Elle veut valoriser les danses folkloriques indiennes et c’est d’ailleurs pourquoi elle a créé une association à but non-lucratif, en l’occurrence l’Association for the Promotion of Indian Classical Arts (APICA). Cette ancienne élève du couvent Lorette de Curepipe évoque divers sujets : la représentativité féminine au Parlement, la violence domestique, la situation des femmes au moment de célébrer la Journée internationale de la Femme et ses propositions pour le budget.
Dans l’interview qui suit, Tejsree Beharee souligne aussi que le pays n’est pas prêt à accepter de sitôt une femme au poste de Premier ministre. Parlant de la hausse du coût de la vie, elle souligne que les mères monoparentales sont plus touchées par cette situation car elles doivent privilégier les dépenses du ménage aux objectifs d’épargne à long terme. Les femmes qui assument ces responsabilités se retrouvent dans une situation où leur bien-être mental est affecté. Au sujet de l’association, elle souligne que celle-ci veut être le trait d’union avec la nouvelle génération pour que celle-ci opte pour le métier du spectacle. « L’art rassemble les gens et enrichit la société », affirme-t-elle.
Revenez quelque peu sur votre parcours avant la création de l’Association pour la promotion des arts classiques indiens ?
Quand j’avais neuf ans, j’ai commencé à apprendre les danses folkloriques indiennes et le bharatnatyam auprès de Mme Raveeta Salick Peetumber. Après neuf ans d’apprentissage et après mes études au couvent Lorette de Curepipe, j’ai poursuivi ma formation en ingénierie chimique et énergies renouvelables à l’université de Maurice.
Simultanément, je me suis inscrite à un cours menant à un certificat en bharatnatyam à l’Institut Mahatma Gandhi parce que j’étais passionnée par la danse, sans intention de faire carrière dans le domaine. J’ai finalement obtenu un diplôme en bharatnatyam, tout en travaillant comme Process Engineer. A l’université, j’ai reçu le prix du meilleur étudiant en arts de la scène. Je serai éternellement reconnaissante envers mes professeurs d’avoir cru en moi.
Entre-temps, j’ai décidé de changer de carrière et j’au privilégié ma passion en devenant professeur de danse. En 2016, j’ai ouvert mon école de danse, la Nritya Tej Dance Academy. Cela a été un voyage de sept ans. J’ai présenté divers spectacles avec mes élèves, comme Dancexercise, Facets of bharatnatyam, Balakrida – Games of yesteryears et Essence and Origin of Bharatanatyam.
En cours de route, j’ai complété un PGCE en danse au MIE, et une maîtrise en bharatnatyam à l’université de Madras à Chennai. J’ai également eu l’opportunité d’être membre du jury de concours nationaux de danse comme Zeness Montrer to Talan organisé par le ministère des Sports, le concours national de danse folklorique bhojpuri pour les collèges et un concours de danse pour la Convention internationale sur les cercles de qualité des étudiants.
Pourquoi avoir créé l’Association pour la promotion des arts classiques indiens ?
Au cours des dernières années, j’ai eu l’occasion d’assister à des ateliers et séminaires de danse en Inde, et j’ai été ravie de constater l’intérêt des artistes pour la formation continue dans leurs domaines respectifs. Pour cela, il faut qu’il y ait une force unificatrice en vue de fédérer les artistes, les encourager à continuer à apprendre et leur donner l’occasion de montrer leur travail. Sinon, nous courons le risque de nous lancer dans une routine d’enseignement d’un programme fixe sans être au courant des avancées dans le domaine. Nous avons un vivier d’artistes talentueux à Maurice qui ont besoin d’avoir la chance d’être vus et l’opportunité de faire l’expérience d’une formation continue. Dans mon esprit, cette force peut prendre la forme d’un groupe structuré de personnes partageant les mêmes idées et travaillant en toute transparence, en d’autres termes, une association enregistrée.
Quels sont les objectifs de l’association ?
Les objectifs de l’association sont multiples. Ils s’articulent autour de la nécessité de promouvoir les arts et la culture indienne afin que les Mauriciens puissent avoir une expérience artistique plus significative. Ils visent aussi à permettre aux artistes classiques indiens de travailler sur leur potentiel créatif et de fournir une plate-forme pour démontrer leur travail, leur donnant ainsi plus de visibilité et leur permettant de développer les échanges culturels entre Maurice et les plates-formes internationales, à encourager les artistes à étudier et à faire des recherches dans leur domaine et avoir plus d’opportunités de carrière.
Est-ce que l’association va travailler en étroite collaboration avec d’autres institutions qui dispensent des cours dans ce domaine ?
