Alors que la récolte sucrière commence à la fin du mois, Le-Mauricien a rencontré Salil Roy, descendant d’une famille de planteurs, et dont il représente la troisième génération. Il soutient que « chaque arpent de terre agricole abandonné représente une grande perte, non seulement pour le planteur concerné, mais aussi pour le pays ».
Il se prononce aussi en faveur de l’importation de main-d’œuvre étrangère qui, à son avis, est une clé majeure pour permettre aux planteurs d’utiliser profitablement les mesures introduites par le gouvernement. La canne à sucre, en raison de sa versatilité, vaut, selon lui, « de l’or pour le pays ». C’est pourquoi il demande que l’on cesse de bétonner les terres agricoles. Il accueille en outre favorablement l’augmentation du prix garanti aux planteurs produisant 60 tonnes de sucre à Rs 27 500 et souhaite que l’avance de 80% accordée aux planteurs de canne soit basée sur ce montant, et non pas sur l’ex-Syndicate Price.
Comment avez-vous accueilli les mesures budgétaires concernant les planteurs sucriers ?
Je vois que le ministre a annoncé un prix garanti de Rs 27 500 pour tous les petits planteurs qui produisent jusqu’à 60 tonnes de sucre maximum. Ce montant est le prix ex-Syndicate Price. Avec l’augmentation du prix du sucre sur le marché mondial et la dépréciation de la roupie, nous avons obtenu un meilleur prix.
Le gouvernement ne doit pas nous donner de subsides. Nous reconnaissons que les avantages que nous avons obtenus dans le passé ont été maintenus, c’est-à-dire le subside sur les fertilisants. Nous avons demandé que le fonds du Plantation Scheme soit augmenté. Il a été porté à Rs 75 millions, et c’est tant mieux.
Dans l’ensemble, le plus gros problème qui nous affecte est la main-d’œuvre. Nous n’avons rien entendu. De plus, si le prix du diesel avait baissé un peu, cela aurait eu un effet positif sur le transport de la canne.
Pensez-vous que ces incitations amèneront un retour des petits planteurs vers la culture de la canne ?
Je ne peux pas trop me prononcer sur cette question tenant en compte que le plus gros problème auquel nous sommes confrontés est le manque de main-d’œuvre. Dans les circonstances actuelles, il ne suffit pas de donner des fonds financiers, il nous faut pouvoir disposer d’une main-d’œuvre nécessaire. Sans cela, je ne vois pas un planteur s’endetter uniquement pour faire les frais de la main-d’œuvre. Il faut pouvoir régler ce problème afin de pouvoir mettre à profit les mesures introduites.
Lorsque vous parlez de main-d’œuvre, vous parlez de la main-d’œuvre importée ?
Oui. Comme la main-d’œuvre locale est insuffisante, il nous faudra en importer. Sans cela, beaucoup des mesures resteront au niveau des effets d’annonce. Quelques planteurs pourront se débrouiller, mais la majorité ne pourra aller de l’avant. Avec la résolution de ce problème, les conditions seront réunies pour retourner à la terre et renverser la tendance de l’abandon de la terre, avec tous les bénéfices que cela comporte au niveau social, de l’environnement, de l’énergie et du sucre.
Voulez-vous dire qu’il faut importer de la main-d’œuvre pendant la période de récolte sucrière seulement ?
Non. Nous avons besoin de main-d’œuvre non seulement pendant la période de récolte, mais également pendant l’entrecoupe. Il nous faut de la main-d’œuvre pour s’occuper des herbicides, du nettoyage… Certains procèdent à la replantation pendant l’entrecoupe.
L’importation de main-d’œuvre pourrait résoudre le problème aussi bien pour les petits que pour les gros planteurs. Il faudrait mettre en place une infrastructure pour voir qui s’occupera de l’importation, qui fera les frais et comment gérer cette main-d’œuvre importée. Cependant, il n’y a pas à sortir de là : il faudra en importer.
