Kevin Ramkaloan (Business Mauritius) : « Maurice peut se positionner en pilote pour la région à plusieurs niveaux »

Kevin Ramkaloan, Chief Executive Officer (CEO) de Business Mauritius, se dit convaincu que Maurice peut se positionner en pilote sur plusieurs plans : en développement durable et adaptabilité au changement climatique, pour n’en citer que deux.

- Publicité -

« Offrant l’éducation jusqu’au niveau supérieur, Maurice a une population de plus en plus instruite, qui est déjà nettement plus ouverte sur le monde que beaucoup de populations. Notre positionnement nous offre le meilleur des mondes : géographiquement entre l’Afrique et l’Asie, culturellement entre l’Occident et l’Orient. Nous sommes au cœur de l’océan Indien, lui-même source de richesse culturelle et de potentiel de croissance », souligne-t-il. Il passe également en revue la situation économique du pays et souligne la nécessité d’une roupie stable.

Business Mauritius a accueilli favorablement les mesures budgétaires lors de la présentation du budget 2023-2024 le 2 juin dernier. Avec le recul, quels sont les points forts de ce budget ?

Au sein de la communauté des affaires, nous accueillons favorablement quelques avancées importantes pour ce qui est de l’attractivité et la compétitivité du pays. Nous notons ici plusieurs changements positifs, notamment la facilitation des processus pour le recrutement de la main-d’œuvre étrangère, et le principe de Silence is Consent dans les demandes de permis. Pour ce qui est de la compétitivité, l’abolition de la Solidarity Levy enlèvera un fardeau qui, autant qu’elle avait pu être nécessaire durant la crise sanitaire, a lourdement impacté la compétitivité de Maurice vis-à-vis des talents et investisseurs.
Dans le secteur énergétique, nous saluons les mesures visant à accroître l’investissement dans les énergies renouvelables. Parmi, les mesures pour promouvoir la production d’énergie solaire photovoltaïque et thermique ; l’inclusion du secteur ICT dans le Carbon Neutral Industrial Sector (CNIS) ; les prix fixés du National Biomass Framework (à qui il reste cependant de définir les prix des biomasses non-cannières) ; ainsi que le moratoire sur la hausse des tarifs d’électricité pour les entreprises qui se sont engagées à améliorer leur mix énergétique. Le secteur bancaire local sera, pour sa part, impacté par certaines mesures prévues dans l’annexe du budget. Une solution devrait être trouvée pour préserver sa compétitivité.

Ce budget est présenté dans un contexte international difficile et en pleine transition. Quel regard jetez-vous sur la situation économique internationale, en particulier les pays qui sont nos principaux partenaires économiques ?

L’incertitude qui marque aujourd’hui l’économie mondiale est indéniable. Si la crise sanitaire est à présent derrière nous, les économies de par le monde demeurent néanmoins fragiles : une situation qui a été exacerbée par la guerre russo-ukrainienne. Selon le World Economic Outlook publié par le FMI en avril 2023, la croissance mondiale devrait même baisser jusqu’à 2,8 % en 2023, contre 3,4 % en 2022.

L’inflation dans plusieurs économies a, quant à elle, atteint des niveaux inédits depuis des décennies, principalement en raison d’une demande refoulée, de perturbations de l’offre et d’une flambée des prix des produits de base. Si nos liens avec nos principaux partenaires, tels l’Union européenne et le Royaume-Uni restent solides, nous notons cependant que le taux de croissance projeté pour les économies avancées devrait chuter de 50% en 2023 pour atteindre 1,3%, selon le FMI.

Je pense qu’il existe, cependant, un potentiel considérable à exploiter dans nos relations avec les économies émergentes, notamment l’Inde, la Chine et le Moyen-Orient, où nous notons des perspectives économiques favorables. Même si les nouvelles prévisions de croissance pour 2023 y sont légèrement inférieures à celles émises en janvier 2023 par le FMI, il n’empêche que ces pays présentent des opportunités intéressantes en coopération et collaboration pour Maurice.

Quel est votre diagnostic de la situation économique au niveau local dans le sillage de la pandémie ?

Sur le plan local, l’économie continue de se remettre de la pandémie. Après une reprise technique en 2022, essentiellement due au tourisme, représentant plus de 50% des résultats de la croissance économique, les projections locales et celles du FMI convergent pour annoncer une croissance du PIB d’environ 5% cette année.

Les principaux moteurs seraient les secteurs du tourisme, des TIC et des services financiers. Avec les 5% de croissance prévus, l’économie mauricienne reviendrait près de son niveau d’avant la pandémie, en termes de roupies constantes. Cette année a effectivement vu la réouverture complète du secteur touristique ainsi que la réouverture de la politique aérienne.