L’association souhaite être le trait d’union pour inciter la nouvelle génération à opter pour le métier du spectacle. J’ai été éducatrice dans le domaine de la danse, et mon observation est que les étudiants peuvent avoir un amour pour le sujet, mais je constate que la tendance actuelle est d’aller vers le domaine académique. La raison est simple. Les jeunes veulent un avenir sûr et bien établi. Je ne les blâme pas. Mais quelque part, certains rêves restent inassouvis, car ceux qui se passionnent peut-être pour les arts de la scène ne voient pas un bel avenir devant eux.
Ainsi, l’APICA apportera des projets pour sensibiliser les jeunes aux différentes possibilités dans le domaine. Ce faisant, elle les guidera vers la poursuite d’études en arts de la scène dans ces établissements. Pour y parvenir, plusieurs institutions ont déjà exprimé leur intérêt à aider.
Nous venons de célébrer la Journée internationale des femmes. Quel constat faites-vous de la situation des femmes sur les plans professionnel et social ?
Pendant des décennies, si nous avons regardé et observé autour de nous, nous avons constaté des changements importants dans la place des femmes dans la société. Alors que nos grands-mères étaient femmes au foyer ou occupaient des emplois peu rémunérés pour subvenir aux besoins de leur famille, aujourd’hui, les femmes ont gravi les échelons de l’emploi. Les femmes ont osé accéder à des postes qui n’étaient autrefois occupés que par des hommes. Elles ont acquis l’indépendance et la liberté d’exprimer leur choix.
Nous pouvons ainsi voir plus de femmes en politique, comme entrepreneuses, à la tête du secteur de l’éducation du pays et à la tête des meilleurs centres de santé. Mais il est regrettable de constater que les femmes sont encore sous-payées par rapport aux hommes exerçant le même métier. C’est un débat qui doit s’évaporer de la société et de nos pensées. L’écrivaine américaine Sheryl Sandberg disait : « Dans le futur, il n’y aura pas de femmes leaders. Il n’y aura que des leaders. » Un monde de diversité et d’inclusivité, où la différence est valorisée, contribuera à faire progresser l’économie.
Sur le plan social, les femmes utilisent les plates-formes sociales et numériques pour se connecter et conduire le changement social. En Iran, récemment, les femmes ont utilisé les médias sociaux pour s’exprimer et exprimer leurs demandes d’égalité. Au même moment, une manifestation en ligne a été lancée contre les fondamentalistes au Soudan. Sur une note plus constructive, de nombreuses femmes utilisent les plates-formes des médias sociaux pour faire connaître leur travail. Dans le confort de leur foyer et avec des appareils numériques à portée de main, elles communiquent avec leur public et présentent leur travail qui, autrement, aurait été un combat dans la vraie vie.
Le thème de la Journée internationale de la femme de cette année est « DigitALL : innovation et technologie pour l’égalité des sexes ». Après le Covid, les plates-formes en ligne ont été une aubaine pour les personnes se formant aux arts de la scène, en particulier les femmes qui peuvent toujours bénéficier d’une formation quel que soit leur lieu de résidence, leur situation familiale, qu’elles soient enceintes ou non.
En tant que danseuse, je voudrais souligner deux termes, la tandava et la lasya, pour aborder l’égalité des sexes. Alors que la tandava est la danse vigoureuse représentée par Shiva, la lasya est la danse gracieuse représentée par l’épouse de Shiva. Elles sont toutes les deux belles dans leur différence. Ces deux danses ne se combattent pas pour occuper l’espace ; au lieu de cela, elles se complètent pour apporter davantage de beauté à la danse. De la même manière, je souhaite un monde où des termes tels que l’inégalité entre les sexes et les écarts de rémunération entre les sexes n’existent pas.
Les femmes sont sous-représentées au Parlement. Avez-vous une idée de la raison ?
La représentation des femmes au Parlement lors des dernières élections n’était que de 20%. Mais si on le compare aux élections passées, il y a eu une progression graduelle : 5,7% en 1983 et 1987, 17% en 2005 et 11,6% en 2014. J’ai remarqué que beaucoup de jeunes candidats ont émergé lors des dernières élections. C’est déjà une étape encourageante, et j’espère que les chiffres continueront d’augmenter en ouvrant des portes d’opportunités à ceux qui le méritent.
Pour moi, les trois principales raisons pour lesquelles les femmes sont sous-représentées au Parlement sont comme suit : elles hésitent à devenir politiciennes , les électeurs sont biaisés et les partis politiques ont des a priori.
C’est une situation qui pourrait être résolue en éduquant nos jeunes à la politique dès leur plus jeune âge. Le fait d’exposer les filles à la politique en les impliquant dans des activités scolaires ou nationales pourrait piquer leur intérêt à un stade très précoce de leur vie.