Il existe un courant qui souhaiterait que le gouvernement ajoute Rs 2 500 sur le prix garanti de manière à porter ce prix à Rs 30 000, mais c’est un autre débat. Je peux affirmer de mon côté que le gouvernement doit tout faire pour nous aider à baisser le coût de nos intrants. Si le planteur arrive à augmenter son rendement, la proportion des coûts baissera. En fin de compte, il faut savoir ce qu’il faudra faire pour augmenter la productivité dans le pays.
D’après votre expérience, combien de travailleurs étrangers faudrait-il importer ?
Il faudra en importer un bon nombre. Il revient à la MCIA de faire une étude et de décider du nombre. Sur la base de mon expérience personnelle, un planteur individuel peut avoir besoin de 15 à 20 personnes, et d’un peu moins pendant l’entrecoupe.
Est-il juste de dire que vous êtes un Gentleman Farmer ? Qu’est-ce qui vous a poussé à être un planteur de canne ?
C’est vrai que j’ai fait carrière dans l’agriculture. Je suis la troisième génération de planteurs. Celui qui m’a mis dans cette voie, c’est mon grand-père, feu Ramnarain Nuboo Roy. J’étais très proche de lui. D’ailleurs, la région de la Lucie-Roy, à Bel-Air, porte le nom de mon grand-père, parce qu’il avait acheté quelque 500 arpents de terrains là-bas. Il était aussi métayer. C’était un Self-Made Man, et il n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. C’était un travailleur qui n’avait pas fait de grandes études. Il était d’une générosité hors pair et avait donné à ses frères des lopins de terres.
Il était très engagé dans le domaine social et religieux et présidait plusieurs associations religieuses. Il a d’ailleurs fait construire un joli temple à Beau-Champ, inspiré d’un temple indien. Il a été décoré par la Reine Elizabeth en 1972 pour le travail accompli dans le domaine social et a obtenu le titre de MBE.
Lorsque je vois aujourd’hui les héritiers se bagarrer pour quelques perches de terres, je pense à mon grand-père, qui était une institution, une école. J’ai eu la chance de passer des journées avec lui dans les champs de canne, durant lesquelles j’ai été initié à la culture de canne, et j’ai beaucoup appris. Il avait aussi le flair pour les affaires et a fait beaucoup de développement. Je dois vous dire qu’à 75 ans, il n’a pas hésité à créer une compagnie pour le Stone Crushing en utilisant les pierres obtenues dans ses champs.
Mon père Ikbal Nuboo Roy l’a suivi comme Sugar Farmer et a, lui aussi, acheté des terres, avant de créer ses propres affaires. Il avait plus de chance, puisqu’il siégeait dans plusieurs instances agricoles. Il a été courtier juré pour le sucre et un des présidents du Syndicat des Sucres. Il a toujours été proche du Corporate Sector, dont la famille Dalais. Il faisait également la culture du tabac.
Après mes études secondaires, j’ai fait des études supérieures en finances et en économie en Angleterre, qui ont été financées par le sucre. Je me souviens qu’avant mon départ, mon grand-père avait exprimé le vœu que je travaille à côté de mon père. À mon retour, cinq ans plus tard, mon père m’a dit qu’il allait approcher une banque où je pourrais travailler. J’ai refusé, parce que j’étais plus intéressé à une carrière de planteur. Il était très content. J’ai créé une compagnie, la SIR Ltd, en partenariat avec lui, et il m’a laissé faire. Je me suis occupé de la partie financière de ses activités et, en même temps, me suis engagé dans la plantation. C’est ainsi que j’ai appris à connaître la canne plus en profondeur. Fort de mes études, j’ai commencé à mettre de l’ordre dans ses finances et à les structurer.
Mon grand-père est décédé un mois après mon départ, en 1977. À cette époque, il n’y avait pas encore d’Internet et de médias sociaux. Personne ne m’avait informé de son décès; on savait que je risquais de rentrer immédiatement au pays. C’est par hasard, lors d’une visite chez un ami, que j’ai appris son décès. J’ai immédiatement téléphoné à Maurice. Mes parents et mon grand frère m’ont demandé de ne pas m’inquiéter et de poursuivre mes études pendant cinq ans en Finances and Accounting. C’était un Combined Degree en finances et économie. À mon retour, en 1982, j’ai travaillé au bureau de mon père, à Port-Louis, pendant quelque temps. À sa mort, en 2005, je suis entré de plain-pied dans la plantation sucrière tout en mettant de l’ordre dans les finances. J’ai créé la Planters Reform Association.
