Pierre Dinan : « On voit bien dans le background le fait qu’il y a des élections à venir »

Pierre Dinan en a connu des budgets dans sa longue carrière d’économiste et les a tous analysés avec rigueur et compétence. Mais si Week-End fait souvent appel à lui dans le sillage des discours du budget quelques jours après l’événement, plutôt qu’à chaud, c’est parce qu’il sait rendre accessible au plus grand nombre des notions souvent abstraites pour le commun des mortels. Il se positionne loin des polémiques politiques classiques, ne pratique pas la langue de bois, mais surtout, il sait faire preuve de pédagogie en explicitant les tenants et aboutissants de la philosophie budgétaire. Pour ce penultimate budget, il explique que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a plutôt bien « care », mais a insuffisamment « dare »…

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Pierre Dinan, merci de nous recevoir pour cette interview concernant le budget 2023-24 avec le recul nécessaire et pas dans le feu de l’action… Comment qualifieriez-vous, à tête reposée, le budget 2023-24 du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, tel que prononcé vendredi dernier ?

Vous avez raison de dire à tête reposée. C’est toujours bon d’y revenir quand c’est moins à chaud. Je crois qu’il y a un mot qui est révélateur de l’état d’esprit des auteurs du budget, et là, je préfère parler des auteurs. Au tout début du discours, le ministre a annoncé que c’est un penultimate budget. Donc, on voit bien qu’il y a dans le background le fait qu’il y a des élections à venir éventuellement. Et il y a deux choses qui me frappent, à la réflexion maintenant, comme vous dites, après plusieurs jours. Il nous avait fait le tour de l’île en deux fois. C’est d’ailleurs une méthode utilisée déjà précédemment. On a fait le tour de l’île, de sorte que ceux qui écoutent, à la radio ou à la télé, peuvent se sentir revigorés, parce qu’on a mentionné leur lieu d’habitation. Le deuxième point, c’est que, vers la fin de son discours, à la section 558, il y a une longue liste de tous les bénéficiaires. Cela montre bien que ce budget est là pour essayer de plaire au plus grand nombre. D’ailleurs, il ne l’a pas caché, il a dit que l’un des deux objectifs de ce budget c’est « To care ». Je crois que tout cela va dans le sens du « Caring ». Mais il y a aussi le « Dare » dans le budget »…

Puisque vous évoquez cet aspect un peu électoraliste derrière le budget, faisons un peu de politique pour commencer. Le ministre des Finances a parlé de l’avant-dernier budget de cette législature. Pourtant, les « cadeaux continuent » et sont même très ciblés. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

La question se pose : qui donne les cadeaux ? Celui qui donne les cadeaux, le fait avec les moyens mis à sa disposition par ceux qui payent la taxe, Income Tax, la TVA et diverses autres taxes. Finalement, ce Consolidated Fund d’où viennent tous ces cadeaux est alimenté par la population, par tous les taxpayers, du plus grand au plus petit. Je mets l’accent dessus, car il y a une tendance à croire que les cadeaux viennent du ciel. Ils ne viennent pas du ciel, mais des taxpayers qui composent la population. Il faut être très conscient de cela et bien se dire que c’est nous qui payons nos cadeaux.

Est-ce que vous qualifierez tout de même ce budget d’électoraliste, bien que les pensionnés, qui sont un vivier d’électeurs qui pèsent lourd dans la balance électorale, n’ont, eux, pas été vraiment gâtés ?

Dans une des annexes du budget, il y a une analyse des dépenses du gouvernement par groupe de dépenses — service public, défense, santé, éducation… Toute une analyse chiffrée est faite. Et quand on traverse dans cette liste, savez-vous quelle est la section qui est la plus élevée en dépense ? La protection sociale ! Et à l’intérieur de la protection sociale, l’item le plus important est le Old Age. En 2023-24, sur un total de Rs 227 milliards, Rs 67,6 milliards vont à la protection sociale, dont Rs 47,7 milliards pour le Old Age. Cela montre comment la protection sociale est quasiment un des fondements de ce budget et à l’intérieur, une grosse part revient aux personnes âgées. Je veux bien. Mais je pose la question : et quid des générations montantes ?

