Rita Venkatasamy, ex-Ombudsperson for Children : “Le combat pour les droits de l’Enfant est plus que jamais d’actualité”

Notre invitée de ce dimanche est Rita Venkatasawmy dont le deuxième mandat comme Ombudsperson for Children est arrivé à terme, vendredi de la semaine dernière. Dans l’interview qu’elle nous a accordée, cette semaine, Mme Venkatasawmy fait le bilan de son action au cours de ses deux mandats comme défenseuse et porte-parole des enfants mauriciens.

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Votre deuxième et dernier mandat comme Ombudsperson for Children vient de se terminer. Est-ce qu’un troisième mandat vous aurait permis de terminer le travail que vous avez commencé ?
–L’Ombudsperson for Children Act définit clairement quand commence et quand se termine le mandat et dans le cas actuel, c’était le 8 décembre. Il n’est pas question d’étendre le mandat, à moins d’amender cette loi. Cela dit, et pour répondre précisément à votre question, il faut dire qu’on ne termine jamais totalement un travail commencé à un poste de responsabilité et que la défense et la promotion des droits de l’Enfant est un processus, mieux un combat qui est plus que jamais d’actualité. Ce combat, cet engagement, ne s’arrête pas avec la fin du mandat de l’Ombudsperson. Personnellement, je pense qu’il est important quand on a occupé un poste de responsabilité de s’avoir s’arrêter pour faire autre chose.

Après ces deux mandats, avez-vous le sentiment qu’en général les Mauriciens savent à quoi sert le bureau de l’Ombudsperson et la personne qui l’a dirigé ?
–Beaucoup de travail d’information pour que le bureau soit connu a été fait par celles qui m’ont précédé à ce poste. Au fil des années, le travail de l’Ombudsperson et de ses enquêteurs a été valorisé, l’information a circulé, comme le démontre le nombre de personnes qui font appel à nos services. Il faut tout de même rappeler que cette institution n’a que 20 ans d’existence et qu’il y a une nette évolution dans sa perfection dans l’esprit du public.

Est-ce que les principaux concernés, les enfants, sont plus conscients de leurs droits aujourd’hui ?
–Certainement, car avec les progrès technologiques, les enfants sont beaucoup plus informés aujourd’hui, surtout dans les écoles primaires et secondaires. Mais cette notion doit être expliquée et enseignée, car elle va de pair avec les responsabilités. Comme je l’ai souvent répété durant ces huit dernières années dans différents forums : avoir des droits ne signifie pas faire ce que l’on veut, où et quand on le veut. Il faut éduquer les enfants à cette notion, surtout à partir de 14 ans, qui est aujourd’hui l’âge de la responsabilité pénale à Maurice.

Est-ce que les parents sont également mieux informés ?
–Oui, on le constate du fait qu’il ya eu une augmentation des plaintes logées et d’appels à mon ex-bureau. Les parents sont beaucoup plus conscients, mais cela ne signifie pas qu’ils acceptent les droits de leurs enfants. À Maurice, certains parents sont encore réfractaires à la notion des droits des enfants. Certains m’ont même dit « ou konne sa ban zafer droits zenfants la pe faire beaucoup désordre dans bann fami. Zenfan népli écoute zot parents. » Ces personnes continuent à penser que les enfants doivent surtout obéir et faire ce que leur disent leurs parents. Ils prennent mal la discussion et surtout la remise en cause. J’ai pris beaucoup de temps à répéter que ces droits sont une forme d’éducation qui aide l’enfant à devenir un citoyen responsable dans la société.

Par conséquent, l’Ombsudperson que vous avez été faisait un vrai travail, n’était pas qu’un poste où l’on case les protégés politiques en guise de récompense pour services rendus.

Comme cela est malheureusement trop souvent le cas à Maurice.
— Il ne faut pas oublier que quand l’État mauricien décide, en 2003, de créer le poste de l’Ombudsperson for Children, c’est une première dans cette région du monde et une partie de l’Afrique. L’État mauricien a assumé une grande responsabilité en répondant positivement à la recommandation des experts des Nations-Unies en ratifiant la fameuse convention. En ce faisant, il a fait de la notion des droits de l’enfant une de ses priorités et ne s’est pas contenté de nommer une personne à un poste, mais a également donné à ce bureau les moyens financiers et les ressources humaines nécessaires pour faire son travail. Ce budget a augmenté d’année en année, ce qui est un signal clair que l’État mauricien continue à promouvoir les droits de l’enfant. J’aimerais aussi souligner que j’ai été nommée à ce poste en fonction de mes qualités professionnelles. J’ai un BAC Plus 4, suis une éducatrice spécialisée, détiens une maîtrise dans le domaine, en sus d’une longue expérience. Sans me flatter, j’estime que j’avais les compétences nécessaires pour cette nomination.