Quel était le but de cette association ?
J’avais été inspiré par ma formation à la Jeune Chambre économique, ma devise était de rendre autant que possible au sucre ce qu’il a apporté à ma famille et moi-même. Lorsque j’ai pris conscience que les petits planteurs n’étaient pas bien représentés et avaient des problèmes pour se faire entendre, je me suis dit qu’il fallait voir ce que je pouvais faire pour eux. Effectivement, je me suis rendu compte qu’ils rencontraient des problèmes majeurs. Il fallait mettre en avant l’intérêt des planteurs, pas celui des personnes, dont des politiciens, qui voulaient les accompagner.
Par la suite, j’ai siégé dans le Sugar Authority Advisory Council, puis ai représenté les planteurs au sein du SIT. Grâce à la formation, les planteurs m’ont choisi pour les représenter à la MauBank. À la création de la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA), le ministre de l’Agriculture d’alors, Satish Faugoo, m’a nommé membre du conseil d’administration. J’étais le premier planteur à être nommé directeur de l’autorité. Par la suite, le gouvernement m’a confié la présidence de l’association.
Comment se présente l’avenir de la plantation sucrière ?
Il y a encore du chemin à parcourir. Je regrette que la communauté des petits planteurs s’amenuise. Il est vrai que je considère que les métayers, les petits et les moyens planteurs sont tous des planteurs. Je viens d’apprendre que le nombre de planteurs enregistrés est passé de 9 000 l’année dernière et l’année d’avant à 6 000 cette année. Je trouve cela un peu choquant. Le gouvernement, dans des moments les plus difficiles, nous a soutenus et encouragés. Alors que nous avions un problème de liquidités, le gouvernement est intervenu pour que nous obtenions 80% des recettes, payés par le Syndicat des Sucres. Il y a le Plantation Scheme, qui accorde Rs 50 000 pour les plantations d’un arpent.
Si le gouvernement pouvait appliquer l’avance de 80% des recettes non pas sur l’ex-Syndicate Price, mais sur le prix garanti de Rs 27 500, cela aurait été d’une grande aide pour les planteurs. L’ex-Syndicate Price est variable et peut baisser, dépendant de la situation au niveau international. Il faut également que les Vouchers accordés pour l’achat des fertilisants arrivent à temps, et non pas trop en retard en raison de problèmes administratifs. We have to get things moving.
Je me pose toujours la question de savoir pourquoi mon grand-père n’avait aucune facilité pour travailler avec autant d’acharnement dans ses champs de canne. Mon père faisait la même chose. Pourquoi la communauté des planteurs, qui bénéficie d’autant de facilités aujourd’hui, ne manifeste pas autant d’intérêt ? Je pense que le problème est structurel. C’est pourquoi je dis qu’il faut importer de la main-d’œuvre.
Les propriétés ont un rôle à jouer. Il faut savoir que plus elles obtiennent de canne des planteurs, plus elles sortent gagnantes, car il y a aura davantage de bagasse, de mélasse… Il est vrai que les producteurs auront leur part. Mais comme les propriétés disposent d’une infrastructure, elles auraient pu, moyennant paiement, aider les petits planteurs à récolter leur canne, c’est-à-dire couper, charger et transporter la canne jusqu’aux usines. Les propriétés auraient très bien pu, avec l’aide du gouvernement, créer une infrastructure pour effectuer ce travail. Cela aurait été plus facile pour gérer la question de la main-d’œuvre étrangère. Les grosses propriétés et les petits planteurs auraient pu mettre la tête ensemble afin de résoudre ce problème. On aurait pu ainsi produire un maximum de canne à un coût minimum. De toute façon, le marketing est entre les mains du Syndicat des Sucres.
Quid de la mécanisation ?
Il faut savoir que beaucoup de planteurs ne peuvent avoir recours à la mécanisation en raison de la topographie de leurs champs, qui sont parfois trop en pente. D’autre part, pour encourager la plantation, il faudrait mettre l’accent sur l’énergie avec la production de high fibre sugar cane.
