Le directeur de Maurice Stratégie, Sanroy Seechurn, livre son analyse de l’économie mauricienne et dévoile ses estimations de croissance pour 2023. Il prévoit un taux de 7,3% pour cette année et explique que la création de Maurice Stratégie est entièrement axée sur la résolution de ces enjeux de taille, qui deviennent de plus en plus pressants. « Par les recherches conduites, Maurice Stratégie a vocation à nourrir le débat autour de ces questions et apporter des pistes de réflexion pour y faire face. Ce n’est pas seulement le monde qui est de plus en plus interconnecté, mais aussi les défis », souligne-t-il. Sanroy Seechurn est titulaire d’un Msc en Economics & Development Economics de la Nottingham University et d’un BSc (Hons) en économie et finance de l’Université de Maurice. Le directeur de Maurice Stratégie compte une décennie d’expérience dans les domaines de la recherche et de la planification économique. Il a travaillé notamment à la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI) et à l’Economic Development Board (EDB) où il occupait le poste de directeur du département responsable de la planification stratégique.
Maurice Stratégie est devenue une entité autonome depuis avril de cette année. Pouvez-vous situer l’importance de cette nouvelle instance? Vient-elle combler une lacune, à savoir l’absence d’un ministère du Plan et du Développement économique, ou est-ce un simple Think-Tank au service du gouvernement ?
Je dois rappeler que la création de Maurice Stratégie avait été annoncée dans le discours budget 2022/2023. Elle aura, entre autres, la responsabilité de contribuer aux débats et à l’action publique au travers des recommandations pour soutenir des choix collectifs sur le plan social, économique et environnemental.
Maurice Stratégie se positionne comme plateforme visant à réunir les secteurs public et privé de même que les universitaires et la société civile. Le but : s’assurer que la voix de tous les partenaires puisse non seulement être entendue, mais qu’elle soit également prise en compte lors des décisions politiques.
L’institution est actuellement dans la phase de renforcement de ses capacités en matière de recherches. Nous avons jusqu’ici effectué des études sur le marché du travail et sur les réformes fiscales. Ces travaux ont beaucoup influencé des Policy Decisions.
Maurice Stratégie s’appuiera énormément sur la recherche pour proposer des Evidence-Based Policy Recommendations aux décideurs politiques. C’est ainsi que nous définirons une stratégie à long terme pour le pays. Celle-ci passera bien évidemment par un processus de consultation sur le plan national.
Nous travaillons avec l’Agence française de Développement (AFD) et Expertise France ainsi qu’avec d’autres institutions internationales dans le cadre de nos travaux de recherches.
Maurice Stratégie a aussi un apport dans le budget 2023-24, pouvez-vous nous en parler ?
Que ce soit directement ou indirectement, Maurice Stratégie a été d’un certain apport à la préparation du dernier budget. Nous avons été sollicités par le ministère des Finances, de la Planification économique et du Développement pour apporter un soutien en matière d’analyses économiques et économétriques. Ce qui a permis d’évaluer l’impact des différents scénarios en ce qu’il s’agit de la réforme de l’impôt sur les revenus.
Notre modèle économétrique nous offre la possibilité d’évaluer la dynamique et l’impact des changements dans la politique fiscale. Pour être plus précis, le modèle prend en considération non seulement l’impact direct mais aussi indirect et catalytique sur les indicateurs macroéconomiques.
C’est la meilleure option qui a été retenue par le ministère des Finances. Selon nos recherches, la réforme annoncée par le ministre, Renganaden Padayachy ajoutera, toutes choses égales par ailleurs, 0,6% à notre Produit intérieur brut (PIB) tandis que le manque à gagner en matière de Personal Income Tax sera compensé par des hausses attendues au niveau de la TVA et des droits d’accises.
La participation de Maurice Stratégie marque une étape historique dans le processus de préparation budgétaire, particulièrement dans l’analyse et l’évaluation d’une réforme majeure. Nous avons publié le jour même de la présentation du budget nos hypothèses de travail dans un document intitulé Economic and Social Impact Analysis Report.
