La Journée des droits des personnes âgées a été célébrée le mois dernier, mais cela n’est pas une excuse pour ne pas en parler à la moindre occasion. Avec une population vieillissante — soit près de 250 000 personnes touchant le Basic Retirement Pension à ce jour —, le pays enregistre environ 100 plaintes de maltraitance de personnes âgées chaque mois à Maurice ! Nous avons discuté avec l’avocate Me Mokshda Pertaub, fondatrice de l’organisation non gouvernementale (ONG) MPower, qui a récemment organisé avec l’aide de l’association Anangel un séminaire destiné aux personnes âgées, à Saint-Hilaire. Une initiative avant tout pédagogique qui lève le voile sur un sujet encore tabou dans notre société…
« Il faut empower les gens. C’est ça la clé », nous dit d’emblée Mokshda Pertaub, à la tête de l’institut de formation légale Lex Aquila Advocates. Celle qui a occupé plusieurs postes clés au sein du département légal mauricien, et qui connaît toutes les lois du bout des doigts, est aujourd’hui une fervente et ardente défenseure des droits humains, contre toutes formes de violence, quelles qu’elles soient.
« J’en avais marre de devoir me taire dans la magistrature, j’ai donc décidé de retourner à la profession, et aujourd’hui j’aide là où je peux et qui je peux. » Avec la création de MPower il y a un an, Mokshda Pertaub et son équipe ont pour principal objectif de vulgariser la loi, de la rendre accessible à tous et à toutes. Dans son association, l’on compte des professionnels légaux, de la santé mentale, mais aussi des citoyens lambda engagés.
Interpellée par la recrudescence des cas de violence ces dernières années, Mokshda Pertaub s’inquiète. « À Maurice, ce que je remarque, c’est l’aggravation des délits. Avant, les hommes battaient les femmes, aujourd’hui, ils les tuent. Avant, on violentait les personnes âgées, maintenant on les viole, on les tue… Il y a un réel problème dans la société », dit-elle. Ainsi, avec l’aide de l’association Anangel, ils ont décidé d’aller à la rencontre des citoyens mauriciens pour leur parler des différentes formes d’abus dont ils peuvent être victimes et des solutions qui existent. « Le but, après tout, c’est d’être heureux et de vivre une vie paisible. Lorsque j’ai décidé de m’intéresser davantage aux personnes âgées, j’ai avant tout pensé à moi, à ce que je serai dans quelques années. Qui prendra soin de moi ? C’est de là qu’est venue cette idée d’advocate pour les droits de nos seniors en allant à leur rencontre, dans les villages, et autres. »
Mokshda Pertaub parle ainsi des nombreux cas de violences physiques et sexuelles, mais aussi de cas de violences psychologiques et émotionnelles enregistrés sur le territoire, avec une centaine de cas par moi. Mais encore, ces derniers ne sont que le « tip of the iceberg. » « À Maurice, l’on voit qu’il y a beaucoup de cas de violence verbale envers les personnes âgées », regrette-t-elle.
« Mo zanfan sa, ki mo pou fer ? »
« Ce sont des actes condamnables par la loi évidemment, mais quelles sont les preuves ? Comment présente-t-on de tels cas devant un juge ? C’est pour cela que nous allons parler aux seniors pour leur dire qu’il est important de s’émanciper, d’être autonomes. Apprendre à utiliser un smartphone en est un parfait exemple. Ainsi, pendant une altercation, elles peuvent enregistrer ou filmer tout ce qui se passe », dit-elle. De plus, elle remarque que les personnes âgées victimes de cas de violence vont souvent se rétracter, car « mo zanfan sa, ki mo pou fer ? » Une excuse inadmissible pour l’experte légale qui a vécu et travaillé en Inde pendant près de 10 ans. « L’on ne peut pas tolérer de telles choses. »
Elle soutient aussi que beaucoup de seniors se font arnaquer en ligne, pour ceux qui ont des comptes sur les réseaux sociaux. « Ils ne savent pas comment faire pour dénoncer ces arnaques et malheureusement, ils écoutent trop souvent le voisin, la cousine, l’oncle, mais je leur dis toujours : eski bann-la avoka ? » dit-elle, d’un ton ferme. Les abus financiers aussi sont extrêmement courants et trop souvent passés sous silence.
« Avec l’augmentation de la pension de vieillesse, c’est très bien, tout le monde est content, mais est-ce que nos seniors en profitent-ils vraiment ? Beaucoup de parents mauriciens vendent leur terrain pour financer leur enfant à l’étranger. Chose que l’on peut comprendre dans la conjoncture économique, car il n’est pas facile pour un jeune d’acquérir un terrain de nos jours, mais quid du bien-être des parents qui vieillissent et de leur qualité de vie qui se détériore ? »
Informer sur le patrimoine successoral
Pour elle, il n’y a pas d’autres solutions : il faut s’attaquer au problème de la violence à la source même et il faut éduquer la population sur ses droits fondamentaux. « Nous avons aussi beaucoup de personnes âgées qui ne savent pas qu’elles peuvent déshériter un enfant abusif. La “succession” dite aussi “patrimoine successoral” est le nom donné à l’ensemble des biens, des droits et des actions qui appartenaient au défunt à la date de son décès. Et il est à noter que les enfants ne peuvent pas demander à toucher leur part d’héritage ; c’est les parents qui sont prioritaires et qui décident s’ils veulent permettre aux enfants de toucher leur part d’héritage. »
Par ailleurs, Mokshda Pertaub soutient que dans ce cas-ci, la loi mauricienne protège. Elle explique qu’il y a ainsi le Code Civil Mauricien, la Protection of Elderly People Act 2005, la National Pensions Act, l’Equal Opportunities Act ou encore la Senior Citizens Council Act. Très engagée auprès des femmes et des enfants, elle est unanime : il faut que les citoyens connaissent leurs droits. « On ne le dira jamais assez ! Je travaille beaucoup auprès des femmes, et je dis toujours qu’il est important de connaître son partenaire, de savoir quel est le trigger point de ce dernier dans des cas de violence. Cela peut sauver une vie. Et tout cela, on nous l’apprend dans nos cours de formation des experts légaux. Ils doivent pouvoir en parler autour d’eux. »
Mokshda Pertaub garde espoir. Après une vingtaine d’années en robe noire, témoin de tous les déboires de la société mauricienne, elle croit que les choses peuvent changer si d’autres professionnels et citoyens, comme elle et son équipe, s’engagent à éduquer les autres, à disséminer les bonnes informations. « Pour résoudre le problème de la violence, qu’elle soit contre les personnes âgées, les femmes, les enfants, il faut comprendre la source du problème. Et pour comprendre la source, il faut d’abord réaliser qu’il y a un problème et tout cela n’est possible qu’avec l’éducation, la sensibilisation, la formation. »
“Ageing population” et seulement 46 maisons de retraite
Navinee Ramnial, membre de MPower et d’Anangel, est elle aussi du même avis. “Selon des statistiques récentes, il a été signalé qu’il y a environ 100 plaintes de maltraitance des personnes âgées chaque mois à Maurice. Cela témoigne d’une prévalence préoccupante de la maltraitance envers les personnes âgées dans le pays. Il est essentiel de faire face à ce problème et de travailler à une meilleure protection et un meilleur soutien pour la population âgée. Les efforts doivent se concentrer sur la sensibilisation, le renforcement des mesures préventives et la disponibilité de ressources pour lutter efficacement contre la maltraitance des personnes âgées.”
De plus, elle soutient que pour rendre la vie des seniors plus facile, à Maurice, notamment en termes d’infrastructures adaptées, elle explique qu’il « est important d’augmenter le nombre de maisons de retraite et de centres de jour pour offrir des options de logement adaptées aux personnes âgées. De plus, la mise en place de services de transport accessibles aux personnes âgées faciliterait leurs déplacements et leur participation à la vie sociale. Une collaboration continue entre les différents acteurs est essentielle pour garantir un soutien adéquat et améliorer la qualité de vie des seniors à Maurice. » Quant aux maisons de retraite, elle avance qu’il « est important de noter qu’il y a actuellement seulement 46 maisons de retraite à Maurice. Il est donc nécessaire de développer davantage de structures pour répondre aux besoins croissants de la population âgée. L’expansion du nombre de maisons de retraite permettrait d’offrir plus d’options de logement aux personnes âgées et de leur fournir des services de qualité adaptés à leurs besoins spécifiques. »
Les différentes formes de violence envers les personnes âgées sont :
(1) Maltraitance physique : Il s’agit de l’utilisation de la force physique ou de la violence qui entraîne des blessures, des douleurs ou une détérioration de la santé physique d’une personne âgée.
(2) Maltraitance psychologique : Cela comprend des actes verbaux ou non verbaux visant à humilier, intimider, ridiculiser, menacer ou isoler émotionnellement une personne âgée. Cela peut causer une détresse émotionnelle, une perte d’estime de soi et une altération de la santé mentale.
(3) Exploitation financière : Cela implique l’exploitation des ressources financières ou des biens d’une personne âgée, que ce soit par la fraude, la coercition, l’abus de confiance ou le vol. Cela peut avoir un impact significatif sur la sécurité financière et le bien-être général d’une personne âgée.
(4) Négligence : La négligence peut prendre différentes formes, telles que l’omission ou le refus de fournir des soins de base, des besoins médicaux, de la nourriture adéquate, de l’hygiène personnelle ou un environnement sûr à une personne âgée.
(5) Maltraitance institutionnelle : Cela se produit dans les établissements de soins où des abus ou une négligence systématique peuvent se produire, affectant la santé et la sécurité des personnes âgées résidant dans ces institutions.
Pour y faire face, Navinee Ramnial, membre de MPower et d’Anangel, soutient qu’il est essentiel de mettre en place une approche multidimensionnelle avec la Sensibilisation et l’éducation ; le renforcement des politiques et de la législation ; la formation des professionnels de la santé et des travailleurs sociaux et la mobilisation de ressources et la mise en place de systèmes de soutien aux victimes.