« Je serai candidat aux prochaines élections générales. » C’est ce qu’affirme l’ancien ministre de l’Agriculture Madan Dulloo. Pour l’heure, des options se présentent devant lui. Faire revivre son ancien parti, le Mouvement Mauricien Socialiste Militant (MMSM), adhérer à un parti politique existant ou, tout simplement, poursuivre sa retraite politique. Mais l’appel pour servir le pays lui colle à la peau.
C’est ainsi qu’il a décidé d’engager une série de consultations à travers le pays pour décider de la marche à suivre. Dans l’interview qui suit, il explique dans quelles circonstances feu sir Anerood Jugnauth et lui avaient été appelés à créer le MSM. Il parle aussi de son combat contre le trafic de stupéfiants en tant qu’ancien président du Select Committee sur la drogue et les circonstances dans lesquelles il avait été « kicked out of government » pour ses différentes initiatives.
Vous avez fait ressortir dernièrement que c’est vous qui aviez créé le MSM. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je suis membre fondateur du MSM, avec feu sir Anerood Jugnauth et Kader Bhayat. Nous en étions arrivés là après avoir remporté la première victoire 60-0 aux élections générales de 1982. Il y avait donc SAJ comme Premier ministre, qui était épaulé de Harish Boodhoo du Parti Socialiste Mauricien (PSM). C’était donc l’alliance Mouvement Militant Mauricien (MMM)/PSM. Harish Boodhoo était vice-Premier ministre et Paul Bérenger occupait la troisième position, car auparavant, il n’y avait pas une structure gouvernementale appropriée. Kader Bhayat occupait par conséquent la quatrième place sur le Front Bench.
En octobre 1982, Paul Bérenger a eu un clash terrible avec Kader Bhayat en ce qui concerne les subsides sur les prix du riz et de la farine. À l’époque, Kader Bhayat était, tout comme moi, conseiller auprès de formations syndicales reconnues, telles que la General Workers Federation (GWF), etc.
Nous travaillions gratuitement pour tous les travailleurs de Maurice et cette situation a duré de 1976 jusqu’à la fameuse victoire de 60-0. En 1982, le pays traversait une crise financière sans précédent et le gouvernement avait décidé d’abolir les subsides sur le riz ration et la farine. En même temps, l’industrie sucrière était en crise et le ministre des Finances de l’époque avait décidé d’accorder des subventions à l’industrie sucrière en éliminant une partie de la taxe de sortie.
Après un clash avec Kader Bhayat, donc, Paul Bérenger a soumis sa démission. Il voulait que le MSM soit kicked out du gouvernement, mais le PSM soutenait SAJ. L’ancien Premier ministre était convaincu que Kader Bhayat avait raison. Après la démission de Paul Bérenger, je me suis fait un devoir de colmater les brèches. J’ai donc dû rencontrer tout le monde pour remettre le gouvernement sur les rails.
Il y a eu par la suite une nouvelle crise en mars 1983, lorsque Paul Bérenger a démissionné avec une majorité de parlementaires et de ministres du gouvernement. Là, j’ai aidé SAJ et Kader Bhayat à constituer un nouveau gouvernement.
Mais SAJ était un bon démocrate, un très grand juriste et était respectueux de la Constitution et de la loi du pays, ainsi que de la voix de la majorité. Il faut savoir qu’à cette époque, SAJ avait même envisagé de démissionner comme Premier ministre, parce que Paul Bérenger disposait d’une majorité.
Je lui ai dit que ce n’est pas possible dans ces circonstances et que la seule façon d’être contraint à soumettre sa démission était de se retrouver au Parlement lorsqu’on est en minorité lors d’une motion de blâme, d’après les dispositions de la Constitution du pays. Dans ces circonstances, c’est le gouverneur général qui vous révoque ou vous soumettez votre démission.
Je lui ai alors conseillé de ne pas rappeler le Parlement s’il est en minorité. C’est à ce moment que SAJ, Kader Bhayat et moi sommes venus avec l’idée de former un nouveau parti, en l’occurrence le MSM. J’ai choisi le nom du parti, l’emblème et le grand slogan unir pour bâtir, et lors d’un meeting, le 8 avril 1983, nous avons lancé le MSM.
Pour que SAJ puisse gouverner en attendant, j’ai sollicité les services des députés qui ne faisaient pas partie de la sphère de SAJ en leur offrant des postes ministériels. Nous avons ainsi pu nommer plusieurs ministres pour soutenir SAJ.
À cette époque, avez-vous accepté un poste ministériel ?