Pour rester avec les personnes âgées, qui sont tout de même déçues de ne pas avoir obtenu une hausse de la pension, ne serait-ce pas une stratégie politique pour endormir l’opposition ? Est-ce que le gouvernement peut à tout moment, hors budget, augmenter le montant de la pension de vieillesse et annoncer dans la foulée des élections anticipées ?

C’est vous qui le dites. Le gouvernement détient le pouvoir. C’est à lui de voir comment il l’utilise.

La devise du ministre est « To Dare and to Care ». Et son budget à certains égards tend à réduire la pression sur les contribuables en général, comme le barème gradué de l’impôt sur le revenu et la baisse, enfin, du prix de l’essence, insuffisante, mais toujours bonne à prendre. A-t-il rempli sa mission ?

Tous ces exemples vont dans le casier « To Care » et pas dans le casier « To Dare. »

C’est quoi alors le casier « To Dare » ?

Je reviens à ma manière de voir le budget. Il faut qu’on en soit conscient, il s’agit du budget national. Le financement du budget national, c’est de prendre de ceux qui ont les moyens, notamment par l’impôt, TVA, impôts sur les revenus, impôts sur les successions, etc. C’est de prendre de ceux qui ont, pour donner à ceux qui n’ont pas, et deux, pour faire rouler la machine gouvernementale. Oui, le ministre a modifié les barèmes de l’impôt. Il a essayé de les rendre moins durs pour ceux qui sont au bas l’échelle. Très bien. Mais le « Daring » doit aller plus loin.

C’est là où, personnellement, je ne suis pas à l’aise. Il n’y a pas que le budget. Mon positionnement est du point de vue de l’économie mauricienne car, finalement, pourquoi ce budget nous intéresse ? Et là, cela me permet d’ouvrir une parenthèse si vous le permettez : c’est de nous faire à nous tous un reproche. On écoute le budget pour savoir ce qu’il y a dedans pour moi personnellement, le reste je m’en moque, et ça c’est une grosse erreur. Nous sommes trop influencés par le court-termisme et on oublie l’avenir. On oublie notre avenir, l’avenir de nos enfants, l’avenir du pays. Et je ne peux pas ne pas penser au gros égoïsme de Louis XIV : après moi le déluge. Nous ne pouvons pas faire ça. Nous devons, nous tous, que ce soient les hommes politiques, que ce soient les citoyens que nous sommes, d’être des citoyens responsables. C’est pourquoi je dis que le « daring » est un élément important que l’on ne ressent pas et presque qu’on le louperait.

Qu’est-ce qui manque?

Dans la situation actuelle, « To Dare » voulait dire s’assurer de mettre en place des conditions pour que notre économie prospère de manière durable. Ne serait-ce que pour financer le Old Age, sachant que notre démographie est déjà en train de nous montrer qu’il y a un problème. En effet, généralement, on compare la démographie d’un pays à un arbre qui est large au bas et la cime qui se rétrécit et devient pointue : beaucoup de jeunes, peu de vieux. La démographie mauricienne est en train d’avoir une cime large et une base mince. De l’arbre à la toupie. Qui va faire rouler l’économie mauricienne au fur et mesure que la toupie prend place ? Voilà le vrai problème. Voilà le « Dare » qu’il fallait évoquer, mais qui n’a pas été évoqué du tout dans ce budget. Deuxièmement, il n’a pas mal mis l’accent sur le fait que la dette publique diminue. Tant mieux ! Mais ce qui est important plus que cette relation taxe/dettes publiques, etc., et c’est un autre point important qui n’a pas été évoqué, c’est la balance des paiements !

Vos premiers commentaires concernaient votre inquiétude que le grand argentier n’ait pas évoqué le problème de pression sur les devises étrangères dans son discours. Pourquoi est-ce si inquiétant ?

