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Arrmaan Shamachurn (président de SOS Patrimoine en Péril) : « Aucune des mesures budgétaires n’est en ligne avec nos recommandations »

Les mesures annoncées par le Grand Argentier lors du budget 2023-24 ne semblent pas faire l’unanimité auprès de l’ONG SOS Patrimoine en Péril si on se fie aux propos de son président Arrmaan Shamachurn, qui fait ressortir qu’ « aucune des annonces faites lors de cet exercice ne sont en ligne avec nos recommandations. » Dans cet entretien, Arrmaan Shamachurn souligne qu’il est primordial de lancer un inventaire général ayant pour mission de recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel et historique à Maurice.

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Quel regard portez-vous sur les mesures budgétaires 2023-24 liées à la sauvegarde et la promotion du patrimoine ?

Les attentes de SOS Patrimoine s’articulaient autour des propositions prébudgétaires faites aux autorités. Hélas, à la lumière des retombées du dernier exercice, le constat demeure qu’aucune des mesures annoncées par le Grand Argentier n’est en ligne avec nos propositions et recommandations. Le ministère des Finances et sa branche dédiée à la culture et au patrimoine les ont pourtant bien reçues par courrier. Il n’y a jamais eu de consultations ou de concertations avec les associations défendant le patrimoine. Le seul secteur n’ayant pas été invité, si je ne me trompe pas. SOS Patrimoine avait pourtant bien précisé qu’il ne faisait plus mention de subsides qui devaient nous être alloués comme c’est le cas pour les associations socioculturelles. Notre souhait demeure que le ministère des Finances octroie les ressources financières nécessaires au ministère des Arts et du Patrimoine culturel pour mener à bien ses projets. On reste sur notre faim.

Attardons-nous sur l’une des mesures budgétaires phares, en l’occurrence la création d’un parcours artistique et culturel d’une longueur de 3,8 km à Port-Louis depuis la station de métro Victoria jusqu’au quartier de Chinatown…

Ce concept ne date pas d’hier. Ce n’est pas une mauvaise mesure, loin de là, mais il n’en demeure pas moins que Port-Louis a une valeur historique dans sa globalité et, selon moi, il aurait fallu étendre ce projet dans le quatre coins de la capitale à travers un plan bien défini. Sauf que le flou subsiste autour de cette démarche sur laquelle on aurait souhaité entendre le ministre des Arts et du Patrimoine culturel épiloguer. En a-t-il discuté avec le Grand Argentier au préalable ? Il n’y a aucune information à ce sujet dans les Budgets Estimates. On avait déjà écrit à la mairie à ce sujet pour qu’une réunion élargie soit organisée, réunissant tous les acteurs des secteurs public et privé, pour identifier les lieux, les édifices ou même les drains et les trottoirs datant de l’époque coloniale susceptibles de faire partie d’un projet plus global. À la lumière de la liste proposée dans le cadre de ce parcours artistique et culturel, il y a fort à parier que les autorités ont privilégié une approche plus sectorielle.

« Le parc Emmanuel Anquetil offrira un cadre naturel avec des espaces dédiés aux loisirs de plein air, aux activités récréatives, aux spectacles musicaux et aux artistes », a dit le Grand Argentier. La destruction du bâtiment datant des années 1970 est-elle justifiée, selon vous ?

Il y a un gros flou. A-t-on fait un inventaire des bâtiments construits au 20e siècle pouvant être considérés comme « historiques », à l’image du bâtiment Emmanuel Anquetil ? Que nenni ! Ce n’est pas juste une question d’esthétique, mais il faut prendre en considération ce que ces édifices ont apporté à la fonction civile, à la mémoire collective des familles et au développement du pays. C’est bien beau de promouvoir des espaces pour des mini-forêts, mais autour de cette zone se trouve déjà la mini-forêt de la cathédrale et le Champs de Mars sur lequel je préfère ne pas épiloguer. Il y a le Jardin de la Compagnie qui aurait dû faire l’objet de plus de considération en termes culturels. La destruction du bâtiment Emmanuel Anquetil est irrationnelle.