Non. J’ai refusé. Lorsque Paul Bérenger avait voulu mettre fin à l’alliance MMM-PSM, il avait insisté, comme Harish Boodhoo était vice-premier ministre, pour qu’on aille de l’avant avec un gouvernement avec Madan Dulloo comme vice-Premier ministre à sa place. J’ai refusé cette proposition.
Nous avons lancé le MSM, et SAJ a eu quelques députés pour constituer son cabinet de ministres. Nous sommes ensuite allés aux élections générales au lieu de rappeler le Parlement, parce que SAJ était en minorité. Je suis allé voir feu sir Seewoosagur Ramgoolam à la rue Desforges pour tenir une réunion avec le Front Bench de l’ancien gouvernement, c’est-à-dire SSR, Sir Veerasamy Ringadoo, sir Harold Walter et sir Satcam Boolell.
C’est là que j’ai fait appel à eux, car ils détiennent le titre de Sir. Je leur ai dit que nous allions au combat pour eux, comme champions du passé, et qu’ils devraient donner leur bénédiction pour que cela puisse se faire. J’avais dit que le Parti travailliste était en alliance avec le MSM, mais qu’il ne fallait pas qu’ils soient candidats.
Nous allons ainsi combattre dans l’arène politique On your behalf. J’ai aussi contacté sir Gaëtan Duval (SGD), qui n’était pas au Parlement, mais qui avait des députés du PMSD. J’ai pu le convaincre, d’où l’alliance Bleu-Blanc-Rouge. Nous avions choisi la couleur orange pour le MSM, mais pour le besoin électoral, c’était donc le tricolore. Nus avons fêté la victoire de 1983 et j’ai refusé par la suite un poste ministériel.
À quel moment avez-vous finalement accepté un poste ministériel ?
J’ai convaincu le PSM de s’intégrer au MSM pour les besoins de l’alliance. Nous avons formé un nouveau gouvernement. Puisque j’étais avocat exerçant au Barreau, je savais que la drogue faisait son entrée à Maurice et que c’était terrible. J’ai donc donné des informations, car des ministres et des députés étaient directement impliqués dans ce trafic. J’ai communiqué ces informations à SAJ et il m’a dit qu’il fallait des preuves pour étayer ces allégations. D’où la proposition d’une enquête.
Même à l’époque, des gens à la police, à la tête de l’ADSU, etc., étaient directement impliqués. C’est pour cela que j’ai suggéré de mettre sur pied un Select Committee pour tirer tout cela au clair. J’en ai assumé la présidence et travaillé sur le dossier de la drogue pendant plus d’un an. Et le 24 décembre 1985, j’ai insisté pour qu’il y ait une séance parlementaire pour déposer mon rapport.
J’ai déposé mon rapport manuscrit et le 27 décembre, quatre députés ont été arrêtés à Amsterdam pour trafic de drogue. Des ministres et des députés ont alors commencé à soumettre leur démission et SAJ ne savait pas quoi faire. Je lui ai dit de continuer avec son gouvernement, et que puisqu’il y a des ministres ayant démissionné, j’acceptais un poste ministériel.
J’ai accepté le poste de ministre des Affaires étrangères avec des pouvoirs accrus pour avoir les mêmes pouvoirs qu’un chef d’État lorsque je suis en déplacement à l’étranger. Je me suis ainsi rendu en France, aux États-Unis, en Inde… Et j’ai aidé mon pays.
Ma condition pour être ministre était que le gouvernement mette en pratique les recommandations du Select Committee. J’ai de fait assumé les responsabilités de trois ministères à la fois, et j’ai rédigé la Dangerous Drugs Act, qui a été adoptée au Parlement en 1986. En 1987, il y a eu plusieurs incidents, mais nous avons remporté une victoire.
Par la suite, il y a eu l’éclatement du gouvernement, et je suis allé voir le MMM pour contracter une alliance en 1991. L’alliance MSM-MMM a remporté une grande victoire et le symbole de l’époque était leker dan soley.
Il me semble que le poste de ministre de l’Agriculture n’a pas été de tout repos pour vous durant votre mandat ?
J’avais en effet obtenu le portefeuille de ministre de l’Agriculture et de celui de la Pêche. J’ai apporté des réformes fondamentales tout en visant l’avenir, parce que j’ai toujours cru dans le slogan « prodwir seki manze e manze se ki nou prodwir ». Ce slogan a démarré lorsque j’étais au MMM.
L’aile gauche du MMM était constituée de Rama Poonoosamy, de moi-même et de bien d’autres. Nous parlions plutôt d’autosuffisance alimentaire avec un accent particulier sur le bien-être des producteurs et des travailleurs. Comme nous avions fait campagne dans cette direction, Dieu a voulu que je sois ministre de l’Agriculture et de la Pêche.