Cet exercice nous a également permis d’analyser l’impact des mesures sociales dévoilées par le ministre des Finances. Nos estimations de croissance tiennent compte de tous ces éléments.
Je dois vous dire que Maurice Stratégie a également étudié la problématique de la pénurie de main-d’œuvre sur le marché local. Un document avait été soumis au ministère des Finances. L’étude démontre qu’actuellement il y avait un manque de 32 800 personnes sur le marché du travail. Une situation qui coûte à l’économie mauricienne jusqu’à 5,3 % du PIB.
Un comité avait été institué pour se pencher sur le rapport, et des mesures correctives ont été introduites dans le budget 2023/2024.
Le budget, malgré qu’ayant été bien accueilli dans l’ensemble, a aussi fait l’objet de critiques. Le leader de l’opposition considère que les mesures ne sont pas suffisantes pour soulager les effets directs de l’inflation. Il estime que le ministre des Finances s’appuie sur l’inflation pour obtenir des revenus additionnels ? D’autres commentateurs avancent que le budget repose trop sur la consommation ? Votre réaction.
Une inflation élevée apporte certes plus de revenus. Mais, elle n’est certainement pas l’unique résultat. Il ne faut pas oublier qu’une augmentation des dépenses du gouvernement – que ce soient les dépenses courantes ou les dépenses d’investissement – entraîne aussi une hausse des revenus.
Au regard de l’ensemble des mesures qui ont été prises pour soutenir le pouvoir d’achat des Mauriciens, le ministre des Finances n’est certainement pas en train de laisser filer l’inflation.
Il a adopté une approche prudente en alliant une gestion des finances publiques responsable à une politique bienveillante en faveur des plus vulnérables de la société.
Ce qui nous mènera à une croissance significative de 8% pour l’année fiscale 2023/2024 avec un impact positif sur les revenus. Les chiffres publiés par Statistics Mauritius montrent une tendance positive dans tous les secteurs d’activités. Cela a été confirmé par le Quarterly Economic Survey de Maurice Stratégie. Une enquête a été menée auprès de quelque 200 entreprises pour comprendre le sentiment économique des opérateurs privés. Le dernier sondage révèle que les opérateurs sont très positifs par rapport à leurs activités que ce soit maintenant ou pour le futur.
En ce qu’il s’agit de la consommation comme moteur de croissance, ce n’est pas nécessairement vrai. L’investissement et l’exportation de biens et services augmentent et continuent de gagner du terrain. Ils impacteront de manière significative la création de la valeur dans l’économie.
Les mesures annoncées pour soutenir le pouvoir d’achat auront également une incidence positive. Mais leurs effets devraient être analysés à un niveau différent. Ces mesures sont orientées vers ceux qui se trouvent au bas de l’échelle sociale. Nous travaillons actuellement sur une étude portant sur l’impact des inégalités.
En utilisant un modèle de micro-simulation que nous avons développé, nous voyons que les mesures annoncées ont contribué à réduire le coefficient de Gini de 0.400 à 0.304. Une baisse dans les inégalités est souvent liée à une hausse dans la croissance potentielle à long terme d’une économie.
L’année dernière, votre modèle économétrique avait annoncé une croissance économique de 8,9%. Quel devrait être le taux de croissance de l’économie en 2023 et 2023-2024 ?
Le modèle économétrique que nous utilisons est l’un des plus avancés dans sa catégorie. Il a la capacité d’établir des prévisions pour certains indicateurs macro-économiques. Notre modèle avait effectivement annoncé une croissance de 8,9% pour 2022 alors qu’à l’époque certaines institutions tant locales qu’internationales prévoyaient une croissance oscillant autour de 6% pour l’année. Les derniers chiffres de Statistics Mauritius justifient le besoin d’avoir des modèles plus pointus pour obtenir des résultats plus précis.
