Dr Jean Claude Autrey : « Faire de jardin de Pamplemousses un véritable joyau au service de notre pays »

Les deux derniers volumes de la Collection Flore des Mascareignes ont été lancés mercredi à la salle Boname, à Réduit, en présence du président et du vice-président de la république, Pradeep Roopun et Eddie Boissezon, respectivement, de Lady Jugnauth et d’un parterre de personnalités composé de scientifiques et d’ambassadeurs. À cette occasion, Le-Mauricien a rencontré le directeur de la Flore des Îles des Mascareignes, le Dr Jean Claude Autrey, qui parle de la Collection Flore des Mascareignes, comprenant désormais 30 volumes, et dont la constitution a pris près de 50 ans. Les deux derniers volumes sont consacrés à la famille des orchidées dans la région des Mascareignes.
Avec l’aide de l’Institut français de recherche pour le développement, dont la directrice Valérie Verdier était présente lors de la cérémonie de lancement, la numérisation des 30 volumes est sérieusement envisagée et devrait faire l’objet d’un accord entre Maurice et la France prochainement. Jean Claude Autrey en profite pour faire un plaidoyer en faveur du jardin botanique de Pamplemousses. « Il faut prendre en main le jardin et le restaurer pour faire de lui un véritable joyau au service de notre pays », dit-il.

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Pourquoi était-il si important de répertorier les plantes de nos îles à travers cette collection ?
Les îles des Mascareignes ont un très riche patrimoine botanique qui a été étudié à partir du 18e siècle, et dont les connaissances ont constamment gagné de l’importance au fil des décennies et des siècles. Toutefois, il est apparu en 1970 que les dernières descriptions des plantes de l’île Maurice remontaient à 1877, de Rodrigues à 1879 et de La-Réunion à 1895. Il était donc grand temps de dresser un nouvel inventaire de toutes les plantes existantes dans les Mascareignes. Ainsi, des scientifiques d’institutions françaises, britanniques et mauriciennes se sont réunis pour relever ce défi extraordinaire.
Les scientifiques de cette initiative commune étaient de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du Muséum national d’histoire naturelle (IRD, MNHN, France), des Royal Botanic Gardens (RBG, Kew Royaume-Uni) et du Mauritius Sugar Industry Research Institute (MSIRI/MCIA, Maurice). Les volumes de La Flore des Mascareignes constituent une source unique de documentation sur la taxonomie, la répartition géographique et la fréquence des espèces végétales présentes à Maurice, à Rodrigues et à La-Réunion. Ils sont indispensables aux décideurs et techniciens ayant en charge la conservation du patrimoine végétal des îles de l’océan Indien. Ces volumes s’adressent également aux chercheurs, aux naturalistes professionnels et aux amateurs concernés par cette flore fortement endémique.

Les deux derniers volumes sont consacrés aux orchidées des Mascareignes. Pourquoi donner une telle importance à cette famille de fleurs ?
Il faut rappeler que les orchidées constituent une des plus grandes familles de plantes, avec environ 28 000 espèces réparties dans quelque 800 genres. Elles sont distribuées sur tous les continents, sauf en Antarctique, mais elles sont plus nombreuses dans les tropiques humides et les zones sous-tropicales.
La famille est représentée dans les Mascareignes par environ 166 espèces, dans 40 genres, avec 88 espèces reconnues à Maurice, 153 à La-Réunion et 8 à Rodrigues. Les orchidées se rencontrent dans une grande variété d’habitats. Environ 40% des espèces sont principalement terrestres et 60% sont des épiphytes, c’est-à-dire qu’elles se développent sur d’autres végétaux, sans pour autant les parasiter et perturber leur croissance et développement.
La recherche sur les orchidées dans les Mascareignes remonte à 1804, avec les travaux de Bory de Saint-Vincent, dans son œuvre Voyage dans les principales Îles des mers d’Afrique. Les travaux se poursuivirent avec des publications par Louis-Marie Aubert du Petit-Thouars, en 1822, Achille Richard en 1828, Wenceslas Bojer en 1837, Spencer le Marchant Moore en 1877, Eugène Jacob de Cordemoy en 1895 et Jean Bosser à partir des années 1960, jusqu’en 2007.
Les espèces des Mascareignes sont liées à celles de Madagascar à 44%, des Comores à 15%, de l’Afrique continentale à 14% et des Seychelles à 7%, alors que 5% d’entre elles ont une distribution plus importante à travers le globe. 7% des espèces d’orchidées à Maurice sont endémiques alors que 28% le sont à La-Réunion. Il est considéré que 71% des 166 espèces des Mascareignes sont menacées ou proches de l’être. Cinq espèces ont été évaluées comme étant gravement menacées alors que trois autres ont disparu. Il est important d’investir dans des travaux de conservation afin d’éviter que d’autres espèces subissent le même sort.