Vous êtes, donc, une nominée politique avec des solides compétences, ce qui n’est pas chose courante à Maurice, ces dernières années ?
–Sans commentaires !

Vous étiez la nièce de feu sir Anerood Jugnauth et vous êtes la cousine de Pravind Jugnauth, Premiers ministres du pays. Est-ce que pendant vos deux mandats, ces liens familiaux vont ont aidée ou vous ont handicapée dans vos fonctions ?
–Ces liens familiaux sont connus de tous, mais je peux vous dire que je n’ai jamais subi des pressions pour quoi que ce soit. Par ailleurs, on sait dans la famille que j’ai une indépendance d’esprit que citait souvent SAJ. Cette indépendance d’esprit est nécessaire pour défendre et promouvoir les droits de l’enfant. Je peux vous dire que mes liens familiaux ne m’ont ni aidée ni desservie pour faire le travail. Je pense que de par ma manière d’agir, on s’est rendu compte que j’étais là seulement pour défendre les droits et l’intérêt supérieur des enfants mauriciens, qui incluent, on ne le dit pas assez, ceux des enfants rodriguais et agaléens.

Est-ce les ministères et les institutions avec qui vous avez travaillé ont joué le jeu ou est-ce qu’il y a eu des réticences, des résistances, pour ne pas dire du boycott ?
–Dans mon message d’adieu, j’ai souligné que si le bureau de l’Ombusperson doit être, par définition, indépendant, cela ne signifie pas qu’il doit travailler en isolation. Au cours des 8 dernières années, j’ai remué ciel et terre pour pouvoir travailler avec les autorités concernées directement et les autres, que ce soit le bureau du DPP, celui du Commissaire de Police, les ONG. Quand vous êtes un militant des droits de l’enfant, vous avez une manière de voir le monde que ne partagent pas nécessairement toutes les autres institutions et acteurs, ce qui peut, forcément et inévitablement, générer des conflits. J’ai fonctionné en gardant en tête l’intérêt des enfants, en ne faisant pas de compromis inutiles et en évitant que cela puisse dégénérer en antagonisme. Car l’antagonisme interdit le dialogue et bloque tout avancement possible.

Quel est, de votre point de vue, la plus grande réussite de vos deux mandats ?
–J’ai appris à me mettre à l’écoute de l’enfant, de vraiment l’écouter, au lieu de se contenter de dire qu’on le fait pour le comprendre et devenir son porte-parole. C’est un travail de longue haleine. Cela s’est fait à travers les innombrables ateliers que nous avons organisés aux quatre coins de l’île – grâce au soutien de l’Union Européenne qui nous a beaucoup aidé pour leur organisation et nos activités en general. Ça a été un des grands défis de mes mandats parce que cela prend beaucoup de temps à écouter les enfants dans les écoles, les collèges, les centres de détention, les abris… Cette écoute m’a aidée à comprendre comment fonctionne l’enfant mauricien, à quoi il pense et quelles sont ses aspirations, afin de pouvoir bien les transmettre.

Peut-on dire que les pensionnaires des institutions pour enfants en difficultés parlent de la même manière que les autres enfants mauriciens, ont les mêmes aspirations ?
–Les enfants qui vivent dans ces lieux sont fragiles, vulnérables, et ont des comportements complexes. C’est difficile de travailler avec eux, mais il fait créer un contexte pour les mettre à l’aise, les valoriser, créer les conditions pour que la confiance s’instaure. Ce dialogue et cet échange avec toutes les catégories d’enfants m’ont beaucoup aidée dans mon travail. Si nous voulons écouter, valoriser l’enfant et devenir son porte-parole, il faut créer un contexte approprié et ne pas se contenter de procéder à un interrogatoire. Si c’est le cas, l’enfant se referme sur lui-même et refuse de communiquer.

