Notre invité de ce dimanche est Monseigneur Thomasz Griza, le nouveau Nonce Apostolique du Saint Siège pour Madagascar, les Comores, les Seychelles, La Réunion et Maurice, venu présenter ses lettres de créances aux autorités mauriciennes. Monseigneur Griza a accepté de répondre à nos questions samedi matin, juste avant son départ pour Antananarivo où est installé le siège de la nonciature.
Éclairez ma lanterne, Monseigneur : je suis perdu entre les titres de Pro nonce, de Nonce et d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Saint Siege !
— Avant, on donnait le titre Pro nonce apostolique, quand ce dernier était le doyen du corps diplomatique du pays où il était posté. J’ai le titre de nonce apostolique qui exerce la fonction d’ambassadeur auprès des pays mais aussi des églises locales. Pour être complet sur cette question, le Délégué apostolique n’a pas de fonction diplomatique mais est l’envoyé du Pape auprès des églises locales. Ce qui est mon cas à La Réunion et aux Comores, alors qu’à Madagascar, à Maurice et aux Seychelles, je suis le Nonce apostolique.
En quoi consiste le travail d’un Nonce apostolique ?
— Il a deux dimensions fondamentales. La première consiste à nouer et entretenir de bonnes relations diplomatiques avec le pays où le Nonce est envoyé et régler les problèmes, s’il y en a. Le Nonce a beaucoup de relations avec le gouvernement du pays où il est posté quand le Pape vient rendre visite, ce qui impose une série de rencontres au niveau de l’organisation. La deuxième dimension, qui demande beaucoup plus de temps et d’énergie, c’est l’église locale avec le développement de ses activités, les questions à régler entre les évêques et le clergé, les religieux et les laïcs, ainsi que les nominations épiscopales.
Vous avez représenté le Saint Siège en Russie, en Inde, au Népal, en Belgique, au Mexique, au Brésil, à l’ONU en Israël et en Palestine, entre autres. Vous avez fait le tour du monde, sauf l’Asie et l’Afrique dont font partie les pays où vous venez d’être nommé. Ce n’est pas un handicap ?
— Je ne le pense pas. Nous sommes formés pour nous adapter et nous intégrer dans les pays où nous sommes nommés. En ce qui concerne l’Afrique, j’ai quand même fait un stage de plusieurs mois au Soudan.
En dépit du fait que le Saint Siège n’est pas un État, il a des ambassadeurs dans pratiquement tous les pays du monde. Qu’est-ce qui explique cette importante présence diplomatique : le besoin d’influer sur la marche du monde ?
— Nous ne sommes pas un pays, mais nous représentons le Pape et la curie romaine qui, eux, représentent plus d’un milliard de catholiques à travers le monde. C’est pour cette raison que notre réseau diplomatique est aussi important, car les catholiques sont partout dans le monde. Les nonciatures et les nonces aident le Saint-Père à garder le contact avec les églises locales, à avoir l’information correcte et complète sur l’avis de l’Église et aussi les questions politiques et sociales du monde, ce qui permet au Pape de s’exprimer.
Est-ce que chaque Pape imprime sa propre vision diplomatique au Saint Siège, ou se contente de suivre celle en cours ?
— Bien évidemment, chaque Pape, avec sa personnalité, marque la ligne diplomatique du Saint Siège. Mais il est aidé par tout le corps diplomatique des nonces apostoliques qui envoie les informations au secrétariat d’État qui transmet au Saint-Père des dossiers sur des problèmes particuliers qui l’aident dans ses décisions et ses prises de parole.
Est-ce qu’il existe une ligne, une politique diplomatique du Saint Siège ?
— Le Saint Siège se place au-dessus des pays et des blocs politiques. Notre vision est de sauver des vies humaines dans le contexte de guerre et de travailler pour le développement et pour la paix dans les pays du monde. Notre intérêt primordial, ce sont les personnes, les êtres humains, pas les systèmes politiques et les pays. C’est pour cette raison que dans le conflit entre le Russie et l’Ukraine, le Saint-Père insiste sur la nécessité d’arrêter la guerre pour sauver les vies humaines.
Est-ce que la parole du Pape est plus ou moins écoutée aujourd’hui ?
— Je dirais qu’elle est entendue, écoutée, mais est-ce qu’on fait toujours ce qu’il préconise, c’est autre chose.
Le Pape est, ce week-end, en Hongrie, pays dont l’actuel dirigeant n’est pas connu pour son respect de la démocratie. Est-ce qu’en rendant visite à la Hongrie, le Pape ne donne pas une certaine crédibilité à son dirigeant ?