Quels ont été les défis majeurs à la réalisation des deux derniers ouvrages ?
Le naturaliste Jean Bosser avait déjà, comme je l’ai déjà dit, initié des travaux dans les années 1960. Toutefois, son décès, en 2013, avait provoqué un vacuum difficile à combler. Des tentatives ont été initiées pour trouver des spécialistes pour la rédaction complète des deux volumes. Cela s’est avéré très difficile, car les spécialistes sont rares et ils ont leurs propres travaux à accomplir.
Après diverses tentatives infructueuses, et alors qu’un spécialiste nous avait proposé de les produire pour un montant d’environ 800 000 euros, soit près de Rs 40 millions, nous étions sur le point d’abandonner l’idée de produire ces deux volumes. Toutefois, nous avons eu la main heureuse à travers une rencontre avec le Dr Phil Cribb, des Royal Botanic Gardens Kew, fin 2018, qui a accepté de rédiger les volumes, prenant en considération les travaux de Jean Bosser, surtout de recherches. Il a été aidé dans son entreprise par Johan Hermans, et également de Kew et Clare, l’épouse de ce dernier. Ces travaux ont pris quatre ans, grâce aux efforts assidus de ces trois chercheurs, et ont impliqué des visites à Maurice et à La Réunion, des travaux en laboratoires, l’inventaire des collections dans différents herbiers, etc.
Il est à noter que d’autres volumes comme celui sur les graminées ont pris 10 ans ou même plus en raison de leur complexité. Il faut aussi souligner que tous ceux qui ont contribué à cette œuvre gigantesque, surtout les auteurs des volumes et les directeurs successifs au fil des décennies, l’ont fait par pure passion, sans recevoir aucune rémunération pour leurs efforts considérables et leur dévouement à la cause de la conservation de la nature sur notre planète.

Avec la publication de ces deux volumes, on dirait que c’est la fin du projet…
Nous projetons après le lancement des deux derniers volumes de faire une mise à jour des 26 volumes produits entre 1976 et 2008. Cet aspect a pratiquement été complété. Nous entamerons ensuite la numérisation des 30 volumes et la création d’un site Web pour les rendre accessibles gratuitement à tous ceux qui s’intéressent à la flore des Mascareignes : étudiants, spécialistes, de même que le grand public. Le site comprendra également une introduction sur la géologie, la géomorphologie, les sols et climats, la phytogéographie, l’histoire des explorations botaniques, l’évolution de la flore, l’ethnobotanique, les espèces menacées et une bibliographie complète. Ce projet final sera entrepris avec les partenaires initiaux.

Avez-vous un message à faire passer aux pouvoirs publics, aux Mauriciens et aux habitants des Mascareignes quant à la préservation de notre patrimoine naturel ?
La flore des îles de l’archipel des Mascareignes est très riche et diversifiée. Elle comprend un nombre considérable d’espèces endémiques de haute valeur scientifique et économique. Les îles des Mascareignes ont un patrimoine botanique hors du commun. À une époque où nous parlons quotidiennement de biodiversité, d’espèces disparues ou alors de celles qui sont menacées de disparition, notamment du fait du changement climatique, il est non seulement important, mais vital, d’élaborer des politiques appropriées et efficaces pour la conservation de nos espèces, dont beaucoup sont gravement menacées dans l’ensemble des 225 familles qui constituent cette flore.
Nous devons également sensibiliser le public sur l’importance de la biodiversité et la nécessité de préserver notre patrimoine naturel pour les générations futures. Nous pourrions valoriser davantage nos espèces endémiques, surtout celles qui ont de belles fleurs, en les multipliant pour les mettre à la disposition des entreprises et du grand public, pour qu’elles servent à embellir nos routes et espaces publics et privés, au lieu d’avoir recours à des espèces exotiques.

