Le public mauricien en général suivra avec beaucoup d’attention le déroulement, devant la Cour suprême, de l’appel interjeté par le commissaire de police contre la décision de tribunal de Mahébourg de libérer sous caution les frères Bissessur et Doomila Devi Moheeputh, suite à la décision du DPP de ne pas objecter à la décision de la cour.
N’étant pas satisfait de la prise de position du DPP et du tribunal d’accorder la liberté sous caution aux suspects concernés, le commissaire de police a décidé de contester l’affaire en se passant des services du DPP pour se tourner vers un cabinet d’avocats du privé.
Au-delà des personnes concernées dans cette affaire, les citoyens lambda y voient, à tort ou à raison, un affrontement entre le bureau du DPP et le Judiciaire, d’un côté, et celui du commissaire de police, de l’autre. Ce qui, à leurs yeux, se résume à une confrontation entre le droit à la liberté de chaque citoyen garantie par la Constitution ainsi que par l’État de droit, épine dorsale de l’État mauricien, et la politique répressive pratiquée par la police.
Voilà qui ouvre une vieille plaie datant de décembre 2016, et qui avait provoqué la démission de Xavier-Luc Duval de ses fonctions de Premier ministre adjoint et du départ du PMSD du gouvernement. Ce qui avait empêché le gouvernement de présenter le Prosecution Bill, qui aurait nécessité un amendement constitutionnel pour permettre la création d’une Prosecution Commission qui, de l’avis des juristes, aurait mis en cause l’indépendance du DPP. Les décisions de ce dernier auraient pu être revues par une commission composée de trois juges. Depuis cette date, les partis de l’opposition et les Mauriciens en général sont très vigilants pour tout ce qui touche à l’indépendance du DPP. Les explications entendues au Parlement récemment concernant les motivations du PMSD n’ont pas atténué cette méfiance populaire.
Sans doute conscient du caractère sensible du sujet, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui n’ignorait pas qu’il serait soulevé par la presse, a accepté volontairement de répondre aux questions des journalistes jeudi. Il s’est montré prudent en rappelant que le DPP et le commissaire de police sont deux postes constitutionnels et qu’ils agissent en toute indépendance.
« Nous connaissons les pouvoirs de la police qui consistent à mener les enquêtes. Une fois l’enquête conclue, il revient au DPP de décider si les charges portées contre qui que ce soit sont traitées en cour. Cette collaboration doit être menée de façon à atteindre le but consistant à trouver les criminels, ceux qui violent la loi, qui pratiquent le blanchiment d’argent, ceux qui sont corrompus, ceux qui volent. Lorsqu’on met les têtes ensemble, il n’y a pas de doute que nous sommes plus efficients et que nous pouvons atteindre cet objectif », a-t-il fait comprendre. Il considère toutefois qu’il n’y a aucun problème pour le commissaire de police d’avoir recours à un homme de loi privé.
Face à cette prise de position premierministérielle, l’ex-DPP Satyajit Boolell, qui n’avait pas eu la tâche facile alors qu’il était en fonction, déplore l’omniprésence de la répression. « Dès que des poursuites au pénal sont entamées, le DPP entre en jeu. Et c’est là que son rôle est crucial. Car le DPP n’est pas là pour obtenir une condamnation à tout prix. Il doit aussi assurer un certain “fairness” envers l’accusé et veiller à ce que certains droits de l’accusé soient sauvegardés. Ce dernier peut “take over” toute poursuite au pénal qui a été entamée par la police. La scène pour un débat en profondeur sur le rôle de ces deux institutions constitutionnelles est posée. Il reviendra à la Cour suprême de mettre fin à cette situation malsaine. »
« There is a crack in everything. That’s how the light gets in », dit le chanteur et poète Leonard Cohen dans sa chanson intitulée Anthem. Nous avons foi en la Cour suprême et sommes certains que quelque chose de bien sortira des débats. Profitons de l’occasion pour souhaiter bonne fête à tous nos amis de foi musulmane !