Je ne peux m’empêcher de rappeler l’année 1979. En août 1979, le ministre des Finances d’alors, Veerasamy Ringadoo, se met debout à l’Assemblée législative et dit : Mesdames, Messieurs, je n’ai en stock à la Banque de Maurice, des devises qui n’équivalent qu’à un demi-mois de nos importations. Deux ou trois mois après, c’était la dévaluation. Nous n’en sommes pas là, Dieu merci. Mais nous devons faire très attention. Nous savons qu’il y a des pressions actuellement. Parlez à un businessman, un importateur et vous verrez les problèmes qu’il a pour se financer en devises étrangères. Nous savons que la BoM a dû vendre des devises pour maintenir la roupie… Mais tout ceci n’a pas été évoqué et est absent du « Daring », et je le regrette.

La dépréciation de la roupie a des effets négatifs sur l’inflation. Mais parallèlement, le Produit intérieur brut (PIB) augmente en termes de roupies et dope la croissance. Quelles en sont les conséquences pour le pays et sur le quotidien des Mauriciens ?

Permettez-moi une petite leçon : qu’est-ce que le PIB ? Les deux composants principaux du PIB sont les salaires des gens et les profits des entreprises. Ce n’est pas difficile de les faire augmenter en roupie dégringolant. Je me méfie des pourcentages en ce moment, parce qu’avec le Covid, avec l’arrêt des activités économiques, la reprise, on ne compare pas like with like. Faisons attention. Si le PIB a augmenté, cela a dopé la croissance en chiffre, mais pas nécessairement une croissance réelle. Et cela peut avoir un effet maléfique sur notre stock de devises, parce que notre économie a cette caractéristique où les importations sont plus élevées que les exportations. Voilà le danger. Il y a tout un travail à faire pour que nos exportations augmentent davantage. Et là, nous faisons face à la concurrence, surtout par rapport au secteur manufacturier, qui, Dieu merci, a découvert un peu les pays africains. Tant mieux pour nous. Mais quand nous allons sur les marchés européens, nous sommes en train d’être concurrencés par d’autres pays qui ont une main-d’oeuvre meilleur marché que nous, parce qu’ils sont moins développés que nous, comme Madagascar. Si nous ne pouvons pas avoir une main-d’oeuvre bon marché comme eux, nous pouvons et devons mettre sur le marché un produit typiquement mauricien. De sorte que l’acheteur étranger se dit qu’il va acheter notre produit parce qu’il a une particularité. Mais nous attendons toujours les propositions en ce sens…

l L’un de vos collègues économistes déclarait que, comme l’an dernier, ce sont les aides sociales qui font leurs marques, alors que l’économie semble reléguée au second plan. Partagez-vous ce constat ?

Je suis tout à fait d’accord. Et on a oublié qu’il faut en avoir les moyens. Or, nous savons aujourd’hui que les moyens sont limités avec les déficits budgétaires…

l Vous et votre épouse qui prônaient publiquement qu’il fallait faire plus d’enfants pour contrer le vieillissement de la population, les dispositifs destinés aux jeunes parents comme les congés parentaux, crèches dans les entreprises et les bourses d’études doivent vous réjouir ?

Ça va dans le bon sens, certainement. Enfin, dirai-je. Le déficit des naissances dure depuis 30 ans, et les efforts à faire aujourd’hui sont considérables.

l Il faudra du temps pour que cette politique de natalité puisse renverser le besoin de la main-d’œuvre étrangère…

Bien sûr. Mais il faut donner les moyens aux jeunes. Il faut armer la population. Mais le ministre a-t-il parlé d’éducation ? Non. Pas de vision à long terme encore une fois. Pas de réforme. Or, une chose certaine est que nous avons absolument besoin de valoriser l’éducation, surtout la filière technique, et ce, dès les petites classes. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne va pas faire le reste. Mais une part importante doit être accordée aux techniques. D’ailleurs, nous avons entendu les récentes critiques. Alors, il faut un début. Mais il ne s’agit non seulement d’avoir des programmes, il faut aussi travailler sur les parents, car il y a cette tendance à Maurice pour les parents de croire que « je serai heureux si mon fils ou ma fille est avocat ou médecin. » Or, nous devrions être tout aussi heureux si notre fils ou notre fille est demain un grand technicien électronique, électrique, gastronomique…. Il faut valoriser les filières techniques. D’autant que nous vivons une vraie révolution actuellement. Il ne suffit pas d’avoir des jeunes qui savent pianoter, mais aussi des jeunes qui viennent avec des nouveautés. Le budget ne fait pas la part à l’éducation, et c’est une grosse lacune…