— Je ne suis pas sur qu’il est juste de qualifier M. Horban, qui a été élu démocratiquement, de quelqu’un qui ne respecte pas les règles démocratiques. Le Pape parle avec tout le monde, parce que pour lui, c’est la seule façon de résoudre les problèmes.
En tout cas, la presse pro gouvernementale hongroise est en train d’interpréter la visite du Pape comme un soutien à la Russie, contre l’Ukraine !
— Lors des visites du Pape à l’étranger, il y a toujours un risque de tentative de récupération ou d’instrumentalisation. Mais heureusement, les discours du Pape sont publiés en intégralité et ne disent absolument pas ce que certains commentateurs hongrois tentent de faire croire.
Il y a quelque temps, le Pape a eu un comportement qui a surpris, voire choqué. Lors de sa visite en Birmanie, il n’a pas prononcé une seule fois le nom des Rohingyas, des Birmans de foi musulmane qui faisaient l’objet de ce que les institutions internationales ont qualifié de nettoyage ethnique par la junte militaire.
— Le Pape a prononcé ce nom de l’autre côté de la frontière birmane, au Bangladesh. Sa préoccupation était de trouver une manière de résoudre le problème des Rohingyas. Sa crainte était qu’en prononçant le nom Rohingyas en Birmanie, il aurait pu créer d’avantage de tension et ne pas du tout contribuer à trouver une solution au problème.
Le monde vit un retour vers le conservatisme et même une forme d’intégrisme qui marque la politique. Est-ce également le cas au sein de l’Église catholique ?
— Il y a toujours beaucoup de courants dans l’Église catholique, mais je ne pense pas ce qui se passe au niveau de la politique mondiale soit la même chose. Il y a eu des progressistes et des conservateurs, avec parfois des dérives doctrinales dans l’Église. On a des fidèles et même des prêtres qui ont adhéré à certaines idées politiques, mais j’ai l’impression que la foi unit plus les catholiques que les idées et tendances politiques.
Est-ce que l’Église bénéficie de ce regain de ferveur pour la religion ? Est-ce que les jeunes viennent de plus en plus vers l’Église ou est-ce le contraire ?
— Ça dépend des pays, sans doute. Je pense que dans ceux qui sont ravagés par les idéologies libérales modernes, c’est plus difficile. Parce que les jeunes sont continuellement bombardés d’idées qui prônent la liberté individuelle contre toutes les règles. Ces jeunes n’ont pas de repères moraux et sont victimes de ce que le Pape François appelle la colonisation idéologique. Dans ces pays d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Australie, et un peu à Maurice, les jeunes ne sont pas nécessairement aidés par la culture dominante. Dans ces pays le processus de transmission de la foi a été interrompu. Mais dans les pays où la culture est restée très attachée a l’identité nationale, comme à Madagascar et à Rodrigues dans la région et, en général, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, la culture peut aider les jeunes à découvrir la foi.
Les cas de pédophilie et d’abus sexuels se multiplient dans l’Église. Est-ce qu’ils sont en augmentation ou est-ce qu’on a ce sentiment parce qu’ils sont rendus publics dans la presse et sur les réseaux sociaux ?
— Ils ne sont pas en augmentation. Ce sont surtout les cas historiques d’hier qui sont mis en lumière aujourd’hui. Je tiens à dire que ce n’est pas seulement le problème de l’Église, mais celui de la société, et je ne le dis pas pour justifier quoi que ce soit. C’est le problème d’une société où la promiscuité a été presqu’élevée au rang de vertu et nous en payons les conséquences. L’Église a réagi à ce problème, et nous attendons que le société en fasse de même. Il faut aussi souligner que d’un point de vue de l’acceptation sociale, la pédophilie est rejetée par la société, alors que dans le passé, cela était très ambigu.
Puisque vous évoquez l’acceptation sociale, il faut dire que l’homosexualité et le mariage pour tous sont plus acceptés maintenant. Quelle est aujourd’hui la position de l’Église sur l’homosexualité ?
— Elle s’est déjà manifestée dans le catéchisme de l’Église catholique où il est dit clairement qu’on ne condamne pas les personnes qui vivent de cette manière, mais qu’on ne peut pas accepter les actes homosexuels qui sont un péché, selon l’Évangile.
Un autre problème social qui resurgit aux États Unis et un peu partout dans le monde, c’est l’avortement. La position de l’Église a évolué sur ce sujet ?
— Non, l’Église est contre l’avortement et le Pape François l’a plusieurs fois dit : il faut sauver chaque vie.
