David Roger (BuyYourWay) : « Madagascar et l’Afrique sont les meilleures solutions pour les futurs approvisionnements »

David Roger est directeur du cabinet de conseil BuyYourWay, spécialisé dans les achats responsables. Parmi ses clients, des industriels français et étrangers de premier plan : L’Oréal, Danone, Bic, Chanel, ARaymond, SIFCA, Essilor, Kramer et Saint Gobain, entre autres. Il travaille également avec le secteur textile malgache. Depuis 2021, il accompagne les membres de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM) sur les problématiques et les enjeux de la Supply Chain dans le cadre du programme Lindistri Dime. S’il a relevé des faiblesses de taille au niveau des entreprises locales, il propose des clés pour améliorer leur chaîne d’approvisionnement.

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Vous avez travaillé avec plusieurs entreprises mauriciennes pour les aider à améliorer leur chaîne d’approvisionnement. Que pouvez-vous dire de leurs forces et faiblesses ?

Chaque entreprise a évidemment ses propres particularités, du fait de son secteur d’activité, de ses marchés et de sa taille. Au sein du pool d’entreprises accompagnées, on peut distinguer particulièrement les entreprises sur ce dernier critère.
Il y a deux fondamentaux liés au métier même des achats et sa professionnalisation. La maîtrise du rapport de force avec ses fournisseurs et le processus d’achat structuré, qui va permettre de servir justement une stratégie tenant compte de ces rapports de force et des particularités des marchés fournisseurs.

Si toutes les entreprises mauriciennes, même les plus importantes, ont comme point commun d’être très dépendantes des importations, et également d’avoir des rapports de force relativement défavorables à l’échelle des marchés internationaux, les plus importantes d’entre elles et celles qui ont une plus forte professionnalisation des achats s’adaptent mieux. Certaines ont également choisi des fournisseurs de tailles intermédiaires, plus flexibles, plus ouverts au dialogue et, parfois, plus innovants, ce qui est une force quand on va devoir demander des informations sensibles sur les impacts environnementaux ou s’informer de la politique sociale du partenaire.

Malgré les faiblesses de taille, il y a des leviers pour chacune des entreprises accompagnées. Pour les plus petites, il va s’agir de deux leviers principaux. D’une part, réimaginer son besoin d’achat, écoconcevoir ses produits, agir donc sur son cahier des charges. D’autre part, capitaliser sur les avancées des fournisseurs sur le plan social et environnemental, essayer de travailler avec les plus avancés pour remonter de l’information, la structurer et utiliser les plus-values des fournisseurs dans son marketing, par exemple.

La chaîne mondiale d’approvisionnement a été profondément perturbée depuis la pandémie de Covid-19 et il semble que la situation prendra du temps pour revenir à la normale. Comment vont évoluer les choses dans les prochains mois?

Ce que nous partagent les spécialistes du fret est simple : le Covid a totalement désorganisé les lignes maritimes et, alors que cela commençait doucement à s’améliorer, la crise ukrainienne est venue se greffer à ce contexte déjà très difficile. Nous ne sommes pas spécialistes de ce sujet chez BuyYourWay, mais nos interlocuteurs nous disent souvent qu’il faudra plusieurs années avant de retrouver des rythmes et une régularité d’avant Covid… si d’autres crises ne viennent pas s’y ajouter, malheureusement !

Au-delà de la problématique du fret, ces crises touchent aussi certaines matières et filières. Pour l’Ukraine, nous avons tous en tête la moutarde et le blé, qui impactent directement nos économies et certains acteurs de l’alimentaire. J’ai été également marqué par des témoignages mauriciens sur les pénuries de fruits et légumes en début de crise Covid. Or, il n’y a pas 10 000 solutions à long terme – je souligne bien long terme –, et cela veut dire qu’il faut très largement anticiper nos stratégies d’achats, ce qui constitue un changement fort des pratiques par rapport au court-termisme passé. La relocalisation à Maurice, mais également dans la région indianocéanique, est la clé ! Madagascar et l’Afrique de l’Est et Australe sont certainement les meilleures solutions pour beaucoup de futurs approvisionnements, et on peut mieux faire également à Maurice, bien que la superficie de l’île nous contraigne.

En quoi consiste l’achat durable que vous préconisez et quels pourraient en être les bénéfices pour les entreprises mauriciennes ?

Les achats dits durables ou responsables reposent sur trois grands axes, que nous essayons de combiner le plus parfaitement possible, tout en tenant compte des leviers et contraintes des entreprises. Tout d’abord, c’est réfléchir à l’impact des produits et services achetés sur l’environnement, mais aussi sur la santé des usagers (collaborateurs en interne, consommateurs et clients en externe). Cet axe-là repose sur l’analyse du besoin, sur le cahier des charges et sur la révision des spécifications techniques. On passe par l’écoconception, par l’ergonomie, par l’exclusion de polluants, etc. L’écoconception permet aussi de réduire des dépendances matières et de réduire des coûts.

Le levier suivant, quand on a cette liberté, est de mieux sélectionner les fournisseurs avec qui nous travaillons. Là se pose une question de rapport de force, car il s’agit de poser des questions parfois sensibles sur leur système de management environnemental, leurs politiques sociales, etc. Or, être trop coercitif ne fonctionne pas si vous êtes dépendant de votre fournisseur et un petit client. Il ne va tout simplement pas répondre, voire peut-être remettre en cause le partenariat. Tout repose donc sur la justesse du dialogue et du pragmatisme dans ce que l’on peut demander. Et parfois, réfléchir à changer de fournisseur.

Le troisième axe est clé. À force de demander toujours plus aux fournisseurs, on peut tendre les relations avec ces derniers. Les achats responsables, c’est donc aussi une dimension éthique de la relation entre partenaires commerciaux. Sans naïveté dans la négociation, on évoque des relations mutuellement bénéfiques, dans la norme de référence de la RSE ISO 26000.

Je conclurais sur le sujet d’un des webinaires du parcours AMM, plus exploratoire, c’est l’alignement des achats à de nouvelles stratégies et de nouveaux modèles économiques à la vente. Nous sommes souvent pris par le quotidien opérationnel dans nos entreprises; nous levons rarement la tête pour réinterroger nos habitudes.
Qu’est-ce que je vends réellement ? Quels sont l’usage et l’utilité ? Et du coup, qu’est-ce que j’achète, pourquoi, avec quel intérêt et quelle plus-value sur le service rendu finalement ? Avec ces questionnements, on peut totalement remettre en cause ses besoins et, pourquoi pas également, se défaire de certaines dépendances aux marchés mondiaux…

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