l Le ministre n’a pas abordé l’éducation, mais il a tout de même fait cadeau de Rs 20 000 aux jeunes !

Les Rs 20 000, vous voulez dire pour ceux qui vont bientôt voter pour la première fois ?

l En estimant que ces jeunes ont à coeur leur devoir civique…

Ces Rs 20 000 sont très bien. Mais je pense que nous devrions nous servir de cela comme une occasion en or, si ce n’est pas en argent, pour enseigner aux jeunes ce que c’est que l’épargne. Pour le moment, on ne sait pas comment ces Rs 20 000 seront accordées. Si ce sera sur un compte — ce qui est souhaitable —, c’est que ce soit sur un compte bancaire d’épargne, une manière d’enseigner aux jeunes aussi de se servir de l’argent de façon judicieuse, que ce soit pour se former, mais que cela ne serve pas pour faire des rave parties ou pour s’acheter des futilités. Et si tous les individus qui le peuvent ont à l’esprit d‘épargner, cela aidera à faire monter le taux d’épargne du PIB, sachant que le taux d’épargne est faible. Cela n’a pas été le cas dans les années 1980, lorsque nous étions au fond de l’abîme. On avait perdu 45% de la valeur de notre roupie en deux ans. On a épargné, on a investi, notamment dans la zone franche, etc. Et au bout de dix ans, l’économie avait redémarré. Aujourd’hui, nous sommes revenus à nos mauvaises habitudes.

l Effectivement, cet argent pourrait servir à l’épargne, on devrait miser sur l’éducation pour les jeunes… Mais ces jeunes sont en train de quitter le pays. Il y a un exode massif actuellement, et même pas que des jeunes…

Cet exode interpelle. C’est un signe qu’il y a un mal-être parmi certains jeunes qui pensent que l’herbe est plus verte ailleurs. Il nous revient à nous, aussi bien les gouvernants que les employeurs, à essayer de nous ajuster aux signes que ces jeunes nous envoient. Demandons-nous pourquoi c’est ainsi. Et permettez-moi de vous donner quelques réponses :

1. Différemment des jeunes des années 1980-90, surtout 1980, nos jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu letan margoz des années 1960-70. Ils ont connu une relative prospérité. Aujourd’hui, où nous sommes au fond de l’abîme pour des raisons qui n’ont rien à voir avec nous, mais à cause de la guerre, du Covid, etc., il y a peut-être un manque d’énergie pour essayer de sortir de l’abîme par nous-mêmes. Je fais une parenthèse — s’il y a une phrase que je n’aime pas entendre, c’est celle que beaucoup disent, et pas seulement les jeunes, « ki gouvernma kapav fer pou mwa ? » Ça, c’est inacceptable. Nous sommes des ressources et nous devons mettre nos ressources à contribution. Aidés bien sûr par nos gouvernants qui en ont la responsabilité et aidés aussi par d’autres pays, puisque nous faisons partie de la grande famille des nations. Mais il y a ce manque de courage de faire face à une réalité qui est tombée sur nous, c’est pourquoi certains préfèrent partir.

2) Les moins jeunes, les propriétaires des ressources, je pense notamment au secteur privé, disposent sans doute de moyens pour revoir les conditions de travail et voir comment regagner ces jeunes qui veulent partir. Je pense qu’il y a une action des deux côtés à faire. Mais qu’on essaye vraiment de se mettre autour d’une table et de trouver des solutions, car c’est pénible de voir tant de ressources s’en aller.

l Évidemment, les jeunes devraient connaître leur potentiel et disposer des moyens pour se valoriser et être valorisés. Mais nous vivons dans un climat politique où le copinage, politique surtout, à outrance dicte le day to day business… et la méritocratie n’est pas respectée dans bien des cas !