Il faut savoir que quand j’étais ministre de l’Agriculture, le pays avait atteint l’autosuffisance alimentaire et que nous exportions le surplus à l’étranger. Également, nous exportions toute une gamme de variétés de fleurs, de légumes et de fruits, et Maurice envahissait le marché européen.
Nous avions ciblé même Singapour et le Japon. Nous exportions aussi des fruits de mer, tels que des langoustes, des crevettes, des huîtres… Imaginez la prospérité des planteurs, des producteurs, des travailleurs de l’époque… Car les prix à l’exportation étaient beaucoup plus intéressants que sur le marché local. Lorsque les producteurs pouvaient exporter tout cela, ils arrivaient à mettre sur le marché les mêmes produits à des prix défiant toute concurrence. Tout le monde était content.
D’après vous, pourquoi n’arrivons-nous pas à atteindre l’autosuffisance alimentaire aujourd’hui ?
J’étais très strict en ce qu’il s’agit des Mauriciens habitant sur la côte. J’avais demandé aux propriétaires de bungalows et de campements de préserver la nature, l’environnement et nos lagons. Auparavant, tout le monde se souvient que nous pouvions avoir des fruits de mer facilement dans les régions côtières. Nous avions créé des barachois un peu partout et il y avait de l’élevage de plusieurs variétés de poissons et de crustacés.
Maintenant, avec le développement axé sur le béton un peu partout, les choses ont changé. J’avais objecté à la construction de jetées et, finalement, j’étais devenu très impopulaire auprès des financiers. Maintenant, tout le monde est libre de faire des développements sur les côtes sans aucun contrôle.
Auparavant, j’avais aboli presque totalement la taxe de sortie sur le sucre et j’ai voulu que les sucriers soient prospères, mais en même temps, je voulais qu’il y ait un partage des richesses de manière équitable. C’est d’ailleurs pourquoi je suis venu avec la Sugar Efficiency Act. J’ai donc insisté pour que les établissements sucriers mettent des terrains agricoles à la disposition des planteurs du village à travers le concept de plantation entre les lignes. Malheureusement, certains ont voulu fermer des usines sucrières.
Je me suis opposé à cette pratique, car j’avais cité l’usine sucrière de Saint-Antoine comme exemple au monde entier. J’avais introduit l’énergie renouvelable et je disais à l’époque que Maurice pourrait être plus tard autosuffisant en termes d’énergie renouvelable. Raison pour laquelle j’ai initié et innové avec la production d’électricité par les usiniers, non seulement avec la bagasse, mais également avec la biomasse. J’avais même mobilisé les municipalités et les conseils de villages pour l’utilisation d’ordures.
Je privilégiais cette pratique, car nous avions un problème avec le site d’enfouissement de Mare-Chicose et celui de Mare d’Australia. Il fallait donc mettre l’accent sur d’autres formes d’énergie renouvelable, comme le solaire et l’éolienne. En d’autres termes, j’avais déclaré la guerre aux importateurs de charbon et de carburant. Et j’ai été kicked out of government.
Je voulais que Saint-Antoine soit un modèle non seulement en termes de production de sucre bio, mais aussi de légumes en grande quantité. J’avais même fait un discours au niveau international. J’avais pris une poignée de terre des plaines du Nord pour dire voilà, the most fertile soil in the world but nothing is growing there, why because there is no water, there is no irrigation.
Après ce discours, plusieurs pays et organisations internationales, tels que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ont fait la queue devant moi pour m’offrir leur assistance. Le représentant de la commission européenne à Maurice avait fait un survol en hélicoptère pour voir comment l’eau de Grande-Rivière-Sud-Est, de Grande-Rivière-Nord-Ouest et d’autres rivières allaient directement à la mer pour polluer les lagons.
Nous avons finalement obtenu beaucoup d’argent pour approfondir La-Nicolière et nous sommes venus avec le projet du Midlands Dam. Mais le gouvernement était en faveur du projet SAJ Dam de Grande-Rivière-Nord-Ouest. C’était donc SAJ Dam contre Midlands Dam (rires). Finalement, j’ai été renvoyé du gouvernement alors que j’avais plein de projets d’irrigation et de distribution d’eau à Maurice, y compris le Bagatelle Dam et le Rivière-des-Anguilles Dam.
Est-ce à ce moment que vous avez formé le MMSM ?
