La croisade de Jugnauth contre le judiciaire

Aucune personne sensée dans ce pays ne peut raisonnablement affirmer qu’il est contre la lutte contre le trafic de drogue et ses barons. Personne ne peut non plus rester insensible devant la souffrance des parents qui voient leur enfant, en qui il plaçait bien souvent toute leur confiance pour l’avenir, tomber dans la drogue. Tout le monde est offusqué, choqué et bouleversé devant l’arrogance et la richesse déployées par les trafiquants de drogue, dont Franklin est devenu un symbole depuis sa condamnation par la justice réunionnaise et son arrestation par l’ICAC. On se prend aujourd’hui à se demander combien de trafiquant de ce genre compte le pays. Les pires trafiquants ont souvent le visage d’ange et ont de beaux enfants, dit-on. Ce sont les enfants des autres qu’ils tuent afin d’assouvir leur soif d’argent et de richesse.
La population veut savoir comment autant de trafiquants ont pu agir impunément dans le pays pendant autant d’années. Comment ont-ils pu infiltrer les institutions, comme l’affirme le Premier ministre lui-même ? Comment cela a pu se produire à l’insu des autorités pendant tout ce temps. Aujourd’hui, des enfants sont utilisés pour introduire de la drogue dans les institutions scolaires, où ils auraient dû normalement être en sécurité. La drogue synthétique est, semble-t-il, à la portée de n’importe quel quidam. On comprend le cri de désespoir lancé par Lovania Pertab, présidente de Transparency Mauritius, qui appréhende une situation apocalyptique, en affirmant que « si la situation continue de cette façon, Maurice sera un pays de vieux et de toxicomanes ».
On est en droit de se demander combien de trafiquants ont été arrêtés et condamnés ces dernières années. Jeudi dernier, Paul Bérenger s’insurgeait contre le fait qu’alors qu’on voit beaucoup d’arrestations policières pour blanchiment d’argent, on en compte finalement très peu pour trafic de drogue. La situation est alarmante. Le doute qu’une partie de l’argent découlant de ce trafic trouve son chemin vers les partis politiques, surtout en période électorale, subsiste.
Le président de Business Mauritius a raison d’affirmer dans une interview au Mauricien cette semaine que la gouvernance est effectivement liée au financement des partis. « Nous avons soumis des recommandations pour permettre plus de transparence sur le sujet. La communauté des affaires publie d’ores et déjà toutes contributions dans ses rapports annuels, et afin de renforcer la traçabilité, nous avons recommandé que tout paiement effectué dans ce cadre soit effectué par chèque. La création d’un cadre légal qui régirait le statut et le fonctionnement des partis politiques permettrait d’encadrer les dépenses des élections », affirme-t-il.
Il est malheureux toutefois que la lutte contre la drogue soit politisée à outrance. La perception est que le gouvernement, voire le Premier ministre, utilise la lutte contre la drogue pour s’attaquer à des institutions fondamentales et essentielles pour la démocratie. Ainsi, après avoir donné l’impression de vouloir adopter une approche consensuelle dans son discours à la nation le 12 mars dernier, il a accusé la magistrate de la cour de Moka et le bureau du DPP de prendre des décisions en faveur de trafiquants. « Nous savons que les trafiquants et leurs complices restent une menace pour notre société. C’est la raison pour laquelle tout le monde doit donner un coup de main pour protéger la population. Nous continuerons d’être sans pitié vis-à-vis des trafiquants de drogue », avait-il affirmé.
Ne voilà-t-il pas qu’alors que le commissaire de police a déjà introduit une affaire en Cour suprême, il fait une sortie en règle contre la même magistrate lors d’une sortie publique à Surinam cette semaine. Pourquoi ne laisse-t-il pas la Cour suprême se prononcer en toute sérénité sur cette affaire ? Il a la possibilité d’aller jusqu’au Privy Council s’il le souhaite. Ce faisant, il donne l’impression de vouloir s’approprier les pouvoirs de la Cour suprême, qui est la plus à même de se prononcer au sujet de la décision de la magistrate.
Comme le souligne Malenn Oodiah dans Le Mauricien aujourd’hui, « il y a une réelle dérive autocratique qui s’attaque au fondement de la démocratie que sont la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions vis-à-vis de l’exécutif ». Sur quoi débouchera la croisade du Premier ministre contre le judiciaire ?

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