Est-ce qu’en général, le Mauricien est conscient que les enfants ont des droits qu’il doit respecter ?
–De plus en plus, mais il faut bien le dire, pas suffisamment. Parce que la notion des droits humains évolue. Exemple, avant, quand on parlait des droits de l’enfant handicapé, c’était dans une approche plutôt charitable – on lui donne un joujou, des vêtements, de la nourriture – alors qu’aujourd’hui, on rappelle que l’enfant avec un handicap a les MÊMES droits que les autres enfants. Il y a 40 ans de cela, l’enfant handicapé était encore caché, attaché à un lit, privé d’éducation puisqu’il n’y avait pas d’école pour lui. Aujourd’hui, des institutions ont été créées pour s’occuper de lui, pour promouvoir ses droits. La promotion des droits de l’enfant est, comme les droits humains en général, un combat de tous les instants et il faut que ceux qui sont dans des postes de décision le comprennent pour faire avancer les choses. Il arrive que les personnes qui ont des pouvoirs de décision n’ont pas la formation voulue pour le faire. Ce n’est pas parce qu’on s’occupe des enfants qu’on est, de facto, un militant de leurs droits. Dans ce domaine, la formation, une formation professionnelle continue est indispensable

Est-ce que vous avez eu des conflits avec d’autres institutions au cours de votre double mandat ?
–Mon mandat et mon champ d’action étaient tellement étendus que j’ai mis mon nez partout, ce qui a pu, disons, déranger ou irriter

Les observateurs ont noté que nous ne partagiez pas toujours les mêmes positions que les ministres qui avaient pour responsabilité de défendre, comme vous, les droits des enfants.
–Les ministres ont un pouvoir décisionnel et moi, celui de faire des recommandations. Nous avons dialogué, discuté, nous n’avons pas été d’accord sur tout, mais nous avons toujours œuvré dans l’intérêt des enfants, chacune à sa manière.

Quel est votre principal regret – je n’utilise pas le terme échec – de ces deux mandats ?
–Je regrette de ne pas avoir formé les gens pour qu’ils comprennent la complexité des droits de l’enfant quand ils sont appelés à prendre des décisions. Si j’avais du temps, je le consacrerais à la sensibilisation, en profondeur, à la formation aux droits et aux résultats des recherches internationales sur le sujet. Il faut qu’on lise, qu’on s’informe, pour se tenir au courant et agir avec efficacité.

Vos deux mandats ont été marqués par les longues discussions sur le Children Bill annoncé et souvent retardé. Est-ce qu’avec le recul, on peut dire que cette loi marque une étape décisive dans l’avancement des droits des enfants à Maurice ?
–Je n’hésiterai pas une demi-seconde pour dire que le Children Bill a été une étape décisive dans ce combat sur deux sujets fondamentaux : l’interdiction du mariage et du concubinage avant l’âge de 18 ans et l’âge de la responsabilité pénale à 14 ans. Ceci dit, il y a la loi votée et son application sur le terrain et dans les faits, ce qui est une autre chose et rejoint ce que je disais sur le manque de connaissance et de formation sur les droits humains et ceux des enfants. L’application de ces lois dépend du niveau de conscience et de connaissance de ceux qui doivent les mettre en pratique. Il faut reconnaître qu’il y a encore du travail à faire à ce niveau. C’est pour cette raisons que je pense qu’il faudrait que les jeunes qui doivent faire face à un tribunal, parce qu’ils n’ont pas respecté la loi, bénéficient des services d’un avocat commis d’office pour les défendre. Je voudrais profiter de l’occasion pour remercier la police qui nous a beaucoup aidé pour les cas d’enfants en détention.

Pendant vos mandats, les scandales dans et autour des shelters abritant des enfants et parfois des adolescents en détresse ont fait la une de l’actualité et ont été souvent dénoncé au Parlement. À quoi attribuez-vous cette augmentation de délits dans ce secteur particulier ?
–Cette augmentation de cas découle du manque de formation dont je vous ai parlé. Un constat s’impose quand on parle de RCI, de crèches, d’écoles, de centres d’accueil pour enfants en difficulté : le manque de formation en général dans ce secteur et, en particulier, le manque de personnel spécialisé. Nous sommes dans une période de transition avec des crèches, des centres d’accueil et des écoles encore dirigés par des personnes qui ont plus de bonne volonté et utilisent des méthodes d’autrefois que de personnel de qualité formé. Nous devons passer par une formation poussée de tous les acteurs des secteurs de la petite enfance et de l’encadrement des institutions dont nous parlons. Selon le cadre juridique, on ne peut plus travailler au petit bonheur comme autrefois. Dans son application, cela pose problème parce que nous ne disposons pas de personnel formé pour faire le travail. Nous ne disposons pas, également, de suffisamment de personnel formé au sein des institutions de contrôle pour veiller à ce que la loi protégeant les enfants soit respectée. Il s’agit d’une formation technique, mais aussi d’une sérieuse connaissance des droits de l’enfant.