J’ai formé le MMSM après la révocation du gouvernement, le 8 avril 1994, et en 1995 j’ai démarré une tournée à travers l’île, comme c’est le cas maintenant. Le MMSM était une combinaison du MMM et du MSM. Puisque j’ai donné l’emblème du soleil au MSM, j’ai décidé tout simplement de mettre un cercle autour du soleil, qui représente The Wheel of Time. J’ai fondé ce parti après avoir consulté la population sur le terrain. C’est ce que je suis en train de faire maintenant.
Après un long silence, vous revenez maintenant sur les devants de la scène politique. Pourquoi ce timing ?
Il faut savoir que la dernière fois, le MMSM était parti seul aux élections, mais nous avons été battus. J’avais d’abord contracté une alliance avec le MR et puis nous avons eu le PMSD et, finalement, le PTr s’est joint à nous.
J’ai été élu en 2000, mais nous avions perdu les élections. L’Alliance sociale est revenue en 2005 et nous avions pu cette fois les remporter. Ma conviction principale, avec Navin Ramgoolam, c’était le projet du Midlands Dam, car cela concernait l’approvisionnement en eau pour la moitié du pays en vue de l’irrigation et pour les besoins domestiques.
Comme Navin Ramgoolam était d’accord, un des premiers projets qui a été mis en place, c’était le Midlands Dam. Mais il y avait certains problèmes encore une fois, et je n’étais pas d’accord avec certaines choses au sein du gouvernement. C’est pourquoi Navin Ramgoolam m’a révoqué.
Finalement, retour au bercail au MMM, mais sous certaines conditions. Et, tout le monde sait ce qui s’est passé en 2014 et en 2019. J’ai été obligé pour la première fois de ma vie de soumettre ma démission en septembre 2021.
Je me suis dit que ma famille était tellement fatiguée de cette situation que je devais prendre un certain recul. Après avoir pu négocier avec la famille, j’ai décidé de descendre sur le terrain pour servir mon pays. J’ai été inspiré par plusieurs philosophes, des chefs d’État, des hommes religieux. Après avoir bien réfléchi, je me suis dit que je ne pouvais pas rester tranquillement dans mon coin et voir du balcon les gens souffrir. L’appel qui a été lancé par bien des gens.
Je suis en contact permanent avec Vatican News et j’ai vu une déclaration de Mgr Piat. Il y a aussi des hommes religieux hindous et des musulmans qui m’ont conseillé de venir servir le pays. Je me suis dit, pourquoi pas…
J’ai donc décidé de descendre dans l’arène encore une fois et me mettre à la disposition du pays. En ce moment, je suis sur le terrain pour décider de la marche à suivre. J’ai trois options : soit continuer avec ma retraite politique, soit relancer mon parti, soit me joindre à un parti existant. Toutes mes options sont ouvertes.
Pour moi, ma retraite politique était tout simplement un congé pris depuis septembre 2021. Mais avec la situation qui prévaut dans le pays et la situation géopolitique qui se fait sentir sur le plan international, j’ai décidé de revenir, car on peut sortir d’une situation qui semble être une impasse difficile.
Dans le passé, j’ai pu offrir mes services pour aider beaucoup de pays africains, qui sont maintenant en avance sur Maurice. Plusieurs techniciens au sein du ministère de l’Agriculture ont été sollicités pour offrir leurs services en Afrique et ailleurs. C’est pourquoi je pense que Maurice peut être un exemple pour la communauté internationale et pour toute l’humanité. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ailleurs. Le Mauricien est le symbole de l’homme universel. J’y crois fortement, et c’est ce que nous sommes. Maurice doit continuer à être la perle de l’océan Indien, mais la perle du monde entier aussi. Ce n’est pas de l’ego, c’est la réalité.
Donc, dans n’importe quel cas de figure, vous allez poser votre candidature ?
Je crois que j’y suis obligé, car j’ai eu des consultations ces derniers jours pour servir le pays et je pense que c’est en qualité de député et en tant que ministre que je suis disposé à offrir mes services. J’envisage donc d’être candidat aux prochaines élections générales.
Est-ce que je serai candidat d’un parti déjà existant ou de mon parti? Seul l’avenir nous le dira. J’ai effectué tout récemment une tournée dans certains villages du Nord et j’ai été très bien accueilli par les membres de certains partis, que ce soit le PTr ou le MSM.
Avec qui vous sentez-vous le plus à l’aise ? Le MSM ou le PTr ?
J’ai eu jusqu’ici des contacts avec des politiciens non parlementaires. J’ai été sollicité par des supporters de différents partis politiques qui sont représentés au Parlement. Je n’ai pas eu de rencontres avec des dirigeants politiques. C’est le parti auquel j’appartiendrai qui décidera où je serai candidat