directeur général adjoint de l’association e-enfance, directeur du 3018 (numéro de protection des mineurs sur internet) et psychologue clinicien. On pourrait se dire que ça n’existe pas chez les tout-petits, mais si, on peut bien parler de harcèlement, même chez les enfants de maternelle. »

Catherine Verdier préfère parler de « situations de harcèlement ». « À partir de 6-7 ans, on peut relever de l’intentionnalité dans le comportement des enfants “harceleurs”. C’est cette intentionnalité, cette volonté de faire mal à l’autre, qui différencie les conflits – pouvant survenir pour des jalousies ou des situations de frustration chez les enfants – du harcèlement. Chez les tout-petits, est-ce qu’il y a intentionnalité ? Je ne crois pas, en tout cas, c’est difficile à montrer. » S’il n’existe pas de chiffres ou d’études sur le harcèlement scolaire en maternelle, une enquête de 2023 du ministère de l’Éducation nationale a montré que 5% des élèves de primaire, du CE2 au CM2, sont victimes de harcèlement. 19% de ces enfants sont concernés par « des situations dites à surveiller ». « Cela signifie que beaucoup d’élèves de primaire ne sont pas épanouis et sont malmenés par les autres à l’école. Cette enquête a montré que le harcèlement scolaire ne commence pas au collège, mais dès les classes de primaire, et sans aucun doute, même avant », poursuit Samuel Comblez.

Ce mal-être à l’école peut avoir des conséquences sur la scolarité de la victime, son rapport aux autres et sa sociabilisation. « Les enfants victimes de harcèlement ne sont pas dans de bonnes conditions pour apprendre. Ils ont des problèmes d’attention et de concentration, développent des peurs et des angoisses, notamment liées à la relation aux autres et au groupe, explique Samuel Comblez. L’enfance est un moment important mais fragile où l’on construit son estime de soi. Les microviolences quotidiennes affaiblissent la confiance en soi. »

Les enseignants de maternelle exclus

Pour éviter d’en arriver là, il faut donc que les enseignants de maternelle puissent identifier les situations de harcèlement, afin de les stopper. Pourtant, ils ne sont pas formés à gérer le harcèlement scolaire, contrairement à leurs collègues qui enseignent en classes élémentaires ou au collège et lycée, pour qui le suivi du programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe), mis en place en 2021, est obligatoire.

« Dans le programme pHARe, il n’y a pas de protocole pour les enfants de maternelle, ce qui pose question, car ça laisse penser que le ministère considère qu’il n’y a pas de harcèlement chez les tout-petits », estime Samuel Comblez. Il plaide pour la sensibilisation et la formation de l’ensemble des membres des équipes pédagogiques des écoles afin de leur donner des outils pour agir lorsqu’une situation de harcèlement potentielle est décelée. Pour la psychologue Catherine Verdier, « travailler sur le programme pHARe, c’est bien, mais il manque le volet prévention, qui se fait dès les plus jeune âge, dès que les enfants rentrent à l’école. Le but des classes de maternelle, c’est l’apprentissage du vivre-ensemble. »

Travailler sur l’empathie et les émotions

Les enseignants doivent, donc, trouver des moyens pour intervenir au bon moment et stopper les comportements abusifs. Une des pistes pour les professeurs des écoles est de travailler dès la petite section sur l’empathie et sur l’apprentissage du vocabulaire des émotions, et ainsi permettre aux enfants de verbaliser leur ressenti.

« C’est ce qu’on travaille dans nos classes avec nos élèves », confirme Maryse Chrétien, présidente de l’Association générale des enseignants des écoles maternelles publiques (AGEEM), qui ne regrette pas que les professeurs des écoles ne soient pas concernés par la formation au harcèlement scolaire. « Le programme pHARe a le mérite d’exister, mais j’ai vu beaucoup de collègues formés à ce programme qui finalement ne restent pas. Avant toute chose, il faut comprendre comment fonctionnent les enfants. »

Depuis 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal dans la loi française. L’AGEEM propose, donc, régulièrement ses propres webinaires sur la question, pour former ses adhérents enseignants, sur la base de travaux de chercheurs sur le développement de l’enfant et ses compétences psychosociales. « En tant qu’association, on travaille à mettre en place des expérimentations et des actions concrètes dans les classes pour éviter des situations difficiles entre élèves. Je pense que notre rôle est d’accompagner les enfants, qu’ils soient victimes ou harceleurs, d’informer les parents sans les culpabiliser, et d’expliquer, de mettre en mots ce qui se passe. Le harcèlement scolaire est l’affaire de tous », poursuit Maryse Chrétien.

On ne reste pas harceleur ni victime à vie

Même si le harcèlement scolaire chez les tout-petits peut sembler inquiétant, « ce n’est pas parce qu’un enfant est victime de harcèlement en grande section qu’il en sera victime toute sa vie. Un enfant peut se reconstruire », tient à rassurer Catherine Verdier. De même, un enfant harceleur en maternelle ne le sera pas forcément ensuite, si on lui explique que son comportement n’est pas acceptable en société et si on lui apprend l’empathie et l’estime de soi.

« Sanctionner un enfant sans explication pourra entraîner de la récidive, mais si on pose un cadre, en lui expliquant que ce qu’il a fait sur la durée a fait du mal à l’autre, et en lui demandant de se mettre à la place de la victime, ça peut lui faire comprendre que ce qu’il a fait est mal. Canaliser sa violence, ça s’apprend », ajoute Samuel Comblez. Depuis 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal dans la loi française. Les peines prévues pour les élèves harceleurs peuvent aller de 3 ans d’emprisonnement et 45,000 euros d’amende à 10 ans d’emprisonnement et 150,000 euros d’amende, lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.

 

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