Il y a moins de prêtres à Maurice au point où il faut en “importer” de l’étranger. C’est une tendance mondiale dans l’Église ?
— C’est vrai dans certains pays. À Maurice, c’est vrai que c’est un moment délicat, mais il y a plus de séminaristes qu’avant. Donc, dans quelques années, la tendance sera inversée. Ailleurs, il y a la grande question de s’engager à vie soit dans la prêtrise, soit dans le mariage, un engagement à vie, définitif, qui fait peur.
Il y a de plus en plus d’ouverture de nouvelles églises chrétiennes, qui se disent non catholiques, de par le monde. Avez-vous constaté le même phénomène dans les pays de la région ?
— Je pense que ce phénomène est plus fort à Maurice qu’à Madagascar. Là-bas, les églises chrétiennes sont réunies au sein d’une organisation avec laquelle nous collaborons régulièrement. Un phénomène nouveau à Madagascar au niveau religieux est la montée d’une nouvelle communauté musulmane. Il existe depuis longtemps une communauté musulmane autochtone d’origine indo-pakistanaise totalement intégrée dans la communauté malgache. En revanche, les nouveaux foyers musulmans sont plus agressifs avec une action plus missionnaire menée, on le pense, depuis l’Arabie Saoudite et qui pourrait, à terme, déstabiliser certaines zones du pays. Mais il existe une forte barrière culturelle et alimentaire contre cette action missionnaire musulmane à Madagascar
Je vous demande pardon ?
— Les Malgaches ne semblent pas prêts à abandonner leurs coutumes et habitudes alimentaires pour intégrer une autre religion.
Nous allons maintenant arriver à la question que se posent l’ensemble des Mauriciens – et pas seulement les catholiques : quand est-ce que le prochain évêque de Port-Louis sera nommé ?
— On fait les consultations et on cherche le candidat pour succéder à Mgr Maurice Piat, qui est un excellent évêque, avec beaucoup de soin.
Quelles sont les procédures pour nommer un évêque ?
— C’est une longue procédure. Au début, on demande des candidatures et après, à partir des réponses, on choisit les trois meilleurs.
Qui choisit ?
— La nonciature. On fait des recherches approfondies sur les trois candidats retenus et nous envoyons les résultats aux dicastères qui les évalueront, avant de préparer un dossier destiné au Saint-Père qui fera le choix définitif.
Excusez-moi de vous dire ça brutalement : vous venez d’être nommé nonce. Comment pouvez-vous faire une évaluation des candidats d’un pays et d’une église dont les caractéristiques sont, pour dire le moins, assez compliquées !?
— Heureusement que l’Évêque a déjà fait un gros et bon travail et puis c’est la continuation au sein de l’Église. Le monde change, mais l’institution demeure. Le travail de base a été déjà fait et nous ne faisons qu’ajouter des remarques supplémentaires sur les dossiers.
Est-ce que les trois meilleurs candidats ont été déjà sélectionnés ?
— En raison du secret pontifical, je ne peux pas répondre à cette question. Mais ce je peux dire est que le processus est déjà entamé et qu’il en est à un stade très avancé. C’est au dicastère de l’Évangélisation de conclure le travail, mais il est encore possible que d’autres questions sortent des réponses que contiennent le dossiers et demandent l’approfondissement de certains points. Tout cela est fait pour choisir le meilleur, celui qui sera plus apte à la fonction.
Est-ce que, comme le Cardinal l’a récemment déclaré, le diocèse aura un nouvel évêque avant la fin de l’année ?
— Je l’espère. On n’a pas de raison pour attendre, mais cela dépend de plusieurs facteurs. En particulier, si le candidat élu accepte. Il faut prier qu’il accepte.
Vu le temps que prend la procédure, les fidèles commencent à se dire qu’il n’y a pas de candidat mauricien valable pour occuper le poste !
— Je pense que Maurice a beaucoup de candidats valables, mais je n’exclus pas des candidats de l’étranger…
…attendez ! Est-ce qu’il est possible que le prochain évêque de Port-Louis ne soit pas un Mauricien ?
— Cette possibilité existe. Dans la région, l’Évêque des Seychelles n’est pas un Seychellois mais un Mauricien, tout comme l’Éveque des Comores est un Congolais !
Donc, rien n’est joué ! Vous avez rencontré les officiels mauriciens lors de votre sejour. Est-ce que malgré les positions fortes – et très appréciés – du Cardinal, les relations entre Maurice et le Saint Siège sont cordiales ?