Notre modèle est une innovation en elle-même dans le paysage économique du pays. Nous en avons bien besoin. Un pays comme Maurice doit éviter d’avoir des prévisions imprécises basées au pire sur de l’à peu près ou au mieux sur des modèles simples reposant sur des analyses tendancielles au lieu sur des analyses d’impact de politiques, voire sur la dynamique économique.
C’est pour cette raison qu’à une certaine époque certaines institutions connues avaient pour habitude de surestimer leurs projections. Or, il semblerait que désormais elles sous-estiment leurs projections. Est-ce qu’elles arrivent à saisir pleinement les fondamentaux de l’économie mauricienne ?
Le problème est que de telles prévisions sont capables d’influencer les décisions d’affaires, plus particulièrement ceux qui n’ont pas les moyens de bien s’informer.
Pour 2023, Maurice Stratégie prévoit que l’économie va maintenir une trajectoire de croissance solide avec une expansion du PIB de l’ordre de 7.3% tiré par le tourisme, une hausse de l’investissement public, plus particulièrement dans les logements sociaux ainsi que les effets de la consommation dans le sillage des récentes mesures budgétaires. Notre Economic Outlook, qui sera publié prochainement, expliquera davantage nos prévisions.
Certains analystes ont critiqué la politique économique du gouvernement arguant qu’il faut avoir recours à une dose d’austérité dans la conjoncture. Qu’en pensez-vous ?
Pour répondre à cette question, un exercice de comparaison me semble utile. Nous avons été témoins de l’expérience ratée de l’austérité qui a été pratiquée, à Maurice et ailleurs, pendant la grande crise financière de 2008-2009. À tel point que cela avait même forcé le Fonds monétaire internationale (FMI) à signaler en 2012 que ses prévisions pour les pays qui avaient mis en œuvre des programmes d’austérité étaient constamment trop optimistes, et à avancer que les hausses d’impôts et les réductions de dépenses ont fait plus de dégâts que prévu.
À l’inverse, le FMI avait souligné que les pays qui avaient mis en œuvre des mesures de relance budgétaire, comme l’Allemagne et l’Autriche, ont fait mieux que prévu.
En fait, l’austérité est sans doute le pire des remèdes en cas de récession mondiale, donnant vie à un dérivé de ce que les économistes appellent le paradoxe de l’épargne. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, a même qualifié l’austérité d’illusion. Une réduction des mesures de relance budgétaire aurait tué dans l’œuf toute forme de reprise, car l’importance du multiplicateur budgétaire en tant que facteur de croissance majeur a été démontrée à maintes reprises.
L’austérité fonctionnerait encore moins sans réformes structurelles, qui incluent des changements dans la structure fiscale ou les politiques du marché du travail, et, comme l’ont expliqué plusieurs économistes éminents tels que Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart de Harvard University, si elle est mal conçue, l’austérité peut frapper de manière disproportionnée les plus vulnérables et la classe moyenne.
Par conséquent, et compte tenu des événements des trois dernières années, il est hautement probable qu’une politique d’austérité aurait eu un effet dépressif sur la reprise et affecté le potentiel à long terme de l’économie mauricienne. La stratégie du gouvernement, pour protéger l’économie afin d’assurer sa relance post-Covid tout en conduisant des réformes d’envergure, va dans la bonne direction.
D’après Business Mauritius, les principaux défis auxquels le pays est confronté sont l’attraction et la rétention des talents, mettre les ressources nécessaires au service des secteurs émergents, la population vieillissante et ses conséquences au niveau des pensions universelles, l’innovation, la nécessité de bien définir la stratégie africaine, l’adaptabilité climatique du pays. Partagez-vous ce point de vue ?
Quant au contexte international et aux enjeux majeurs du monde actuel, l’économie mauricienne est certainement confrontée à plusieurs défis. Vous en avez cité quelques-uns. Pour les relever, il convient d’analyser ceux auxquels nous pouvons apporter une réponse efficace, concrète et mesurable. Nos réponses doivent donc être préparées en conséquence.
