Père Bernard Hym : « Que le Père Laval soit canonisé pour que l’Église puisse construire avec lui l’unité mauricienne »

Le père Bernard Hym, vice-postulateur pour la cause de canonisation du Père Laval, retourne en France après 36 années passées à Maurice. Un départ qui ne l’éloignera pas de l’apôtre de l’île Maurice, précise-t-il, puisqu’il poursuivra sa mission. Avant son départ, il s’est exprimé sur son passage à Maurice, son étonnement d’avoir vu converger des personnes de foi non-chrétienne au caveau du Père Laval pendant des années et des difficultés pour mener à bien sa mission. Son plus grand souhait : que le Père Laval, élevé au rang de Saint, puisse être le ciment de l’unité mauricienne.

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Vous rentrez en France après 36 ans de mission à Maurice… Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Je dirai que c’est une contradiction. Car l’année dernière, j’ai milité auprès mon supérieur pour pouvoir rester à Maurice. Un an plus tard, je réalise que mon supérieur avait raison. À mon âge, la santé ne suit pas toujours. J’ai terminé mon dernier livre sur le Père Laval difficilement. Je suis content d’avoir pu le faire, car c’est important pour les Mauriciens.
Je ne pars pas avec le sens du devoir accompli pour autant. Je pars avec le sentiment de pouvoir mieux continuer ma mission en région parisienne, où je serai basé. Le Père Laval ne me quittera pas. Je continuerai mon travail. Au contraire, je vais dans un endroit avec d’autres prêtres à la retraite, où il y a plus de sérénité et où l’accès aux archives sur le Père Laval sera plus facile.

Quels sont les meilleurs souvenirs que vous gardez de Maurice ?
Je suis arrivé à Maurice en 1988, peu de temps avant le pèlerinage du Père Laval. J’avais lu sur lui, sans vraiment le connaître. J’ai donc découvert à quel point les Mauriciens vénéraient le Père Laval. Des Mauriciens de toutes les cultures, de toutes les confessions religieuses. Certains l’affirment ouvertement, d’autres sont plus discrets. J’ai trouvé cela formidable.

Toutefois, j’ai noté aussi que beaucoup aimaient le Père Laval, mais ne le connaissaient pas. Grâce à feu Mgr Amédée Nagapen, j’ai commencé à entreprendre des recherches, à marcher dans les traces du Père Laval. Cette rencontre a donné une autre perspective à mon sacerdoce. Le Père Laval était au centre de mes homélies, de mes rencontres avec les gens. Je pars également avec le souvenir justement, de mes rencontres avec les gens d’ici. Je crois que ce que vous a apporté le Père Laval, c’est ce que vous vivez aujourd’hui. Il est difficile de quitter les gens avec qui j’ai collaboré pendant des décennies. Il y a une qualité de relations personnelles qui s’est construite.

Qu’est-ce que vous avez vécu plus difficilement ici ?
D’avoir eu à dire non de temps en temps. À Maurice, on n’aime pas trop cela. Et pourtant, parfois, c’est important. Surtout quand on est en charge. Il m’est arrivé aussi d’avoir des petits problèmes interpersonnels, même avec des confrères. C’est un peu plus rare, heureusement. Mais ce que je retiens surtout de tous, c’est la collaboration plutôt que la bagarre.

Vous êtes vice-postulateur pour la cause de la canonisation du Père Laval. En quoi consiste cette responsabilité ?

Je suis spiritain et à Rome, il y a un postulateur pour étudier toutes les possibilités de béatification et de canonisation pour les spiritains et les filles de Marie. Pour chaque cause, il y a un vice-postulateur. Pour ma part, j’avais déjà écrit mon premier bouquin sur le Père Laval en 2014. C’est en 2017 que j’ai été nommé vice-postulateur. Depuis, je travaille pour recueillir des témoignages de guérison, je me documente sur le Père Laval et j’ai écrit plusieurs livres.

Il faut savoir que bien avant cela, il y a eu un gros travail qui a été fait pour la béatification. Pour y parvenir, ceux qui y ont travaillé ont eu toutes sortes de marches à monter. Cependant, depuis 1979, il ne nous reste qu’une marche pour la canonisation, et nous ne l’avons pas encore franchie. Il nous faut un miracle pour la canonisation.

