— Les patients exaspérés en appellent à une structuration du service
— « Ou vini ek problem lizie, ou reale tansion inn monte, ledo kase », déplorent de nombreuses personnes âgées
— Le projet E-Health, malgré les annonces en fanfare, peine à être mis en place dans les hôpitaux
Les longues files d’attente devant les comptoirs, que ce soit aux urgences, à la pharmacie ou pour les rendez-vous aux départements spécialisés sont des problèmes qui ont la dent dure dans les centres de santé publics. Aussi bien dans certains établissements privés, reconnaissons-le. Et la colère est souvent palpable et même exprimée par des patients, exaspérés de ce type de traitement. Si face aux nombreuses plaintes des améliorations ont été apportées, avec au minimum une quinzaine de minutes d’attente pour qu’un patient soit ausculté par un médecin, force est de constater qu’avant d’arriver devant l’unité de consultation, c’est toujours un parcours du combattant dans les hôpitaux publics, plus particulièrement à l’hôpital S. Bharati Eye Hospital de Moka, où le comptoir d’accueil est constamment bondé. Tant et si bien que, quotidiennement, c’est la grande pagaille qui exaspère les patients, dont de nombreuses personnes âgées peinant à se déplacer avec leurs problèmes de vue.
Après maintes plaintes, la direction des hôpitaux de Jeetoo, Nehru, Candos et SSR a fini par mettre un peu d’ordre. Même si ce n’est pas parfait, les heures d’attente ont été plutôt réduites. Cependant, à l’hôpital de Moka, c’est la pagaille généralisée. Tant et si bien que les malades, passent des heures quotidiennement dans de longues files d’attente afin de simplement déposer leur carte de rendez-vous pour pouvoir être auscultés des heures après par un spécialiste, pointent du doigt le système.
Plusieurs patients nous ont fait parvenir leurs doléances, exprimant leur irritation quant au système, ou plutôt le manque de système pour pouvoir signaler leur présence à leur rendez-vous au comptoir de l’hôpital de Moka. Katia, qui en a fait plusieurs fois l’expérience, témoigne. Pas plus tard que la semaine dernière, elle a accompagné sa mère, âgée de 80 ans, à son rendez-vous Moka. « Comme la dernière fois, soit il y a deux mois, nous avons dû patienter des heures, et nous sommes finalement rentrées à Mare D’Australia à 17h30. Alors que le rendez-vous de ma mère était à 12h30, cette fois, au lieu de 12h15, nous sommes arrivées l’hôpital à 11 h45 », raconte-t-elle.
Devant Katia, au comptoir N°5, une quinzaine de personnes attendent déjà. Le temps de trouver une chaise libre pour installer sa mère en attendant qu’elle dépose la carte de rendez-vous, la file d’attente s’était encore étendue. Une vingtaine de personnes attendaient. Or, le comptoir lui était fermé. « Madam-la inn al manze. Inn dir revini 12h30 », s’entend dire Katia, qui demande aux autres patients, dont de nombreuses personnes âgées, verres fumés vissés sur le nez, preuve qu’elles ont des problèmes de vue, pourquoi la file ne bouge pas.
Des heures d’attente
Au-devant de l’agitation dans la salle, un préposé à la sécurité intervient pour calmer les esprits qui s’échauffent. Il faut dire que dans la file, certains patients attendent depuis 30 minutes au moins. Eux aussi ont préféré se rendre plus tôt pour éviter les longues attentes. Mais c’était mal vu. « Kouma mo’nn arive 11h, madam-la inn bar kontwar », dit le premier dans la file. À côté, dans la file pour le comptoir N°6, ce n’est pas mieux. Celle-là bouge un peu, mais ceux qui sont venus pour leur rendez-vous dans l’après-midi sont refoulés. Ce sont les patients qui ont déjà été auscultés et qui doivent récupéper leur carte de rendez-vous qui passent.
En effet, peu importe le jour ou l’heure de la journée, la salle d’attente du S. Bharati Eye Hospital est constamment remplie comme un œuf. À son arrivée, le patient doit ainsi faire la queue pour déposer sa carte de rendez-vous auprès des clerks. Si six comptoirs sont mis à disposition des patients, ces derniers doivent attendre des heures avant de pouvoir simplement déposer leur carte de rendez-vous aux mains des clerks. Raison pour laquelle les files d’attente s’étendent dans tout le hall particulièrement bondé et bruyant, avec des proposés de la santé hurlant ça et là le nom de certains patients dont le tour est arrivé pour le eye-test ou pour être enfin auscultés par le spécialiste.
Un vrai tohu-bohu dans lequel les patients ont souvent du mal à se repérer. Ce qui exaspère les patients, c’est notamment de “fer lake pou narye”. Ils citent en exemple les autres hôpitaux où il n’y a as lieu de faire la queue pour déposer sa carte de rendez-vous aux mains des clerks.