Vous avez tout à fait raison. Plus tôt j’ai parlé de ceux qui nous gouvernent et je le redis : il faut créer l’ambiance, une ambiance où tout le monde, jeunes et moins jeunes, sente que we all have an equal chance.

l Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui…

C’est absolument vrai. Il y a un grand travail à faire. Il y a un grand besoin d’assainir l’ambiance pour retenir nos jeunes.

l Il y a d’autres mesures comme la participation féminine qui ont attiré votre attention. En quoi cela peut changer la donne dans le pays ?

Hausser le taux de participation féminine est absolument essentiel. Cela va dans le bon sens, surtout que nous sommes en train d’être obligés d’importer la main-d’oeuvre. Faut-il toutefois que cette femme qui est souvent mère de famille soit aidée. Je crois qu’il y a dans le budget une série de mesures qui viennent soulager la charge de la femme qui travaille notamment. Mais il y a aussi un besoin d’emmener les papas à apporter leur contribution lorsque l’enfant est là, lorsque l’enfant grandit. Il faut que ces mesures soient bien implantées. Et aussi, il faut essayer d’avoir une harmonie entre le bon déroulement de l’économie d’un pays et l’ambiance dans laquelle nous vivons dans le pays.

l Dans ce budget, l’industrie touristique a été entendue pour recruter des foreign workers. Pensez-vous que c’est une bonne décision pour le tourisme mauricien, qui risque de perdre son identité ?

S’ils ne peuvent pas faire autrement, faisons face aux faits. Mais reconnaissons effectivement que le sourire mauricien risque de prendre un mauvais coup. On le sent déjà. C’est sans doute une obligation, mais il faudrait qu’à moyen et long termes on trouve une solution, car le touriste a besoin du sourire mauricien. Il y a peut-être des mesures à prendre pour faire revenir le personnel mauricien vers le tourisme. Aux employeurs de trouver une solution pour retenir nos jeunes qui pensent plus à l’exode. Et aux responsables de trouver une solution, y compris en termes de formation professionnelle et de rémunération surtout.

L’opposition et des observateurs disent que la situation économique du pays est inquiétante, pour ne pas dire dramatique. Depuis des mois, le coût de la vie augmente et de nombreux Mauriciens modestes en souffrent. Est-ce que les « cadeaux » du budget ne peuvent finalement pas donner le sentiment que ce n’est pas le cas et que, finalement, ça va mieux dans le pays ?

Mettez-vous un moment à la place d’un visiteur étranger, surtout d’un visiteur venant d’un pays pauvre d’Afrique. Il sera bien étonné d’apprendre que l’on dise que notre économie va mal. Les signes extérieurs disent le contraire, ne serait-ce que la Motor City que l’on voit sur la route nationale. Mais il nous faut distinguer entre les apparences et la réalité. Les apparences, je les ai déjà évoquées, et j’évoquerai aussi la fréquentation des supermarchés, lesquels augmentent à travers l’île. Mais s’est-on déjà posé la question : y a-t-il des Mauriciens qui ne peuvent pas mettre les pieds dans un supermarché ? C’est pourquoi ma réaction est la suivante : oui, il y a des Mauriciens qui ont des moyens et ces Mauriciens ne doivent pas recevoir des aides du gouvernement. D’où mon plaidoyer pour le ciblage. Vous savez que le Bureau des statistiques fait une enquête cette année sur les revenus des ménages. Cette nouvelle enquête va nous donner les chiffres récents des revenus par section. Nous partirons des gens qui ont beaucoup d’argent, les très riches, les riches, la haute classe moyenne, la moyenne classe moyenne, la petite classe moyenne et les pauvres. Avec ces chiffres, nous devrions pouvoir venir en aide, à mon avis, au lower middle class et la plus grosse aide pour les pauvres. Il faut ce ciblage. À ce moment, on pourra aider ceux qui en ont besoin et pas les autres, et même donner davantage à ceux qui le méritent.