Les planteurs bénéficient-ils des prix obtenus pour les sucres spéciaux ?
Tout à fait. Beaucoup de personnes pensent que ce sont seulement les usiniers planteurs qui en bénéficient. Ce n’est pas le cas. Seules Terra et Alteo produisent des sucres spéciaux. Toutes deux ont leurs secrets de fabrication, qui sont très bien protégés. Ces sucres sont parmi les meilleurs du monde. Le Syndicat des Sucres accorde une prime aux usiniers qui produisent ces sucres pour leur effort. L’argent obtenu des sucres spéciaux est mis dans une caisse commune, qui est distribuée équitablement à tous les planteurs. Même les planteurs qui fournissent leur canne à Omnicane, qui ne produit pas de sucres spéciaux, peuvent en bénéficier. C’est donc très équitable pour tous les planteurs.
Comment s’annonce la coupe cette année ?
Comme chaque année, la récolte dépend du climat. Laissons la coupe démarrer à la fin du mois. Nous verrons si l’hiver sera suffisamment froid pour permettre l’enrichissement de la canne en termes de sucrose. À vue d’œil, les choses s’annoncent bien.
Est-ce que les recommandations du rapport de la Banque mondiale sur le sucre ont donné des résultats ?
Un des résultats concerne le prix de la bagasse. Ce qui a apporté une grande bouffée d’air frais, que ce soit pour les corporate ou pour les planteurs. C’est pourquoi je voudrais faire ressortir qu’avec la versatilité de la canne, qui permet la production d’une série de produits de grande valeur, chaque morceau de terre abandonné représente une somme d’argent perdue. Il n’y a pas uniquement des revenus à partir du sucre; il y a aussi l’énergie à partir de la bagasse, l’éthanol, le rhum à partir de la mélasse, etc. Le planteur peut obtenir des revenus globaux. Il ne faut pas oublier le rôle de la canne dans la protection de l’environnement propre, du fait que la canne est une bonne Carbon Capture.
Voilà que le Biomass Framework a été approuvé par le gouvernement…
La canne contribue à la production de l’énergie propre par rapport au charbon. De plus, la production énergétique à partir de la canne représente une économie conséquente en devises étrangères. Il faut tout faire pour que les terres abandonnées soient replantées. Il faut lancer rapidement le high energy cane, qui s’ajoutera au bois, etc. Ce sera autant de revenus supplémentaires pour les producteurs et le pays.
La canne est véritablement une plante miracle. Alors que les autres pays sont riches en minéraux, je n’hésite pas à dire que notre source minérale, c’est la canne. Il ne faut pas oublier qu’on utilise la canne pour produire du plastique bio et produire des bouteilles biodégradables. Si cela se fait à l’étranger, nous pouvons le faire à Maurice. Nous n’inventons pas la roue. Le Biomass Framework est une Win-Win Situation et nous montre l’importance de la canne.
Agrandissez-vous votre plantation ?
Étant donné que mon « core revenue » provient surtout de la canne, une bonne partie de mes revenus sont réinvestis dans la canne. Je fais actuellement une rotation de replantation pour améliorer mes rendements. J’en profite pour demander qu’on arrête de bétonner les Prime Agricultural Lands.
Nous avons vu durant le Covid l’importance de la production alimentaire. Je pense qu’à travers la terre, on peut produire beaucoup de choses que Maurice importe. Un pays doit pouvoir nourrir sa population. Si un pays peut produire ses propres besoins énergétiques et alimentaires, son économie sera très forte. Nous avons la chance d’avoir un secteur corporate très sérieux. À travers un bon partenariat, les planteurs peuvent avoir sa Fair Share.
Le mot de la fin…
Dans la situation actuelle, nous ne pouvons nous permettre de voir des terres agricoles abandonnées. C’est une grande perte pour le pays. Les décideurs ont une grande responsabilité pour renverser la situation. Il faut de plus valoriser la canne et lui donner le prestige nécessaire pour que celui qui détient une carte de planteur, même s’il pratique un autre métier, puisse devenir more than a gentleman farmer.