Pour cela, il faut que les gens témoignent. Jusqu’ici, j’ai recueilli 982 témoignages. De beaux témoignages, mais il nous faut un miracle physique, total, immédiat et durable, que Rome puisse accepter. Il est important que les gens continuent de venir témoigner. Je retiens tout de même, à travers tous ces témoignages, de l’espérance. Des gens qui ne savent plus où donner la tête viennent prier à Père Laval et repartent en paix. Personnellement, quand je reçois quelqu’un qui vient pleurer dans mon bureau pour raconter ses peines, il ne repart jamais sans avoir ri au moins deux fois.

Comment avez-vous vécu l’interculturalité en étant basé ici, à Sainte-Croix ?
J’ai eu mon premier choc en 1988, quand je suis arrivé. Pour mon premier pèlerinage, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas que des chrétiens. C’était nouveau pour moi, mais j’ai apprécié. Au fil des années passées ici, j’ai eu l’occasion de rencontrer, de discuter, de nouer des relations avec beaucoup de personnes qui n’étaient pas de foi catholique et qui venaient prier au caveau du Père Laval.

Comme je l’ai dit, il y a certains qui le montrent plus facilement que d’autres; je préfère ne pas les nommer. Ce que je peux dire, c’est que j’ai vu toutes les composantes de la population mauricienne. Il y a quelqu’un qui, par exemple, à chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un qui avait des problèmes, l’emmenait prier au caveau du Père Laval. Puis il emmenait la personne me voir pour qu’elle me raconte ce qu’elle a vécu.

Je suis aussi touché de voir des personnes faire la queue en silence pendant une heure et demie pour accéder au caveau. Je me suis dit : « Il y a vraiment quelque chose. » Mais ce qui est plus important et je le fais toujours ressortir : on se rapproche du Père Laval pour aller vers le Christ. C’est pour cela que j’ai voulu faire un nouveau caveau, pour que les gens soient autour du Père Laval, avec la croix devant eux. C’est le Christ qui donne la grâce. Le Père Laval est un intermédiaire.

À ce sujet, j’apprécie comment tout le monde a apporté sa collaboration. Il y a des enfants qui venaient avec leurs bouteilles en plastique remplies de petites pièces qu’ils avaient récupérées. Les scouts sont venus trois fois. Nous avons pu ainsi récolter Rs 100 000 rien qu’avec l’aide des enfants.

Comment avez-vous vécu l’évolution de Sainte-Croix qui, comme beaucoup de quartiers aujourd’hui, doit faire face à de nombreux défis ?
J’ai passé 25 à 26 ans à Sainte-Croix. Ce qui m’a surtout marqué, c’est la bétonisation de Sainte-Croix. Auparavant, l’allée Père Laval n’avait pas la même allure. Inévitablement, j’ai vu aussi progresser la drogue dans le quartier, et c’est inquiétant. Ce qui me préoccupe aussi, et cela ne concerne pas uniquement Sainte-Croix, c’est que de nos jours, les enfants ont tendance à disparaître après la première communion. Je crois qu’il faut réfléchir à comment garder les enfants. C’est important, surtout avec tous les fléaux qu’il y a actuellement.

Justement, vous avez été aumônier du Centre d’accueil de Terre-Rouge. Quels sont les obstacles dans le combat contre la drogue, selon vous ?
J’avais été appelé à remplacer le père Gérard Guillemot comme aumônier du centre. Cela a été l’occasion pour moi de collaborer avec l’équipe, dont le travail consistait à redonner leur dignité aux gens. Cela me rappelle le travail du Père Laval. La pédagogie vient de France. Cela implique le respect de l’autre, de l’horaire, des paroles et la redécouverte de l’importance de la famille, ainsi que du travail.

Nous avons travaillé avec un médecin musulman que j’ai beaucoup apprécié. Quand il était là, il suivait les futurs stagiaires. Il savait qui était prêt, car il n’avait plus besoin de médicaments, il a été fidèle à ce que je lui ai dit de faire. À cette époque, il y avait 65% de réussite. Puis il a eu une promotion et il est parti. Mais la problématique est différente également.

Aujourd’hui, il y a un rajeunissement chez les consommateurs de drogue. Et c’est cela, selon moi, qui rend le travail plus compliqué. Avec les vieux, arrivé un moment, après des années dans la drogue, il peut y avoir une prise de conscience, une conversion. C’est pour cela qu’à un certain moment, on les faisait réhabiliter les vieux meubles. Pour qu’ils comprennent qu’eux aussi peuvent être réhabilités.

