Sarita Boodhoo, la présidente du Bhojpuri Speaking Union, a été élevée au rang de Grand Officer of the Order of the Star and Key (GOSK) à l’occasion des 55 ans de l’Indépendance et des 31 ans de la République. Une juste reconnaissance pour celle qui, pendant plus de 50 ans, a lutté pour la préservation et la promotion de la langue et la littérature bhojpuri. Après maints refus, elle a finalement accepté cette distinction, regrettant, toutefois, que si toutes les langues sont enseignées dans les écoles, ce n’est pas le cas du bhojpuri, “une injustice, contre les principes des droits humains”, dit-elle.
Sarita Boodhoo souhaite que le bhojpuri soit réintroduit dans le cursus scolaire. Voici l’essentiel de l’entretien avec cette farouche défenseure de la langue bhojpuri.
Pourquoi avoir aujourd’hui accepté d’être honorée par l’État après trois refus ?
Ma lutte pour la reconnaissance du bhojpuri a débuté lorsque j’étais membre du Sewa Shivir et s’est poursuivie avec la comptabilisation des langues orientales pour les examens du Certificate of Primary Education. En 1984, il y a environ 40 ans de cela, le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth m’a offerte une distinction après une célébration à l’occasion du 150e anniversaire de l’arrivée des premiers travailleurs engagés à Maurice. J’ai refusé, étant trop jeune pour cet honneur. En 2013, lorsque le Dr Navin Ramgoolam était à la tête du pays, l’offre a été renouvelée pour une décoration de l’État, que j’ai refusé une nouvelle fois, car Harish Boodhoo, mon époux, menait un combat contre la corruption et il y avait souvent des conflits avec le gouvernement du jour et je ne pouvais accepter une décoration dans ces circonstances. En 2021, l’actuel gouvernement mené par Pravind Jugnauth me propose une distinction pour ma contribution à la préservation du bhojpuri et je refuse cette décoration.
Cette année, le contexte est différent et Harish Boodhoo ne fait plus de politique active, et je constate que le gouvernement a à coeur la préservation et la promotion du bhojpuri, et j’ai accepté.
À 80 ans, Sarita Boodhoo vous vous sentez revigorée pour continuer le combat, afin que le bhojpuri soit réintroduit dans le cursus scolaire?
Je suis à la tête du Bhojpuri Speaking Union depuis 2012 et j’ai travaillé le dossier afin que le Geetgawai soit inscrit sur la liste du patrimoine culturel de l’Unesco en 2016. L’apprentissage du bhojpuri est plus facile que l’hindi et le Mahatma Gandhi Institute (MGI) a déjà préparé les textes.
En 1982, avec la création du Mauritius Bhojpuri Institute, le combat avait débuté et on a trop perdu de temps sur l’enseignement du bhojpuri dans les écoles. Il faut dire que toute la nation mauricienne, les médias, les poètes, les geetarines et les écrivains m’ont toujours soutenue dans mon combat. Le National Heritage Fund avait récemment organisé un atelier consultatif avec les Speaking Unions, les réprésentants de Chagos, de Rodrigues, du MIE de l’université de Maurice présidé pour Georges Abungi de l’Unesco. J’ai abordé la question de sauvegarder les coutumes, les danses, la littérature, les chants en bhojpuri et ceux présents ont soutenu ma revendication pour la reconnaissance du bhojpuri dans les écoles. J’ai dit haut et fort que cela est against human rights and social justice. Après l’inscription du Geetgawai, l’Unesco a précisé que the language of the element must be taught in school.
Quels sont les progrès réalisés pour la promotion et la préservation du bhojpuri ?
Le bhojpuri est ancré dans la conscience nationale depuis plus de 200 ans. C’est une langue vivante et vibrante, mais il y a beaucoup de préjugés attachés à cette langue. Le bhojpuri n’est pas une langue inférieure utilisée dans les habitations et à la campagne. On a toujours favorisé l’hindi et les autres langues orientales au détriment du bhojpuri. Les choses ont, cependant, changé avec l’inscription du Geetgawai au patrimoine intangible de Unesco en 2016. L’ouverture de 51 écoles de Geetgawai et la reconnaissance du travail abattu par les geetarines pour préserver, contre vents et marées, cette forme d’expression artistique léguée par nos ancêtres et le soutien de l’État pour organiser un Bhojpuri Mohatsav (festival de bhojpuri) du 2 au 5 novembre à Maurice. Ce festival verra la participation d’éminents académiciens, d’artistes et de délégués de la diaspora indienne. On travail d’arrache-pied au niveau du Prime Minister’s Office et au ministère des Arts et du Patrimoine Culturel pour faire de cet événement un succès planétaire. Malgré la prévalence de la pandémie de Covid-19, les réunions autour de cet événement se sont multipliées, un concept paper a déjà été envoyé et certaines modalités au niveau de l’organisation et des finances sont en voie d’êtres réglées.
La réintroduction du bhojpuri dans le cursus scolaire a été votre cheval de bataille. Y a-t-il un manque d’intérêt pour l’apprentissage de cette langue ?
Le bhojpuri reste un pilier important dans le secteur de l’éducation. Je réitère ma volonté pour la réintroduction du bhojpuri à l’école. De 2012 à 2014, le bhojpuri était enseigné dans les écoles; des problèmes techniques et adminstratifs ayant surgi, son apprentissage a cessé. Un memorandum a été envoyé au Premier ministre, et au ministère de Arts et du Patrimoine Culturel. Tout laisse croire que le ministère de l’Éducation répondra favorablement à notre requête. On avait proposé aux enseignants d’hindi d’allouer, sans rémunération supplémentaire, quelques heures pour l’enseignement du bhojpuri dans les écoles.
On ne peut comparer l’hindi au bhojpuri car cette langue possède sa propre identité, son propre vocabulaire, sa littérature, ses proverbes… Il faut que les enseignants soient formés initialement et on ne peut mélanger les deux langues. Je constate que certains administrateurs ont voulu délibérément reléguer le bhojpuri au second plan. C’est contre les droits humains et la justice sociale. Heureusement que le gouvernement a apporté son soutien à cette langue ! Depuis le 2 novembre 2021, la MBC diffuse un bulletin d’informations en bhojpuri à 15h et la chaîne bhojpuri a été maintenue. Le bhojpuri a été enseigné à l’école primaire en 2012 en même temps que le kreol morisien. Cette langue a pris de l’essor, mais certains ont voulu faire croire qu’il y a un manque d’intérêt pour le bhojpuri. C’est totalement faux car le bhojpuri est compris par toutes les communautés à Maurice. C’est un langue moderne et grâce à la technologie digitale, son apprentissage devient plus facile.