Malgré notre positionnement géographique éloigné, nous avons constaté que l’engouement pour le voyage connaît un regain d’énergie, surtout auprès de nos marchés traditionnels. Avec la nouvelle flexibilité dans le recrutement de la main-d’œuvre étrangère, le secteur touristique et l’ICT peuvent aujourd’hui prétendre à remplir leurs commandes, ce qui présage une santé économique renforcée. Nous devons, cependant, rester vigilants sur le plan international où l’incertitude prévaut encore, et il est impératif que nous consolidions notre résilience.

Il sera aussi important de poursuivre notre politique de diversification, car la croissance aujourd’hui peut nous parvenir d’Asie, d’Afrique ou d’autres états émergents. Il faut souligner ici que les touristes chinois ne sont pas encore revenus à Maurice, l’appétit du voyage n’ayant pas encore réellement repris en Chine.

Quels sont les principaux défis auxquels le pays est confronté ?

Au niveau des affaires, nous pouvons identifier six défis majeurs auxquels est confrontée l’économie mauricienne. Le premier reste l’attraction et la rétention des talents, où il sera impératif de développer une stratégie holistique à long terme, ce qui comprendra la formation, l’orientation professionnelle et la convergence entre les propositions de formation et les besoins précis du marché de l’emploi.

Deuxièmement, nous devrons mettre les ressources nécessaires au service des secteurs émergents, notamment l’industrie santé/pharmaceutique et l’économie bleue, mais aussi l’Education Hub qui offre déjà des opportunités intéressantes pour Maurice dans la région.
Un troisième défi se dessine peut-être autour de la question de la population vieillissante qui s’accompagne d’une pension universelle devenant de plus en plus généreuse, et qui rendra nécessaires des mesures telles, par exemple, un plan d’immigration stratégique.
Quatrième défi : l’innovation. Nous reconnaissons les moyens mis en place pour soutenir les start-up et les incubateurs, mais il sera question de développer une stratégie plus avancée, qui pourra intégrer plus de recherche et d’innovation, et qui optimisera l’usage et le développement des avancées technologiques, notamment en fintech ou encore en intelligence artificielle.

Le cinquième défi concerne la stratégie africaine de Maurice, qui demande aujourd’hui une définition plus pointue et un plan d’action concret. Nous saluons d’ailleurs les mesures autour du Africa Warehousing Scheme et les accords commerciaux qui permettent de renforcer la position de Maurice. Il faut encore, toutefois, améliorer la connectivité de Maurice, tant au niveau aérien que maritime, et se pencher sur la question de la compétitivité du port.

Le sixième défi, qui sera sans doute le plus important reste l’adaptabilité climatique du pays, un défi qui demande une transformation technique à plusieurs niveaux, parmi le passage à une économie circulaire et l’élimination du plastique, mais aussi une adaptation vis-à-vis des pertes et dommages associés au changement climatique.

L’inflation importée continue à être une source d’inquiétude. À Maurice elle est estimée à 6,8% par la Banque de Maurice pour 2023. Est-ce que c’est suffisant ?

Même s’ils sont à la baisse, les prix à l’international sont toujours hauts. L’indice mondial des prix de tous les produits de base a chuté de son pic de 241,9 en août 2022 à 158,3 en mai 2023, mais il reste néanmoins supérieur à son niveau d’avant la pandémie notamment le prix du pétrole (brent). La projection pour l’année sera d’environ 80 USD le baril. Selon le Global Container Freight Index, le coût du fret est presque équivalent au niveau d’avant la pandémie.

Malgré ces indications, la dépréciation de la roupie mauricienne, surtout par rapport au dollar, continue de peser lourd sur le coût de nos importations. En parallèle, la hausse des salaires, rendue nécessaire par la montée du coût de la vie, influe davantage sur le taux d’inflation. La Banque de Maurice prévoit un taux d’inflation de 6,8% pour 2023, ce qui est conforme aux prévisions de MCB Focus, toutefois inférieur à la prévision de 9,5% faite par le FMI.

Il sera nécessaire, dans ce contexte, de prendre des mesures, notamment en encourageant une plus grande consommation de produits locaux. Il nous sera aussi bénéfique de capitaliser sur nos accords avec l’Asie et l’Afrique, afin d’explorer des opportunités de produire nous-mêmes certaines commodités, notamment des matières premières pour le secteur manufacturier.

La BoM parle de stabilisation de la roupie. Est-ce que vous appréhendez une dépréciation de la roupie dans les semaines à venir ?

