Être français ?

HUBERT JOLY
Président du Conseil international de la langue française,
Paris – juillet 2024

Président du Conseil international de la langue française à Paris

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Pour mes étrennes, une de mes petites filles qui savait ce qu’elle faisait, la coquine, m’a offert un petit livre intitulé « Être français », d’un jeune écrivain d’origine syrienne Omar Youssef Souleimane (1). J’ajoute que le bandeau qui accompagne le livre porte la mention « Voilà la France que j’aime » avec une photo de l’auteur.

Pour moi, qui suis Français, peut-être depuis Clovis, lorsque j’ai cessé d’être Franc ripuaire, c’est-à-dire entre la Meuse et le Rhin, vers le cinquième siècle, qui suis Français pour avoir sucé le lait de ma mère, possédé des pères, grands-pères et ancêtres qui ont combattu à presque toutes les guerres, qui ai gratté la terre de Lorraine, mon jus soli à moi, que mes maitres ont élevé dans l’amour de la France, je n’ai jamais eu à me préoccuper de savoir pourquoi j’étais devenu Français, même si je me suis demandé, imitant Montesquieu ou les deux héros des Lettres persanes, Rica et Ibben, comment peut-on être Français ?

J’ai donc voulu savoir par quel processus mystérieux on devient Français. En effet, par les temps qui courent, peu de gens se vantent d’avoir notre nationalité, encore  moins de vouloir l’acquérir. Et nous voyons, au contraire, des Africains du Nord ou du Sud, rejeter la France et brandir avec enthousiasme des drapeaux de la Fédération de Russie. Les « pôvres » !

Sur les douze années qui s’étendent de 2011 à 2023, et sur les 157 pages de l’ouvrage, pas moins de 32 évoquent d’abord les conditions de l’arrachement au pays natal et les douloureuses conditions de la révolution puis de la fuite jusqu’en Jordanie. Une seconde période d’une trentaine de pages nous retrace la difficile acquisition de la langue, si différente de l’arabe, sa lente appropriation grâce aux rencontres avec des écrivains francophones ou même une rencontre linguistico-amoureuse sans lendemain. Ensuite, ce sera la découverte des mœurs assez étranges des indigènes de l’Ile de France puis des provinces qui resteront, un temps, obscures aux yeux de l’observateur. Il faut pratiquement à l’auteur 84 pages pour qu’il commence à employer le pronom Nous, signe de son intégration linguistique et nationale après l’intégration juridique difficilement conquise dans la jungle de notre administration. Et c’est la surprise ou l’incompréhension lorsque notre néophyte rencontre des jeunes Français qui, eux, ne voient de la France que ses défauts ou ses carences et ne conçoivent leur avenir que dans une expatriation, sans comprendre que les terres de leurs fantasmes sont loin d’offrir les avantages, les privilèges ou la chance que la République nous donne.

Après un voyage à Beyrouth, mais sans la possibilité de toucher la Syrie, notre héros aperçoit les lumières de l’aéroport d’Orly. Loin de l’odeur de la poudre à canon et du jasmin, comme il le dit lui-même, il prend conscience qu’il arrive enfin chez lui, dans cette atroce dictature que lui décrivent, chaque jour, ses amis de la gauche et qu’il peut, tranquillement, manger au chaud, dans son petit logement, sa salade de tomates à l’huile d’olive de Provence, sans craindre l’irruption de la police. Bien sûr, rien n’est parfait, mais il n’est plus, enfin, cet exilé de nulle part, ce sans papiers sans terre.

C’est l’en-tête d’un de ces derniers chapitres (page 111) : non seulement sa voix compte mais il a trouvé une nouvelle mère. Quel bel exemple pour nous, les privilégiés !

  • Omar Youssef Souleimane, Etre français, Paris, Editions Flammarion, 2023, 160 p.
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