SOS Patrimoine a, à maintes reprises, alerté les autorités sur la nécessité d’une stratégie de gestion des risques, pour préserver les bâtiments historiques en bois. Il ne semble pas avoir de mesures relatives à cet item dans le budget 2023-24 ?

Dans les Budgets Estimates, il est fait mention d’une stratégie de gestion des risques pour les World Heritage Sites uniquement. On aurait souhaité que ça soit le cas pour l’ensemble du patrimoine. Là où le bât blesse est qu’il n’existe pas un inventaire général ayant pour mission de recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel et historique à Maurice. Bizin kone ki leta enn batiman ete e ki lapros bizin fer. Pour développer de telles stratégies, il ne suffit pas de s’asseoir dans son bureau et de penser. Réunissez tous les stakeholders autour d’une table ronde. On l’a assez répété je pense. Le ministre de tutelle, Avinash Teeluck, m’a dit, en 2020, qu’il n’avait pas les ressources financières voulues pour enclencher des inventaires. Nous avons aussi écrit au ministère de l’Environnement concernant le Risk Management on the Climate Change qui revêt toute son importance compte tenu de son approche très scientifique sur la préservation et la sauvegarde du patrimoine, mais on attend toujours une réponse de leur part.

l Dans le budget 2020-21, le Grand Argentier avait donné l’assurance d’une étroite collaboration entre le secteur privé et le National Heritage Fund to « better preserve, protect and promote national heritage sites. » Or, on a l’impression que cet item a été rangé dans le tiroir des projets fantômes ?

En effet. Une seule et unique réunion a été organisée entre les parties concernées depuis cette annonce. L’Expression of Interest censée encourager les opérateurs du secteur privé à restaurer et préserver des bâtiments historiques, à l’instar du Château Bénarès, dont une partie du toit s’est effondrée récemment, n’a jamais été lancée. Lors du dernier exercice budgétaire, Renganaden Padayachy a énuméré les nouveaux bâtiments désignés comme Patrimoine National, sans mentionner le Château Bénarès.

Cela fera bientôt un an depuis qu’une aile importante des Casernes centrales été ravagée par les flammes. Vous êtes forcément déçu de l’absence d’annonces et de budget consacrés à sa rénovation ?

C’est triste, en effet. Encore une fois, nous avons écrit aux parties concernées pour la mise sur pied d’une réunion de réflexion et de planification stratégique, avec la police également, mais on ne voit rien venir. Vous avez évoqué toute la stratégie de gestion des risques dans votre précédente question. Voilà un exemple d’un laxisme criant qui a conduit à l’incendie de cette aile des Casernes centrales qui était utilisée comme grenier avec un tas de matelas s’entassant ici et là. On regrette aussi que le projet de rénovation de la station de police de Trou Fanfaron, classée au patrimoine national depuis 1951, ait été reporté aux calendes grecques.

SOS Patrimoine en Péril est aussi en première ligne des revendications contre l’aménagement d’une Smart City à Roches-Noires. En quoi consiste réellement cet engagement ?

SOS Patrimoine en Péril n’était pas vraiment impliquée au début, mais les choses ont changé après avoir consulté l’Environmental Impact Assessment (EIA), où il est indiqué que le site identifié pour l’aménagement de la Smart City abrite une des plus récentes coulées de lave à Maurice. Il s’agit d’un patrimoine naturel unique constituant la plus grande zone humide et de mangroves des Mascareignes. Nous avons alors soumis une proposition pour qu’on fasse un Heritage Impact Assessment (HIA). Le promoteur nous a ensuite contactés pour faire le HIA. On est d’accord, mais quoi qu’il en soit, on reste persuadé qu’entreprendre des travaux d’excavation ou des constructions à la surface, privera à la population, les générations futures et les touristes d’avoir accès à cet aspect volcanique de Maurice qui est toujours visible. Nous avons envoyé une liste de questions au promoteur, dont l’abandon du projet de Smart City en faveur de la promotion d’un parc naturel. Nous ne sommes pas les seuls. Le promoteur continue à afficher ses ambitions pour sa Smart City sur sa page Facebook, mais je souhaite vraiment qu’il fasse marche arrière.

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