« Enn bwat ti pou pli fasil »
En effet, dans les autres hôpitaux, une petite boîte est mise à disposition pour que les patients y déposent leur carte de rendez-vous. Et par la suite, par batch de 10 ou 15, ces cartes, dans l’ordre d’arrivée des patients, sont prises par les clerks ,qui vérifient les dates et heures de rendez-vous avant de les rendre aux patients qui sont alors classés, toujours dans l’ordre de leur arrivée, pour être auscultés par les médecins. Une fois la consultation terminée, les patients reviennent au comptoir et déposent à nouveau leur carte dans une autre boîte en attendant quelques minutes que leur prochain rendez-vous y soit inscrit et leur carte leur soit remise. Certes, il arrive que certains jours, des couacs surviennent : des dossiers qui ont disparu, des dates mal inscrites, des paroles désobligeantes des clerks ou même des patients…
Mais à l’hôpital de Moka, les patients sont contraints de prendre leur mal en patience devant ces comptoirs où il semble que les membres du personnel ne parviennent pas à gérer. “Ki sa ti pou kout zot met enn bwat pou dimounn depoz zot kart. Ti pou pli fasil, non ?” disent les patients, faisant ressortir que souvent, ce n’est pas tous les guichets qui sont opérationnels et il semblerait qu’il y ait aussi un manque d’effectifs. Une situation qui suscite d’énormes tensions au quotidien, surtout que nul ne semble penser que beaucoup de personnes âgées se rendent chaque jour à l’hôpital pour leur traitement et parmi des malades qui peinent, en raison de leur problème de vue, à se mouvoir dans cette salle d’attente bondée. « Ou vini ek problem lizie, ou reale tansion inn monte, ledo kase », déplorent-elles, fatiguées de ces heures d’attente.
En effet, si normalement les personnes âgées et les enfants sont prioritaires, à l’hôpital de Moka, tout le monde, ou presque, est logé à la même enseigne d’une attente interminable. Presque, car, dans la pagaille qui règne, force est de constater qu’alors que la majorité des patients doivent prendre leur mal en patience, le personnel soignant pénètre souvent dans certaines unités et fouille parmi les dossiers avant de faire appeler le nom d’un patient qui n’avait jamais été vu dans la file d’attente, le faisant passer devant les autres. Même l’agent de sécurité s’y met !
Pas de priorités pour
les personnes âgées
Pour en revenir l’histoire de Katia, c’est finalement à 12h48, alors que le rendez-vous était fixé à 12h30, que le comptoir pour les cartes rouvrira. Au guichet, la préposée reste tête baissée. Même pas un bonjour pour répondre à la politesse des patients. Elle tend sa main pour prendre la carte de rendez-vous, écrit dans un livret et tend à nouveau la carte au patient. La file d’attente diminuera au fur et mesure que les patients déposaient leurs cartes aux mains des clerks. Ce jour-là, c’est à 13h14 que les eye-tests démarreront. Fort heureusement, « enn deryer lot koumans krie pasian », constate Katia. Mais force est de constater que ce n’est pas dans l’ordre des arrivées.
Raj, qui était premier dans la file d’attente, depuis 11h d’ailleurs, attend toujours qu’on cite son nom. Or, devant la porte de la salle pour le eye-test, des patients qui sont arrivés bien après lui ont déjà été appelés. « Kisisa ?! » s’énerve Raj en tentant d’entrer dans la salle. L’agent de sécurité l’arrête : « Misie, atann ou tour. » S’ensuit alors une vive discussion. « Ki mo tour ?! Mo’nn vinn premie. Kouma pankor krie mo nom ? Sa bann dimounn-la inn vinn apre. Kifer zot pe pas avan ? » demande Raj. « Misie inn krie ou nom ? Non. Abe ou bizin atann ou tour », lui dit l’agent de sécurité. « Be kifer pa finn krie mwa ? Mo ti avan sa misie-la. Mo ti avan sa madam-la ! » rétorque Raj. D’un geste de la main, l’agent de sécurité lui demande d’aller voir au comptoir. « Dosie pankor vini. Ou bizin al demann zot laba », lui dit-il.
Maîtrisant sa colère, Raj ne bouge pas d’un iota. Dans la salle où s’effectue les eye-tests, les infirmiers font le va-et-vient et farfouillent dans les dossiers. Parallèlement, les patients tentent de lire sur le tableau. Le eye-test, c’est un autre calvaire. Surtout pour ces personnes âgées qui peinent à suivre les indications de l’infirmier ou de l’infirmière qui ne pas semblent pas avoir du temps à perdre « avec ces gens qui ne voient pas », ou encore, qui peut-être ne savent pas lire. Mais le passage des patients au sein de cette unité est expéditif. En cinq secondes, les patients en ressortent et doivent de nouveau attendre dans la salle d’attente bondée pour être enfin auscultés par le médecin.
Dans le hall, c’est toujours le brouhaha. Les infirmiers crient des noms de toutes parts. « Na pa kone kot pou ale. Zot nek dir ou atann. Nom lamem pa tande », déplorent les patients. Au bout d’une quinzaine de minutes d’attente, enfin, le patient est ausculté.
Certains médecins sont gentils, d’autres…
Si certains médecins, forts gentils et attentionnés, prennent le temps d’expliquer à leurs patients ce qu’il en est de l’état de leurs yeux, d’autres sont expéditifs. Aucun signe de politesse, et encore moins d’information. En moins de cinq minutes, le patient reçoit sa prescription pour la pharmacie, ou encore une fois il a droit à une longue file d’attente, avant de revenir au comptoir, le même où il a passé des heures pour soumettre sa carte de rendez-vous plus tôt, pour prendre un autre rendez-vous. Et encore une fois, dans la pagaille, entre ceux qui viennent d’arriver et d’autres qui attendent pour partir, il faut attendre que le dossier qui était chez le médecin arrive au guichet avant d’obtenir un nouveau rendez-vous.
« Kifer pena lord dan lopital Moka ? » demandent les patients qui s’interrogent d’ailleurs de ce qu’il est advenu du projet de E-Health initié en 2016 dans certains hôpitaux, dont le S. Bharati Eye Hospital. D’autant que la lenteur de la mise en place de ce projet pour lequel le ministère de la Santé dispose d’une enveloppe de Rs 62 millions a été décriée par le Bureau de l’Audit en 2020.