L’idée qui sous-tend la création de Maurice Stratégie est entièrement axée sur la résolution de ces enjeux de taille, qui deviennent de plus en plus pressants. Par les recherches conduites, Maurice Stratégie a vocation à nourrir le débat autour de ces questions et apporter des pistes de réflexion pour y faire face. Ce n’est pas seulement le monde qui est de plus en plus interconnecté, mais aussi les défis.
L’économie, la société et l’environnement sont inexorablement liés, et les décisions prises pour une partie ont la capacité d’influencer le tout, parfois même de manière disproportionnée et négative. Il est donc nécessaire d’adopter une approche globale et factuelle pour résoudre ces problèmes. Il est tout aussi important de les classer par ordre de priorité dans un contexte de ressources limitées. Des choix devront être faits. Maurice Stratégie travaillera avec le secteur privé, la société civile et l’ensemble de la population pour rendre ces choix non pas les plus faciles à faire, mais les plus pertinents.
L’endettement reste élevé et le FMI a rehaussé le plafond autorisé à 80%. Sa réduction à 70% du PIB est-elle un rêve ou une réalité ?
Pour la tendance des 24 derniers mois, c’est tout à fait dans le domaine du possible. Maurice est un des seuls pays au monde à avoir réussi une baisse de son taux d’endettement ces dernières années.
La dette publique est déjà en dessous de l’ancrage fiscal du FMI que vous mentionnez, à 80% du PIB. Le ministre des Finances, de la Planification économique et du Développement a pu mettre en place une stratégie pour rabaisser le niveau de la dette par rapport au PIB suite à la pandémie, et depuis un plan parfaitement réalisable pour le réduire à 60,2 % d’ici 2025/26.
Au sortir de la pandémie, les mesures de relance ont connu un succès effectif. Certaines d’entre elles, s’inscrivant dans la durée, sont en cours d’implémentation avec des résultats positifs attendus au moyen et long terme. Je parle ici des mesures budgétaires annoncées pour développer de nouveaux secteurs et, surtout, des objectifs fixés en termes de réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Ce dernier point aura un impact direct et positif sur le PIB puisque les importations de combustibles, qui pèsent lourdement sur notre compte courant et in fine sur l’équation de production, seront remplacées par des méthodes de production d’une énergie locale et renouvelable.
Quoi qu’il en soit, les niveaux d’endettement élevés sont devenus une caractéristique permanente des économies développées et en développement. La dette utilisée pour financer des projets et des initiatives de développement durable ne doit pas être perçue comme une mauvaise chose, mais plutôt comme un investissement dans le développement à long terme d’une nation et comme un moyen d’améliorer le bien-être des citoyens, ce qui est, en fin de compte, la finalité de toute action gouvernement.
Moody’s a maintenu la notation de Maurice au même niveau, ne craignez-vous pas le pire ?
Non. Il est factuellement établi que l’économie mauricienne se porte mieux que l’année dernière, et bien mieux que l’année précédente. Maurice est clairement dans un cercle de croissance vertueuse avec des effets positifs sur l’emploi et l’investissement.
Une lecture objective de la Credit Opinion de Moody’s montre que la nouvelle fourchette de notation souveraine de Maurice a été revue à la hausse de deux échelons à Baa1-Baa3. Et pour cause, tous les indicateurs économiques sont à la hausse, les arrivées touristiques frôlent leur niveau d’avant la pandémie alors que leurs dépenses le surpassent déjà. Au regard de la croissance soutenue et de la baisse continue du ratio dette publique/PIB, il n’y a aujourd’hui aucune raison de croire que les notations futures seront revues à la baisse.
Cette tendance positive est confirmée par Standard & Poor’s, dont l’analyse récente souligne que « la croissance tendancielle du PIB réel par habitant du pays est bien supérieure à celle des États souverains de la même catégorie » et attribue à Maurice la note BBB-/A-3 Outlook Stable, confirmant ainsi le statut d’Investment Grade de notre juridiction.