Que nous le voulions ou pas, et même si la date des élections n’est pas encore connue, nous baignons déjà dans une ambiance de campagne électorale. On peut toujours dire que cette ambiance est palpable depuis quelque temps déjà, avec les mobilisations observées tant du côté des partis au pouvoir que de ceux de l’opposition, mais force est de reconnaître qu’en cette période de fin d’année, la mobilisation a connu une accélération. Derrière le calme apparent des partis au pouvoir, où on veut projeter le sentiment de business as usual, la tension gagne graduellement les dirigeants politiques et les députés, qui multiplient les activités dans leurs circonscriptions.
Le discours politique s’empare graduellement de toutes les activités socioreligieuses, culturelles et économiques. Alors que nous entrons dans une période de célébrations et de fêtes culturelles et religieuses, qui devrait durer au moins jusqu’à mars de l’année prochaine, avec la fête nationale, on peut s’attendre à ce que les états-majors politiques s’engagent dans une frénésie de manifestations destinées à divertir la population et dévier son attention des vrais problèmes du pays ou pour conquérir ou reconquérir de larges franges de l’électorat.
Les dirigeants travaillistes étaient présents en force aux séances de prières organisées au Ganga Talao dimanche, et qui ont réuni un grand nombre de dévots. Le Premier ministre et leader de l’alliance gouvernementale n’a pas raté le coche jeudi dernier à l’occasion de la commémoration de l’arrivée des 36 premiers travailleurs engagés de l’Inde à l’Aapravasi Ghat. Le service d’information gouvernementale a pour la première fois pris soin de mentionner que 4 000 personnes avaient fait le déplacement à Port-Louis à cette cérémonie, marquée par la présence de l’envoyé spécial du Premier ministre indien, Narendra Modi.
Pravind Jugnauth n’y est pas allé de main morte en lançant : « Nou kone ki lepep osi pou konn pran bon desizion a sak fwa ki li bizin fer li. » Il devait souligner qu’il faut rester vigilants et « unis face aux forces qui veulent nous diviser », s’attaquant à ceux qui utilisent les mots grossiers contre les adversaires au Parlement, en ajoutant que « cette époque est révolue ». On devine déjà la piste glissante sur laquelle la campagne électorale risque de s’engager, surtout dans certaines régions particulières du pays. « Nous tirons des leçons de nos ancêtres. Ils ont travaillé et persévéré avec courage avec patience et conviction. Je travaille avec conviction et une conscience très claire. C’est pourquoi je n‘ai pas peur des obstacles. Nous les enlèverons les uns après les autres », a-t-il déclaré, après avoir lancé un appel à l’unité et menacé « tous ceux qui tentent de porter atteinte à l’harmonie », en présence du leader de l’opposition, qui a pris la précaution cette année de participer à la cérémonie jusqu’à la fin, alors que dans le passé, il se contentait de la cérémonie de dépôt de gerbes.
Les discours des leaders politiques, ceux des dirigeants du gouvernement ainsi que ceux de l’alliance des partis de l’opposition parlementaire, qui prévoient plusieurs meetings et congrès jusqu’à la fin de l’année, seront suivis avec attention. Mais au-delà des propositions qui seront faites sur le plan socio-économique, certaines sont attendues concernant la construction d’une identité nationale, libre de toute influence étrangère d’où qu’elle vienne.
L’historien sénégalais Mamadou Diouf, qui vit aux États-Unis, et qui vient de publier un essai intitulé L’Afrique dans le temps du monde, estime que la pensée en Afrique a dépassé le moment de la décolonisation. Selon lui, la pensée africaine est prête à prendre son envol. Où en sommes-nous à Maurice ? Certes, notre décolonisation territoriale reste à être complétée. L’écrivaine mauricienne Ananda Devi souligne dans une interview accordée au Mauricien qu’on est « toujours sous le joug de la colonisation, parce que nous avons une vision idéalisée de la société très occidentalisée ». On pourrait ajouter, pas juste de l’Occident. Quel parti ou alliance pourra proposer un mauricianisme auquel pourront adhérer tous les Mauriciens, quelle que soit leur origine ? La question est posée.
Jean Marc Poché