— Entre le gouvernement mauricien et l’église locale, il y a un dialogue franc. C’est aussi le rôle de l’Évêque d’élever parfois sa voix prophétique pour aborder des questions sociales d’intérêt public. La République de Maurice et le Saint Siège entretiennent des rapports cordiaux et ont une bonne relation, surtout sur la question des Chagos. Je représentais le Saint Siège à l’ONU au moment du vote historique et c’était formidable de voir comment la délégation mauricienne avait réussi à construire une alliance pour sa cause. Et comme le Saint Siège se bat toujours pour la défense du droit international. Nous avons soutenu Maurice.
Vous venez, ce samedi matin, de rencontrer une délégation de Chagossiens…
— Ils ont demandé à me rencontrer et j’ai accepté bien volontiers. Nous avons eu un bon échange d’information et de points de vue sur le sujet.
Savez-vous qu’à l’époque, l’Église catholique n’a pas été très accueillante pour les Chagossiens déportés à Maurice ?
— Cela remonte à plus de 50 ans. La situation politique était assez confuse, ce qui pourrait expliquer certains comportements. Mais aujourd’hui, on ne peut pas douter sur la question juridique des Chagos qui doivent revenir à Maurice. Il reste la question politique et comment faire pour appliquer le jugement, mais je crois qu’il y a un peu de souplesse de la part du Royaume Uni et des solutions sont envisageables. J’espère que ce contentieux sera réglé dans le dialogue, avec de la bonne volonté, dans l’intérêt de tous.
J’aimerais maintenant parler de l’affaire du père Alexis Wiehe, ce prêtre mauricien relevé de ses fonctions et envoyé dans un monastère en France d’où il a écrit au Pape pour demander a être relevé de ses vœux de prêtre. Votre commentaire ?
— Je ne connais pas le cas. Je ne peux, donc, pas faire de commentaires.
Quel est le regard que vous jetez sur l’avenir de l’Église catholique dans le monde ?
— Le regard de la foi, malgré les vents contraires. L’Église est comme un bateau dans une mer agitée qui doit naviguer et maintenir le cap. Il faut toujours se souvenir que le Seigneur est parmi nous et que c’est lui qui nous garantit le futur, pas seulement nos talents et notre bonne volonté.
Est-ce que l’ordination des femmes dans l’Église est toujours un sujet tabou ?
— C’est un sujet qui a été définitivement abordé et reglé par le Pape Jean Paul II dans une encyclique. Je ne pense pas qu’on puisse ordiner les femmes.
Est-ce que cette affirmation n’est pas contre l’évolution de la société, d’un monde où les femmes sont numériquement majoritaires, sauf dans l’appareil de l’Église où elles n’existent pratiquement pas ?
— C’est dans la même veine que votre question sur l’homosexualité. Ce n’est une question de majorité ou d’évolution de la société, c’est une question de la nature du sacerdoce catholique et de l’Église. Ceux qui sont appelés à être prêtres le sont pour être, comme le Christ, époux de l’Église.
Ce qui nous mène directement au célibat des prêtres, une des grandes questions qui traverse actuellement l’Église.
— L’Église a fait une découverte aux premiers temps : que le célibat sacerdotal exprime mieux le caractère des prêtres époux de l’Église, des prêtres qui font un don total de soi pour l’Église.
Question personnelle : pourquoi avez-vous choisi la voie de la diplomatie au sein de l’Église ?
— Au départ, j’étais prêtre dans une paroisse quand on m’a proposé de faire des études en diplomatie. J’ai accepté et je ne le regrette pas.
Vous êtes Polonais, votre pays est voisin de l’Ukraine. Quel est le regard que vous portez sur la guerre entre ce pays et la Russie ?
— Évidemment, c’est une guerre injuste car l’Ukraine a été attaquée par la Russie. La Pologne a accueilli des millions de réfugiés ukrainiens, dont certains sont aujourd’hui retournés dans leur pays. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une atteinte très grave au droit international. On doit arrêter cette guerre. Premièrement, pour sauver des vies humaines, mais aussi pour ne pas donner de mauvais exemples à d’autres pays. Si on n’arrête pas cette guerre, cela pourrait donner des idées à d’autres pays d’aller occuper par la force d’autres pays dans leur ligne de tir…
…vous pensez à la Chine et à Taiwan ?
— Vous lisez dans mes pensées !? Bien sûr, je pense aux pays que vous avez cités, mais il existe d’autres parties du monde où des pays limitrophes ont des prétentions sur les territoires de leurs voisins.
l En terminant, je vous repose la question qui intéresse tous les Mauriciens, plus particulièrement les catholiques : un nouvel Évêque sera bientôt nommé à Port-Louis ?
— C’est ce que je souhaite.