Avec les jeunes que j’ai rencontrés, c’est plus difficile. Ils n’avaient pas la conviction qu’ils n’avaient pas besoin de drogue pour être heureux. Et les chances de rechute sont plus élevées. On est autour de 25% de réussite. Ailleurs, c’est pareil.

Le travail qui est réalisé par le CATR est similaire à celui du Père Laval : redonner leur dignité aux gens, les aider à se mettre debout. Il y a les anciens qui sont là pour accompagner les stagiaires. Je pense que la spiritualité est aussi importante dans ce parcours, quelle que soit sa confession. Quand je voyais un hindou ou un musulman retrouver sa foi dans un centre dirigé par des chrétiens, je me dis qu’on est dans la construction du mauricianisme. À ce sujet, il y a encore beaucoup à faire.

Après 36 ans passés ici, vous sentez-vous un peu Mauricien ?
Je serais malhonnête si je disais oui. Je suis Français. J’ai vécu de belles choses ici, mais cela ne fait pas de moi un Mauricien. Parfois, quand je suis fatigué de voir ce qui se passe en France, je regarde ici, et je me dis que ce n’est pas mieux.

En tant que prêtre français ici, je me suis toujours senti libre dans ma tête. Tout en ayant conscience de l’église où je prêche. Si je dis par exemple « Votez avec votre cœur ! », je dois savoir que cela aura certainement une interprétation et susciter une réaction. Les gens avec qui j’ai une complicité me taquinent souvent. Si je mets un t-shirt bleu, par exemple, ils vont me dire : « ah, PMSD… » Et pour les emmerder, je venais souvent le lendemain avec un t-shirt orange… Mais c’était vraiment pour m’amuser.

Ceci étant, même si j’ai accueilli des politiciens ici à Sainte-Croix dans le cadre du pèlerinage, je n’ai aucun lien avec la politique, ni les autorités.

Quels sont vos projets une fois de retour en France ?
Cela peut paraître incompréhensible, mais ce n’est pas parce que je vais à la maison des vieux prêtres que j’arrête mon travail sur le Père Laval. Au contraire, à 100 m de moi, il y aura les originaux des textes au profit du Père Laval. Je demeure le vice-postulateur, pour le moment. La seule chose, c’est que je ne serai pas ici pour recueillir les témoignages. Mais n’importe quel prêtre peut le faire s’il en porte l’intérêt. Je peux toujours reprendre contact avec les personnes si on me donne un e-mail pour compléter le dossier.

Par ailleurs, je serai basé à 20 minutes de métro de celui qui a travaillé sur la cause de canonisation du père Brottier. Je vais en profiter pour avoir quelques conseils. Mais comme je l’ai dit, pour que ce dossier avance, il faudra que les gens continuent de témoigner. Il faut se dire que Rome va nous bousculer pour être précis. Il me faudra donc les moindres détails. Soit dit en passant, faire un tel travail a parfois été une souffrance à Maurice, car les gens ne sont pas propriétaires de leurs dossiers médicaux.

Or, pour soutenir un témoignage, j’ai besoin de preuves médicales. Ainsi, pour avoir un dossier, je dois souvent passer par l’évêque, pour qu’il puisse faire une demande à l’hôpital. Et le médecin ne donnera pas son rapport tant qu’il n’a pas eu une permission officielle de son supérieur…

Pour ceux qui vont en clinique, c’est beaucoup plus facile. Mais le Père Laval ne regarde pas le porte-monnaie pour faire des miracles.

Quel est votre souhait pour le diocèse de Port-Louis ?
Mon souhait est que le Père Laval soit canonisé pour que l’Église de Maurice aide à construire, avec lui, l’unité mauricienne. Je souhaite également que les laïcs prennent pleinement leurs responsabilités dans l’Église. Il y a 20 ans, on parlait plus de nouvelles ordinations, et aujourd’hui, on parle plus d’enterrement de prêtres. La jeunesse nous manque un peu.

Nous aurons encore besoin de prêtres. Il faut que les Mauriciens bougent. Depuis le début, il y a eu des prêtres étrangers qui sont venus en mission ici. Il est temps que l’Église de Maurice devienne elle-même missionnaire. Maurice Piat, depuis qu’il était prêtre, jusqu’à ce qu’il devienne cardinal, a fait beaucoup de formations pour donner une colonne vertébrale à cette Église. Je souhaite que cela se poursuive. Il est temps que les gens prennent en main leur vie et la responsabilité de leur Église. Je suis d’avis que si les laïcs prennent leurs responsabilités dans l’Église, cela suscitera des vocations pour les accompagner.

 

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