Nous les Mauriciens devons accepter, compte tenu de l’impact du Covid et de la guerre en Ukraine, que ceux qui ont une certaine aisance doivent réduire leur train de vie. Il faut que dans la population nous nous rendions tous compte que nous avons un effort à faire. D’une part réduire nos importations et d’autre part de nous mettre à l’œuvre. Et sur ce point, j’approuve le ministre qui depuis l’année dernière veut faire l’agriculture redémarrer. Je me permets de regretter que malgré tout cela, on continue à convertir des terres agricoles en bâtiments.

La grosse question que les Mauriciens se posent est comment est-ce que le ministre des Finances va financer son budget…

Les revenus espérés sont de l’ordre de Rs 179,2 milliards, dont les taxes totales Rs 156,2 milliards (88,4%), comprenant les taxes sur les revenus et bénéfices à hauteur de Rs 47,2 milliards (26,7%) et les marchandises et services à hauteur de Rs 104,5 milliards (59,1%). Il y a aussi les contributions sociales à hauteur de Rs 13,1 milliards, soit 7,3%. La CSG en est probablement la principale composante. Ainsi, comme vous pouvez le constater, tous les autres prélèvements ne constituent que des miettes, comparativement parlant. La part particulièrement élevée, soit pratiquement 60% du total, revient aux taxes prélevées sur les marchandises et services, ce qui veut dire, en grande partie sur les importations, compte tenu de la physionomie de notre économie, largement ouverte pour nous pourvoir en biens et services venus d’ailleurs. C’est ainsi qu’en dernière analyse, le déficit budgétaire bénéficie en quelque sorte de notre appétit de consommation de biens et services importés. Soyons-en conscients. C’est pourquoi je pense que la recherche d’un équilibre de la balance commerciale est une priorité.

La grande surprise de ce budget a été le nouveau système de l’impôt sur le revenu, selon un barème qui fera baisser la taxe payable pour toute la population à des degrés divers dans un premier temps… Est-ce une bonne mesure ?

C’est connu que la progressive taxation est plus juste comme mesure. Cela va dans le bon sens. Cette méthode a fait ses preuves. Mais il faudra voir sur le long terme comment c’est réellement appliqué. Ce qui surprend un peu c’est la longue liste des taux et des barèmes. Gardons-nous toutefois de ne jamais retomber dans l’excès fiscal où l’Income Tax avait atteint 98%. Aujourd’hui on a oublié cela. Alors, gardons-nous de ne pas évoluer vers cela. Ce qui veut dire continuons à bien gérer nos finances et ne pas faire des dépenses inutiles comme celles que le director de l’Audit nous signale d’année en année.

 Le ministre des Finances a déclaré le lendemain du budget que « nou pe al ankor pli lwin. Notre objectif est de ramener la dette publique à 60% à moyen terme. » Pensez-vous cela possible dans la conjoncture ?

Cela est possible s’il y met toute sa volonté. Certainement, et pour que cela arrive, notre gâteau national doit devenir plus gros. Pour qu’il devienne plus gros, il faut qu’il y ait des conditions nécessaires, et en ce sens, il faut qu’il y ait de la part du gouvernement « more Daring ». Tout dépend d’une utilisation rationnelle, et la meilleure possible de nos ressources.

Quelle est la mesure, et la mesure audacieuse qui manquent dans ce budget ?

Nous avons parlé des grosses lacunes quant à l’éducation, mais plutôt qu’avoir un ministre que tout le monde regarde à la télé ou ailleurs, il aurait fallu nous éduquer que notre avenir dépend de ce que nous allons faire. Bien sûr, avec le gouvernement, c’est son devoir, mais il faut qu’on se prenne aussi en main nous-mêmes. Il aurait fallu, si le gouvernement était audacieux, qu’il lance un appel en disant au citoyen mauricien : Ton avenir dépend de toi, et ce sera notre rôle de t’aider vers cet objectif. Mais osera-t-il ?

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