Le mot de la fin…
Il faut prendre en main le jardin de Pamplemousses et le restaurer pour faire de lui un véritable joyau au service de notre pays. Tous ceux qui ont visité ce jardin, qui a une dimension historique, puisqu’il a été créé par Pierre Poivre, conviendront qu’il y a un gros travail à faire afin de redonner à ce jardin sa splendeur d’antan, à la hauteur de l’île Maurice moderne.
D’autant plus que c’est Maurice qui a la flore la plus riche en espèces endémiques, au moins deux fois plus riche que celle de La-Réunion. Cependant, en ce qui concerne les orchidées, les espèces endémiques sont beaucoup plus nombreuses à La-Réunion qu’à Maurice. Considérant qu’il s’agit d’îles océaniques, les phytogéographes ont toujours été étonnés du grand nombre d’espèces qui ont pu se diversifier dans certains genres. Par exemple, dans le genre Diospyros, le Bois d’ébène, 14 espèces à Maurice (tous ont été exploités et détruits par les Hollandais au 18e siècle… enfin presque tous); Pandanus (Vacoas), 22 espèces endémiques à Maurice; Dombeya, avec 10 espèces à La-Réunion et seulement 5 à Maurice et Rodrigues; Angraecum, un grand genre d’orchidées, avec environ 16 espèces endémiques à La Réunion, contre 4 à Maurice. Ces genres ont pu se diversifier ainsi grâce à la variété de biotopes ou des conditions écologiques particulières présents dans les îles des Mascareignes. Rodrigues, malgré sa petite taille, possède aussi des joyaux botaniques, comme la Mathurina penduliflora, qui n’existe aucune part ailleurs, y compris à Maurice et à La Réunion.
Alors que l’île Rodrigues est considérée par les géologues comme une île plus jeune, avec 1,5 million d’années (un joyau volcanique), les deux autres îles ayant 3 millions d’années pour La-Réunion et 7 millions d’années pour Maurice, le fait qu’elle possède des espèces plus anciennes vient le contredire. C’est un aspect à être approfondi dans un autre projet. Il est important de valoriser nos espèces endémiques, qui sont de haute valeur scientifique et économique. Alors travaillons ensemble pour les protéger !

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Bref historique
En 1971, alors que les publications sur la flore insulaire de l’océan Indien remontent à la seconde moitié du XIXe siècle, le projet de publication de la Flore des Mascareignes naît d’une volonté commune de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom, maintenant IRD), du MNHN, des Royal Botanic Gardens (RBG, Kew, UK) et du Mauritius Sugar Industry Research Institute (dépositaire du Mauritius Herbarium) de publier une description actualisée de la flore des îles de l’océan Indien.
Avec plus de 70% espèces endémiques de phanérogames, cette flore présente un intérêt particulier sur le plan scientifique (recension, description, systématique…), mais également sur le plan de la conservation. Un important programme de conservation de la flore des îles de l’océan Indien a également été conduit par le World Wildlife Fund (WWF)/Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
On s’est alors accordé sur le fait que la Flore serait publiée en français et sur le format de l’ouvrage. Dans les années qui ont suivi le lancement de la collection, l’étude des différentes familles a été confiée à des systématiciens des RBG, du MNHN, du Mauritius Herbarium et de l’Orstom/IRD. Tandis que les nouvelles prospections botaniques sur le terrain sont confiées à des chercheurs de l’Orstom/IRD et de Kew pour compléter les collections existantes. Les spécimens récoltés sont déposés dans les herbiers des RBG, du MNHN et au Mauritius Herbarium.
Les premiers volumes sont parus en 1976, suivis par des parutions régulières jusqu’en 2018. Les volumes sont à l’origine produits à Maurice par l’imprimerie du Gouvernement sous la direction du MSIRI/MCIA, puis à partir de 2001 édités et imprimés par l’IRD.
Au total, 28 fascicules ont été publiés, couvrant plus de 225 familles, le dernier volume publié datant de 2018, quand une famille restait à être publiée (les orchidées). La rédaction du texte consacré à la famille des orchidées a été complétée en deux volumes illustrés en couleur, le premier sur les espèces épiphytes, et le second sur les espèces terrestres.
Il est par ailleurs prévu de réunir en une seule et même publication au format numérique l’ensemble des volumes de la collection, avec un texte de présentation actualisé et une mise à jour complète des familles déjà publiées. La totalité des volumes sera ainsi accessible en une seule et même publication pour la communauté scientifique et les acteurs de la conservation.
Pour mener à terme l’édition des deux derniers volumes de la collection, il a été nécessaire de renouveler la convention entre le MSIRI/MCIA, Kew RBG et l’IRD (échue en 2012) afin de cadrer la répartition des contributions respectives des partenaires, de définir le planning de parution, les modalités de prise en charge des coûts d’édition des derniers volumes, les conditions de diffusion et la répartition des exemplaires entre les institutions partenaires. Etant entendu que seront prises en compte les contributions respectives des partenaires, que ce soit sur le plan scientifique (déterminations des spécimens, rédaction des volumes, conservation des collections…) ou au niveau des prestations éditoriales (Editions de l’IRD).
Les deux derniers volumes sont disponibles depuis début mars. On comprend que la réalisation de ce programme a été assez complexe puisqu’il s’agissait de coordonner les interventions de quatre institutions (Orstom/IRD – avec le concours du MNHN –, RBG et MSIRI/MCIA). Pour les familles les plus importantes, cela a représenté plusieurs années de travail des spécialistes, avec de longues heures passées sur le microscope binoculaire, “la bino” ! Cela explique aussi que ce programme ait pris autant de temps pour être achevé.

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