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Là-haut sur la montagne

Mardi 25 avril 2023 aux petites heures du matin.

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En ce jour-là, par une nuit noire et très fraîche, aux alentours de 2h du matin, de nombreux pèlerins s’apprêtent à entamer une ascension qui sort de l’ordinaire. Nous sommes en Égypte à côté du monastère de Sainte Catherine et longeons un petit tracé rocailleux. Bien que nous avançons d’un pas décidé, c’est un peu à tâtons que nous posons les pieds sur ce chemin qui promet d’être plein de surprises.

À la queue leu leu, chacun à son tour est rejoint par un bédouin-gentleman qui nous tient délicatement la main pour nous amener vers un inhabituel moyen de locomotion : un dromadaire.

L’espace est rempli d’une cinquantaine de ces bêtes aux grands yeux et à la grande gueule. Bien que “capone”, je me laisse installer sur l’animal au dos cabossé, qui, à la demande du bédouin, dresse sec ses agiles pattes de devant puis celles de derrière, tout en grognant. Je prends de la hauteur dans un mouvement qui ressemble à un manège dans un parc d’attraction.

Une fois bien assise, je prends mes repères avant de débuter cette aventure qui se veut, en fait, sans aucun repère.

Le ciel me paraît encore plus infini que d’ordinaire, les étoiles plus nombreuses et plus brillantes, et tout autour, dans cette pénombre, se dessinent des collines et des montagnes. Je suis au milieu de nulle part. Ce qui n’était qu’une destination écrite dans le programme de voyage devient subitement, à mes yeux, un parcours plus audacieux. Gravir le Mont Sinaï fera définitivement partie de ma liste des « Yes, I did it ! »

La confiance est nécessaire, l’abandon de soi est de mise : il nous faudra bien se fier aux bédouins inconnus qui nous entourent et aux bossus chargés de nous amener sur ces hauteurs enivrantes.

Au loin, très loin, je devine le Mont Sinaï et prends conscience de son ampleur. Dans l’obscurité, mon regard erre sur l’étendue qui m’entoure, sur cet infini grandiose en haut et ce fini intimidant du bas. Loin de tout, je suis au plus près de moi, de mes pensées, de mes sensations et de mes craintes aussi. Je réalise, là, à quel point je suis loin de ma famille et me demande si cette démarche a pour but de m’éprouver ou me prouver quelque chose. Ou est-ce seulement pour me rapprocher de Quelqu’un ?

Foutue là sur le dos du dromadaire, je m’extrais de tout pour être au plus proche de moi, de ma vie. Mes échecs et mes réussites n’effleurent même pas mon esprit. Ce que je vis est bien plus grand, plus fort, plus édifiant.

Dans la nuit, mon ouïe s’affine et ma vue finit par s’habituer au noir atténué par quelques torches.

En file indienne, s’étalent devant moi, sur des dizaines et des dizaines de mètres, les dromadaires transportant mes compagnons de route qui continuent à s’élever.

Je suis comme projetée dans le passé, au temps où les gens ne se déplaçaient qu’à pieds, à dos d’ânes ou de dromadaires. C’est fou comme cela devait avoir quelque chose de divin de se faufiler lentement au contact direct de la Création.

Cachée derrière mon blouson, mes gants et mon bonnet, tous noirs, je continue la montée, émerveillée et remplie de gratitude. Ce laisser-porter, loin de toute routine, est incroyable. Faut-il se hisser si haut dans un éloignement extraordinaire pour se retrouver soi-même dans l’ordinaire de nos vies et pour s’ajuster là où les déséquilibres ont pris place petit à petit ? Faut-il aller si loin dans nos pensées pour nous rapprocher de nous-mêmes ?

Alors que cette avancée me plonge dans des réflexions, c’est le moment d’une pause dans une case peuplée d’étrangers. Grisée par l’altitude, j’observe les uns et les autres. J’écoute la terrible mésaventure de l’une, j’entends les rires, les bavardages en toutes langues et même les pensées de ceux plongés en silence dans une introspection, le regard scrutant au loin dans l’obscurité.

Quelques minutes passent et l’ascension reprend cette fois à pieds. Même pas peur, fastoche ! Une petite heure de marche et puis, à nous la vue à 2,285 mètres d’altitude sur le Mont Sinaï !

À peine commencée, une sensation d’oppression jamais ressentie m’interpelle. Mon cœur s’emballe. Mais je comprends dans la foulée que plusieurs d’entre nous ont du mal à respirer et que cela ira mieux. Ma raison me suggère de me ménager et confronte mon envie de continuer. Quelques mètres plus loin, l’idée d’abandonner comme d’autres effleure mon esprit une nouvelle fois, mais portée par les proches aguerris ou amateurs comme moi, je continue dans une marche au ralenti. Cette dernière étape (où il nous faut gravir 700 marches, paraît-il ! – je ne les ai pas comptées) me fait penser à la vie en général. L’envie d’abandonner et le découragement sont tenaces devant les difficultés qui nous paraissent des montagnes. Le désir de faire marche arrière devant l’inconnu est tentant. La peur nous paralyse et altère notre raisonnement. Notre physique peut nous lâcher et notre moral doit pouvoir prendre le dessus pour continuer la route. Nous avons, et aurons, mal et sommes confrontés aux adversités et à nos limites : tout cela n’est pas une fin en soi, mais un passage souvent nécessaire. Et puis et surtout, les encouragements des uns, la motivation des autres, l’attente de l’une pour rejoindre un autre, l’entraide et la volonté d’aller plus loin et plus haut, ensemble, permettent d’abord de se surpasser, soi.

Une fois la dernière marche atteinte, la satisfaction est palpable. Un sentiment d’accomplissement et de soulagement m’envahit et la paix s’empare de moi. Dans la pénombre, mes yeux illuminent de l’intérieur tout mon être.

Puis, timidement, les prémices du jour se dévoilent à l’horizon par une fine ligne rose et, lentement, le ciel se pare de différents tons orange en bandes de plus en plus larges.

Je suis si petite perchée tout en haut de cette montagne. Je suis si minuscule dans l’immensité de ce paysage. Pourtant, je sens bien que j’existe et que j’ai les pieds ancrés sur terre.

En redescendant, nous nous arrêtons sur un plateau qui domine les vastes espaces escarpés. La beauté du paysage, l’éloignement, l’écho et la luminosité ajoutent à la splendeur de cet instant unique. Je suis éblouie même par les petits riens de ce moment suspendu. Là, c’est grandiose, magnifique. Divin !

Lors de la descente, l’immensité de l’espace se déroule sous mes yeux. Il n’y a pas de son, à part ceux de nos paroles, de nos pas sur le sol pierreux et glissant et ceux de deux ânes qui nous croisent. Dans le silence et le vide du désert, s’impose une Présence palpable. Je touche là à quelque chose d’unique, de fort et d’inoubliable. Je décide alors de ramener, en bas, l’éblouissement gravé en moi alors que j’étais en haut sur cette montagne.

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