La stabilité de la roupie est importante. Elle s’est dépréciée par rapport aux principales devises depuis la pandémie. Jusqu’à un certain niveau, elle aide à l’exportation. Toutefois, une dépréciation additionnelle pourrait impacter plus le coût à l’importation que la compétitivité de l’exportation. Assurer la stabilité de la roupie mauricienne relève du mandat de la Banque de Maurice.

Comment avez-vous accueilli les mesures sociales contenues dans le budget ?

Pour nos membres, plusieurs des mesures visant à combattre l’augmentation du coût de la vie ont été favorablement reçues, aussi bien que celles prônant in développement inclusif. Business Mauritius avait aussi souligné, dans son mémoire budgétaire, la nécessité de mettre en place des structures qui permettraient aux femmes de participer pleinement dans le travail, et nous saluons l’initiative autour des crèches dans les zones urbaines.

Il est important à présent de nous assurer que ces mesures sont réalisables sans présenter des contraintes indues sur les entreprises. Pour certaines autres mesures tel que l’allocation de Rs 20 000 roupies dédiée aux jeunes atteignant la majorité, il serait judicieux d’accompagner cette mesure, par exemple avec un programme d’activité civique, traitant des thèmes tels l’harmonie sociale, l’identité nationale, l’environnement et le changement climatique afin de mieux les encadrer dans leur parcours personnel autant que professionnel. Les mesures sociales annoncées restent néanmoins tributaires de la question de la dette et des dépenses publiques qui devront être rationnalisées afin que ces mesures sociales soient réalisables et soutenables.

La réforme des impôts sur les revenus est diversement accueillie. On dit qu’elle sera nettement favorable aux très riches et au gros capital ? Est-ce le cas ?

La communauté des affaires reconnaît dans la réforme fiscale annoncée une opportunité importante pour rétablir la compétitivité du pays, élément crucial pour la croissance économique. D’ailleurs, nous avions fait référence à certaines études faites en 2022 démontrant le poids contraignant que la Solidarity Levy avait placé sur la compétitivité du pays, et il est devenu plus que nécessaire aujourd’hui de nous rendre à nouveau compétitifs sur le marché mondial.

Est-ce que les mesures budgétaires sont suffisantes pour stimuler la productivité et la croissance économique ?

En ce qu’il s’agit de croissance économique, nous pensons que les mesures budgétaires vont effectivement dans le bon sens, du moins pour ce qui est du court terme. En revanche, il est important de faire une distinction entre la croissance et la productivité. Cette dernière demandera, quant à elle, qu’on se penche sur des questions touchant le long terme, notamment la flexibilité au travail, sujet que traite déjà le budget national 2023-24, mais aussi la formation, l’intégration de la technologie, et un changement de Mindset vis-à-vis du travail.

La productivité au niveau du port est critiquée. Que faudrait-il faire ?

Business Mauritius avait, dans notre Budget Memo, fait ressortir le manque à gagner constitué par le manque d’efficience et de compétitivité du port. Nous avions en ce sens fait plusieurs propositions de réformes concernant le port, parmi une révision de la gouvernance du CHCL et l’élaboration d’un e-Cargo Hub Strategy qui permettrait, entre autres, d’accroître la capacité de transbordement. Il devient aussi important d’assurer la résilience climatique du port, notamment à travers des investissements tels le Port Breakwater.

Le président de Business Mauritius trouve qu’une prévision de croissance de 8% pour la prochaine année financière est un peu forte. Qu’en pensez-vous ?

Le président de Business Mauritius avait fait référence à une croissance « ambitieuse » en citant le chiffre de 8%. Il serait effectivement utile de voir les outils de modélisation utilisés pour arriver à cette estimation. Pour la communauté des affaires, la croissance proviendra cette année surtout des services financiers, de l’ICT, du tourisme et du nouveau secteur énergétique. Il existe aussi un potentiel concret dans le domaine du développement immobilier, et dans l’économie circulaire.

Dans le secteur public, il sera aussi nécessaire de nous assurer que les projets soutenus par le programme gouvernemental d’investissement puissent se développer et se mettre en exécution efficacement, notamment par rapport à l’extension du réseau métro, les structures pour l’évacuation d’eau et la décongestion des routes, ainsi que les autres projets d’infrastructure nationale annoncés.

Quid du rôle du secteur privé dans le développement économique et la création d’emplois ?

Il faut souligner qu’aujourd’hui l’emploi ainsi que les demandes d’emploi n’ont jamais été aussi forts. Ce qui est requis, cependant, c’est une certaine flexibilité vis-à-vis de la formation et de l’absorption de la main-d’œuvre. Il est moins question aujourd’hui de création d’emploi que du déploiement optimal du capital humain qui existe déjà. Ce qu’il faut mettre en exergue, ce sont des formations précises pour des besoins précis. Il y a déjà des mécanismes pourvus à cet effet, notamment le National Skills Development Programme et les formations par le biais des polytechniques.