Des plates-formes comme le Parlement national des jeunes ont été mises en place pour donner aux jeunes une plateforme pour débattre des questions nationales et internationales. De plus, il y a le Model United Nations qui permet aux participants de jouer le rôle de représentants des membres des Nations unies pour s’informer sur les structures politiques et sociales internationales. Finalement, avec l’implication des jeunes dans la politique, les opinions des électeurs et des partis politiques navigueront vers de nouveaux principes.
Pour avoir un équilibre et une égalité entre les sexes dans la société, le Code national de gouvernance d’entreprise a établi certains principes qui pourraient servir de lignes directrices pour intégrer davantage de femmes dans les conseils d’administration des entreprises publiques. Pour ce faire, les femmes recevront la formation appropriée pour acquérir les compétences et l’expertise nécessaires pour gouverner.
Pensez-vous que Maurice est prête pour une femme en tant que Premier ministre ?
En dehors de Maurice, les femmes ont été à la tête des affaires dans de nombreux pays. En commençant par Kamala Harris en tant que première vice-présidente des États-Unis, la Premier ministre finlandaise Sanna Marin. Les prochaines décennies semblent prometteuses pour les femmes.
Dans l’histoire du bharatanatyam, l’une des pionnières, Rukmini Devi Arundale, a été approchée pour être la première femme à la présidence de l’Inde par le Premier ministre Morarji en 1977, ce qu’elle a refusé afin de poursuivre sa bataille pour soutenir les arts.
À Maurice, parmi les deux vice-Premiers ministres, nous avons une femme, en l’occurrence Leela Devi Dookun-Luchoomun, qui dirige avec acharnement le ministère de l’Éducation depuis quelques années. Il est possible d’avoir une femme au poste de Premier ministre, mais selon les tendances des électeurs et la Political Trend, ce n’est peut-être pas pour bientôt.
Beaucoup de femmes sont victimes de violence domestique malgré le fait que les lois en vigueur sont assez sévères. Que faudrait-il faire, selon vous ?
Malheureusement, malgré des mesures sévères, la violence domestique est toujours présente dans le monde entier. Il ne faut pas attendre la mort par la violence pour que la société réagisse. L’application de lois strictes ne suffit pas à éradiquer ce problème. La solution est d’aller aux racines du mal. Il faut éduquer les gens à ce sujet. Des campagnes de sensibilisation doivent être menées fréquemment dans les écoles et sur les lieux de travail. Des campagnes peuvent être affichées en continu sur des panneaux d’affichage et à la télévision nationale pour rappeler aux victimes qu’il existe une issue.
Pour les femmes, des cours sur l’autodéfense peuvent être dispensés au niveau scolaire et dans les centres sociaux. Les lignes d’assistance aident à obtenir un accès rapide à la communication. Très souvent, la violence domestique est un problème caché. Beaucoup de gens nient le problème en pensant que cela pourrait affecter le nom de famille. Dans ce cas, un numéro d’assistance téléphonique anonyme sécurisé peut être fourni afin qu’ils puissent s’exprimer et obtenir de l’aide en appelant. Les centres sociaux peuvent ajouter un département pour répondre à ces problèmes. L’aide doit être proche des victimes et tous les centres sociaux peuvent être utilisés pour mener à bien ce projet.
La présentation du budget national approche à grands pas. Quelles sont vos propositions et vos attentes?
Dans le domaine des arts de la scène, les propositions suivantes contribuent grandement à l’avancement de la cause des artistes. Je propose ainsi la mise en place d’un panel des arts de la scène pour conseiller sur les projets de financement et dédier un centre de recherche aux arts de la scène et archiver simultanément les œuvres des artistes.
Aussi, il faut s’associer à des institutions internationales pour promouvoir l’étude des arts de la scène, dédier des espaces sûrs dans les gymnases ou les centres sociaux pour les répétitions et la pratique de la danse après les heures de travail, soutenir les Ong et les centres culturels travaillant pour l’art en fournissant une scène pour se produire et offrir des fonds pour préparer des œuvres d’art et encourager les échanges culturels.
Tout le monde parle de la hausse du coût de la vie. Comment est-ce qu’une femme vit cela ?
Avec l’écart salarial entre les sexes, les femmes deviennent comme des amortisseurs pour la situation financière de leur famille. Après la pandémie, le coût de la vie a considérablement augmenté. Les mères monoparentales sont plus touchées par cette situation, elles doivent privilégier les dépenses du ménage aux objectifs d’épargne à long terme. Les femmes qui assument ces responsabilités plus souvent se retrouvent dans une situation qui affecte leur bien-être mental.
Quelle est votre vision pour l’APICA ?
Des ateliers sur divers aspects des arts classiques indiens seront organisés pour encourager l’apprentissage continu. Des spectacles de danse classique indienne seront organisés pour donner plus de visibilité aux artistes. Une base de données sera créée pour avoir un accès facile aux artistes classiques indiens de Maurice.
À travers les différents projets qui seront organisés, je souhaite établir un mécanisme de travail pour l’APICA, qui s’installera organiquement dans la société pour que, même 50 ans plus tard, voire 100 ans, le travail de promotion des arts classiques indiens se poursuive. Je veux que les artistes qui ont étudié les arts de la scène unissent leurs forces et collaborent. Je souhaite monter des projets pour permettre à chacun de présenter son travail. Une bonne énergie de travail encouragera la nouvelle génération à choisir les arts de la scène comme carrière, apportant de la diversité sur le marché du travail. L’art enrichit la société, rassemble les gens, stimule le secteur du tourisme grâce aux échanges culturels et responsabilise les jeunes.
Pensez-vous que les artistes ne sont pas assez soutenus dans le pays ? Que faut-il faire pour valoriser les artistes locaux ?
Nous avons un vivier d’artistes talentueux à Maurice, qui ont besoin d’avoir la possibilité d’être appréciés sur une plate-forme commune et la possibilité de faire l’expérience d’un développement professionnel continu.
Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes incroyables qui aspirent à avoir l’opportunité de se produire sur une plate-forme distinguée. D’autre part, le public mauricien n’est pas suffisamment exposé aux arts classiques indiens.
Ainsi, l’APICA entend travailler en parallèle avec les artistes et les organisations culturelles mauriciennes, en recherchant et en encourageant les artistes indépendants, ou ceux qui n’ont aucun soutien, mais qui ont la volonté et la compétence pour produire un travail de qualité. Et donc, sensibiliser le public aux différents arts classiques indiens. L’APICA cherche également à créer une plus grande demande pour les arts par le biais de l’éducation.
Au cours de ces dernières années, j’ai eu l’occasion d’assister à des ateliers et séminaires de danse en Inde, et j’ai été ravie de constater l’intérêt des artistes pour la formation continue dans leurs domaines respectifs. Pour cela, il faut qu’il y ait une force unificatrice pour fédérer les artistes, les encourager à continuer à apprendre et leur donner l’occasion de montrer leur travail. Sinon, nous courons le risque de nous lancer dans une routine d’enseignement d’un programme fixe sans rester au courant des avancées dans le domaine.
Nous avons un vivier d’artistes talentueux à Maurice qui ont besoin d’avoir la chance d’être vus et l’opportunité de faire l’expérience d’une formation continue. Dans mon esprit, cette force peut prendre la forme d’un groupe structuré de personnes partageant les mêmes idées et travaillant en toute transparence, en d’autres termes, une association enregistrée.
Mais il y a aussi cette triste réalité : la population mauricienne ne comprend pas les arts classiques indiens. Le travail louable mené par l’IGCIC, le MGI, le Caudan Arts Centre et certains artistes du pays ne peut être passé sous silence. Cependant, pour capter l’intérêt national et apporter un changement de mentalité, une étape drastique est nécessaire. C’est là que l’APICA souhaite se positionner. L’association entend travailler en parallèle avec ces institutions, en recherchant et en encourageant les artistes indépendants, ou ceux qui n’ont aucun soutien, mais qui ont la volonté et la compétence pour produire un travail de qualité.
L’APICA cherche également à créer plus de demande pour les arts par l’éducation et la sensibilisation. Il est à noter que lors du lancement de l’APICA à l’IGGIC, plusieurs personnalités avaient fait le déplacement. Parmi, on compte, Paramasivum Pillay Vyapoory, GOSK, Premlall Mahadeo – Chairman of MGI & RTI, Sarita Boodhoo – Chairperson of the Bhojpuri Speaking Union, Anoushka Ramsaran – président du Rotary Club de Réduit, Kadambini Acharya – Director of the Indira Gandhi Centre for Indian Culture, Vimarsh Aryan – Deputy High Commissioner of the High Commission of India et Dana Chengan, président de la Mauritius Tamil Temple Federation.
« L’art enrichit la société, rassemble les gens, stimule le secteur du tourisme grâce aux échanges culturels et responsabilise les jeunes »
« Nous avons un vivier d’artistes talentueux à Maurice qui ont besoin d’avoir la possibilité d’être appréciés sur une plateforme commune et la possibilité de faire l’expérience d’un développement professionnel continu »
« Il est possible d’avoir une femme comme Première ministre, mais selon les tendances des électeurs et le “political trend”, ce n’est peut-être pas pour bientôt »
« Malheureusement, malgré des mesures sévères, la violence domestique est toujours présente dans le monde entier. Il ne faut pas la mort par la violence pour que la société réagisse. L’application de lois strictes ne suffit pas à éradiquer ce problème. La solution est d’aller aux racines du mal »