Puisque vous êtes spécialisée en recommandations, quelle est celle que vous feriez pour améliorer le fonctionnement du bureau de l’Ombudsperson for Children ?
–Vous trouvez qu’il n’a pas bien fonctionné au cours de ces 8 dernières années ?!
J’ai utilisé le terme améliorer !
–Je l’avais compris ! Je pense qu’il faudrait d’abord que le bureau change de lieu parce qu’il est actuellement dans un vieil immeuble, qui n’est pas très valorisant pour ceux qui ont besoin de ses services. J’avais fait une recommandation pour un déménagement, qui a été acceptée par l’État, des fonds ont été débloqués et un emplacement a été identifié à Ébène. Je pense aussi que les enquêteurs du bureau qui sont qualifiés et font un excellent travail doivent être mieux valorisés

Votre mandat est arrivé à expiration le 8 décembre, nous sommes aujourd’hui le 14 et votre remplaçant /remplaçante n’a pas encore été nommé /e. Est-ce que cette nomination n’aurait pas dû être faite avant le 8 décembre, afin que vous puissiez faire une passation de pouvoirs selon les règles de la bonne gouvernance ? Pourquoi est-ce que cela n’a pas été lé cas ?
–Écoutez, il faut que le personne choisie accepte la proposition – personnellement, j’ai pris du temps avant d’accepter –, afin que les procédures soient enclenchées. Cette procédure veut que le Premier ministre, la ministre concernée et le leader de l’opposition soient consultés…

Tout ça n’aurait pas dû être fait avant, dans les délais pour qu’il n’y ait pas de vacance ? Vous étiez la seule à savoir à Maurice que votre mandat arrivait à expiration le 8 décembre 2023 ?
–Je suis sûre que les choses sont en train de se mettre en place et qu’un nouvel Ombudsperson for Children sera bientôt nommé. Je peux vous dire qu’en attendant, le bureau continue à fonctionner normalement.

Quel devrait être le profil de votre successeur ?
–Son profil est décrit très exactement dans la loi, dans l’Ombudsperson Act. Celle ou celui qui occupera ce poste doit être une personne qui a une bonne connaissance de l’enfant, une solide expérience dans ce domaine, et qui comprend la loi. Parce qu’il s’agit de faire respecter et appliquer les lois protégeant les enfants.

Qu’emportez-vous avec vous en quittant le poste : une pension avec voiture, chauffeur et secrétaire, comme les hauts fonctionnaires ?
–L’Ombudsperson for Children n’est pas le Président de la République et n’a pas droit au même traitement quand il se retire. J’emporte avec moi seulement ma riche expérience sur les enfants, expérience que j’ai consolidée au cours des 8 dernières années.

Est-ce qu’il existe une vie professionnelle pour vous après ces 8 ans au poste d’Ombudsperson for Children ?
–Bien évidemment ! Ces 8 dernières années ont enrichi mon expérience en tant que militante des droits des enfants. Je n’ai plus 20 ans, mais j’ai suffisamment d’énergie pour continuer à militer pour la cause des enfants, secteur où je travaille depuis 40 ans. Je vais le faire en étendant mon champ d’activité dans la région et possiblement en Afrique.

Avez-vous pensé à une reconversion dans la politique où vous pourriez continuer à défendre, au niveau décisionnel cette fois, les droits des enfants ?

–Avant de vous répondre, permettez-moi de dire qu’après avoir annoncé mon départ, vendredi dernier, j’ai reçu des dizaines et des dizaines de messages, beaucoup plus que ceux que je reçois le 31 décembre pour me souhaiter la bonne année. J’ai reçu des messages très personnalisés, pas les formules stéréotypées que l’on copie sur un site. Je ne m’y attendais pas et cela m’a beaucoup touchée. Je voudrais profiter de l’occasion pour dire merci à ceux qui m’ont soutenue et encouragée au cours des 8 dernières années, en particulier la presse mauricienne qui a pleinement joué son rôle dans la défense et la promotion des droits des enfants. Finalement, je vais répondre à votre dernière question, une question qui m’a été posée quand on a appris que mon mandat arrivait à expiration et ma réponse a été : non. Cela étant dit, je pourrais songer à me lancer dans la politique si les enfants avaient le droit de vote ! C’est une plaisanterie, bien sûr !

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