Ces mécanismes demandent à présent un Fine-Tuning afin qu’ils puissent efficacement produire la main-d’œuvre requise. Au-delà de ça, ce qui sera primordial c’est un changement d’attitude général vis-à-vis du travail, changement qui favoriserait l’adaptabilité dans les compétences et la flexibilité dans les demandes, et ce dans le but de créer l’agilité professionnelle que requiert aujourd’hui le monde du travail.

Plusieurs mesures réclamées par le secteur privé dont une plus grande facilité pour l’importation des travailleurs étrangers ont été introduites par le gouvernement ? Peut-on s’attendre à une accélération de l’investissement privé ?

Nous saluons les mesures annoncées dans le budget pour les besoins immédiats de main-d’œuvre. Ces mesures viendront soulager les pressions sur plusieurs secteurs, et permettront de créer plus de croissance et d’investissement. Nous aurons d’ailleurs des statistiques plus détaillées à ce sujet à la publication du Business Pulse Survey de Business Mauritius qui est prévue pour la mi-septembre, mais nous pouvons déjà observer qu’il y a, dans la communauté des affaires, un intérêt grandissant pour l’investissement.

Comment est-ce que l’exode des ressources humaines locales vers l’étranger vous interpelle-t-il ?

C’est un sujet sur lequel Business Mauritius se penche depuis un moment déjà. À travers une étude élaborée l’an dernier, nous avons identifié plusieurs raisons qui pourraient expliquer ce phénomène, parmi des facteurs tels la compétitivité fiscale. Plus tôt cette année, nous avons aussi lancé le National Employee Engagement Survey, une étude qui vise à comprendre de manière globale, mais aussi par secteur, les attentes des employés vis-à-vis de l’emploi, ainsi que les facteurs susceptibles d’accroître l’engagement des employés à Maurice.

Mais avec cela, il faut aussi comprendre que la guerre des talents est un phénomène mondial aujourd’hui : par le monde, les jeunes mais même les moins jeunes s’en vont acquérir des expériences professionnelles à l’international, et c’est un modèle que Maurice devrait pouvoir accompagner plutôt que subir. En facilitant par exemple l’obtention de l’Occupation Permit, nous pourrons aussi recruter des talents étrangers qui souhaitent justement acquérir l’expérience professionnelle offerte par notre pays.

Il est important de reconnaître aussi qu’il y a de plus en plus de nos jeunes professionnels qui rentrent au bercail après avoir obtenu l’expérience étrangère, et nous devons nous donner les moyens de profiter des compétences et expertises de notre diaspora, qu’ils choisissent de rentrer ou pas. Le programme STAZ proposé par Business Mauritius effectue la connexion entre les jeunes talents et le travail, et ce modèle pourrait même être développé plus loin afin d’inclure la diaspora.

Le mot de la fin…

On fait couler beaucoup d’encre sur tous les aspects de notre pays qui peuvent et, certainement, qui doivent être améliorés, actualisés, ou ramenés à niveau international. Cependant, il suffit de mettre les pieds en dehors de Maurice pour se rendre compte de ce que ce pays a à offrir.

Offrant l’éducation jusqu’au niveau supérieur, Maurice a une population de plus en plus instruite, qui est déjà nettement plus ouverte sur le monde que beaucoup de populations.
Notre positionnement nous offre le meilleur des mondes : géographiquement entre Afrique et Asie, culturellement entre occident et orient. Nous sommes au cœur de l’océan Indien, lui-même source de richesse culturelle et de potentiel de croissance. Nos jeunes sont connectés au monde non seulement par le biais de la technologie mais de manière systémique, à travers leur ADN.

Aujourd’hui, Maurice peut se positionner en pilote pour la région à plusieurs niveaux : en développement durable et adaptabilité au changement climatique, pour n’en citer que deux. Nous devons encadrer nos jeunes, les accompagner afin qu’ils puissent saisir ces opportunités qui leur sont offertes, les encourager à rester au-devant des nouvelles technologies qui seront déterminantes pour l’avenir.

Nous devons créer des environnements inclusifs, qui permettent notamment aux femmes de mettre en exergue leurs capacités propres à conduire la croissance et l’innovation. Pour parvenir à exploiter l’incroyable potentiel de ce pays, nous prônons pour qu’une vision stratégique réalisable soit élaborée à moyen et à long terme pour l’ensemble du pays.

 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -