José Emilien, prévention de suicide :« Pendant le Covid, le nombre d’appels a doublé à 200 appels/mois »

Selon le rapport de l'Organisation mondiale de la Santé sur le suicide, Maurice est le 62e pays avec le taux de suicide le plus élevé au monde, comprenant une moyenne de 121 suicides par an. Rien qu'en mars de cette année, trois membres de la force policière ont mis fin à leurs jours.

José Emilien, vice-président de Befrienders, une ONG de prévention de suicide, propose l’écoute active destinée aux personnes suicidaires et un soutien émotionnel gratuit, entre autres services. « Nous sommes non-religieux et accessibles à tous, indépendamment de la race, de la religion, de l’âge, du sexe ou de l’orientation sexuelle », explique-t-il dans un entretien accordé à lemauricien.com. Face à la dépression et aux pensées suicidaires, une main est tendue.

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Comment procédez-vous pour venir en aide aux gens en détresse ?

Nous offrons de l’écoute active et apportons un soutien émotionnel aux personnes en détresse. Nous soutenons principalement les personnes suicidaires, mais pas que. Parce qu’il faut se rappeler qu’avant d’arriver à ce stade, il y a différentes étapes.

Par exemple, la personne concernée a eu un problème qui n’a pas été résolu et elle n’a quiconque à qui appeler. C’est le plus gros problème de notre société moderne : personne ne parle à personne. Nous sommes là pour ça, avant que la personne arrive au stade de dépression. Souvent, c’est la dépression qui provoque des troubles mentaux et entraine des tentatives de suicide.

Il ne faut ainsi pas attendre d’arriver au stade de suicidaire pour téléphoner à Befrienders. Vous pouvez nous contacter quand vous avez n’importe quel problème. Nous sommes là pour écouter même si vous n’êtes pas suicidaires. Donc, ça c’est le service téléphonique.

Nous avons aussi des sessions « face à face ». A savoir que les trois principes que nous avons concernent la confidentialité, l’anonymat et le non jugement. Peu importe votre religion, nous ne jugeons pas ni ne condamnons. Nous sommes là pour aider l’humain. Nous gardons ainsi l’anonymat et la confidentialité.

Lorsqu’une personne nous téléphone, elle n’est pas obligée de nous révéler son nom, son adresse, son âge. Ce n’est pas important. Mais il y a certains qui préfèrent venir nous rencontrer en personne car, pour eux, c’est plus facile de parler et de partager quelque chose ainsi.

Nous avons aussi les campagnes de sensibilisation pour la communication, où nous nous rendons dans des endroits. Nous avons deux types de sensibilisation : nous distribuons nos pamphlets, et les gens nous posent des questions et nous expliquons nos actions. Et aussi, pour ceux qui le veulent, sur demande, nous offrons des formations, que ce soit dans les bureaux, les collèges, à la police. 

Quels sont les symptômes de dépression et de pensées suicidaires ?

Il y a trois catégories pour les identifier : les signes verbaux, les signes non-verbaux et les signes comportementaux.

Les signes verbaux, c’est quand une personne dit toujours des choses négatives comme « vous serez mieux sans moi ». Il faut les écouter. Il y a une différence entre écouter et entendre, regarder et voir.

Puis il y a les signes non-verbaux, comme une personne qui avait tendance à bien s’habiller qui commence à se négliger, ne plus être social, et ce, pour plusieurs semaines ou des mois.

Les signes comportementaux peuvent être identifiés si une personne normalement joviale se renferme de plus en plus. Il y a aussi le fait de donner toutes leurs affaires aux autres.

Avez-vous fait face à des cas où, malgré les appels, la personne ne parvient pas à surmonter sa dépression ?

Malheureusement, oui. Cependant, quelquefois nous ne pouvons pas savoir à cause de l’anonymat. Nous travaillons avec les chiffres officiels de la police, mais ces données sont sous-évaluées. Il faut multiplier ces chiffres par 0.5 ou 2. A cause du tabou, les gens ne vont pas dire et utiliseront un prétexte médical. Pour cette raison, il faut multiplier les chiffres. Le suicide est causée par une accumulation de problèmes non résolues.

Pensez-vous que nous parlons suffisamment de santé mentale et de suicide à Maurice ?

Il y a toujours le tabou. On n’en parle pas justement parce que c’est un sujet tabou pour des raisons variées. Le premier est religieux, « c’est un péché, on va aller en enfer etc ». Il y a aussi le « ce que les gens vont dire ».

Il faut enlever ces tabous et dire aux gens qu’il faut en parler quand ils ont besoin d’aide. Il n’y a pas de honte à demander de l’aide. Si vous avez eu des pensées suicidaires, il faut en parler et ne pas les garder et encourager les gens à parler.

Combien d’appels recevez-vous ?

Par mois, avant le Covid, nous recevions environ 85 appels. Pendant le Covid, le nombre a doublé à 200 appels par mois. Maintenant, ça a diminué à environ 120 appels. Il y a aussi des « réguliers ». Ils nous parlent tous les jours, car ils ont juste besoin de parler même s’ils consultent des psychiatres ou des psychologues.

Nous remarquons également que plus en plus les gens cherchent à tenir des sessions en face à face chez nous. Nous organisons au moins deux ou trois sessions par semaine, dépendant de la période de l’année.

Quels types de soucis poussent une personne à solliciter votre aide ?

C’est varié. Il y a les chagrins d’amour, les maladies mentales non traitées, les addictions, la perte d’emploi, la peur du Covid et des maladies, entre autres.

Faites-vous un suivi par la suite ?

Oui, on demande et on prend de leurs nouvelles après six mois.

Est-ce que vous pensez pouvoir mieux aider une personne à travers un appel téléphonique ou en face à face ?

Ca dépend de la personne. En face à face, c’est plus facile, grâce au body language.

Y a-t-il un script pour répondre aux personnes ?

Non, parce que tout le monde a des problèmes différents. Le deuil doit être fait pour chaque chose qui se termine, pas que pour une mort. Il faut s’adapter.

Avez-vous eu des cas où des personnes qui demandent à parler spécifiquement à un homme ou une femme ?

Oui, on le propose le plus souvent possible pour aider les personnes à se sentir plus à l’aise. Heureusement, il y a beaucoup de femmes qui font du volontariat.

Par exemple, une femme qui a été victime d’attouchement sexuel se sentira plus en sécurité avec une femme qu’avec un homme.

Comment devient-on volontaire ?

Tous nos volontaires, avant de nous rejoindre, doivent entamer une formation d’au moins 30h. Ils sont formés sur les causes, les signes et les symptômes de dépression afin qu’ils perçoivent parmi leurs proches ou collègues, cette impression que, peut-être, il faut que je tende une oreille.

Nous avons une cinquantaine de volontaires et nous avons une formation tous les deux ans. Nous demandons aux volontaires de travailler au moins deux ans avant de partir (trois heures par semaine).

Bien que nous ne possédons pas de diplômes de psychologue, nous avons suivi les formations requises. De plus, l’ONG emploie deux psychologues. Dans les cas vraiment très graves, c’est eux qui prennent la relève.

Avez-vous un message pour les personnes en détresse ?

Si vous êtes en détresse, demandez de l’aide, ouvrez vous à quelqu’un en qui vous avez confiance et profitez des institutions qui existent, comme Befrienders, mais aussi les psychologues dans les hôpitaux, etc. Demandez de l’aide parce qu’on croit souvent pouvoir s’en sortir par soi-même. Or, il faut tendre la main et demander de l’aide.


A propos de Befrienders

Befrienders est une ONG de prévention de suicide fondée en 1995, à Beau Bassin. L’ONG est basée sur le modèle de Samaritans, une association créée en Angleterre à cause d’une hausse du nombre de suicide.

Befrienders dispose d’une hotline, le 800 93 93, qui est gratuite d’un téléphone fixe. L’ONG peut également être contactée sur le 467 0160 et sur WhatsApp sur le 54 83 72 33. Une page Facebook est également mise à disposition ainsi qu’un site web (befriendersmauritius.com)

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