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Forage minier des océans : la France recule, Maurice disposée à avancer

Alors que le Deep Seabed Mining Bill témoigne de la ferme intention de Maurice d’aller de l’avant avec l’exploitation des grands fonds marins de sa Zone Économique Exclusive (ZEE), la France, elle, vient de prendre une décision qui devrait aller dans le sens inverse. Après un vote à l’Assemblée nationale le 17 dernier, le gouvernement d’Emmanuel Macron instaurera un moratoire sur le forage minier dans les mers qu’elle contrôle.

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L’exploitation des grands fonds marins est encore expérimentale au niveau mondial et la démarche de la France ne devrait pas pour autant influencer Maurice sur son souhait d’exploiter le cobalt, le nickel et le magnésium qui seraient enfouis dans les profondeurs de sa ZEE. Au Department for Continental Shelf, Maritime Zones Administration & Exploration, son directeur, Rezah Badal explique que la lecture des données, qui seront soumises par des pays ayant décroché le contrat d’exploration des profondeurs marines mauriciennes à l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), déterminera l’étape d’exploitation.

Rezah Badal, Dept. for Continental Shelf, Maritime Zones Administration & Exploration: “Nous attendons des données précises avant de passer à l’exploitation”
C’est une annonce qui n’a pas encore résonné à Maurice. Pourtant, la résolution de l’Assemblée nationale (France) qui enjoint le gouvernement d’Emmanuel Macron à instaurer un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins de sa zone économique exclusive est une nouvelle qui appelle à une profonde réflexion. Maurice, qui étudie les avenues pour le deep sea mining, gagnerait sans aucun doute à se pencher sur la décision française. Il faut rappeler que la France possède la deuxième plus grande Zone Économique Exclusive du monde: 10 186 526km² dans les océans Pacifique, nord et sud, dans l’Atlantique nord et dans l’océan Indien. Voté par 215 députés, issus de différentes formations politiques, favorables contre 56, la résolution de l’Assemblée nationale soutient “Dans le cadre d’un moratoire, l’interdiction de l’exploitation minière des fonds marins en haute mer tant qu’il n’aura pas été démontré par des groupes scientifiques indépendants et de manière certaine que cette activité extractive peut être entreprise sans dégrader les écosystèmes marins et sans perte de la biodiversité marine.” Les députés demandent que la France “bloque l’adoption de toute réglementation pour l’exploitation minière des fonds marins” par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), “ainsi que l’octroi de licences provisoires d’exploitation.”

Le discours de Sharm el-Sheikh

Selon les comptes rendus médiatiques qui ont suivi après l’adoption de ce moratoire, le discours prononcé le 7 novembre dernier, lors de la 27e conférence de l’ONU (COP27) sur le climat à  Sharm el-Sheikh, Égypte, par Emmanuel Macron y est pour quelque chose. Le Président français s’était fait remarquer en se disant opposé à l’exploitation des ressources issues des profondeurs marines. Les grands fonds marins, qui absorbent d’importantes quantités de dioxyde de carbone, suscitent des convoitises en raison des gisements de métaux rares qu’ils abritent et qui sont utilisés dans des applications industrielles et électroniques, pour la fabrication de batterie de téléphone, etc. Les positions d’Emmanuel Macron en Égypte n’avaient pas laissé le député écologiste Nicolas Thierry de marbre. Ce dernier a déposé sa proposition de résolution à l’Assemblée nationale le jour même du discours de Macron. Pour les écologistes français, l’adoption de la résolution pour une pause sur l’exploitation des fonds marins est une victoire significative. Le réseau international Greenpeace n’a pas manqué de saluer “cette bonne nouvelle.”

Qui veillera au respect de notre écosystème marin ?

À Maurice, ceux qui se positionnent contre l’exploration et l’exploitation minière des grands fonds marins, voyant en cela une grave menace pour les océans et la biodiversité, espèrent que la démarche française se transforme en message pour la communauté internationale. “Dans l’état actuel des océans et des technologies dont on dispose, l’impact de toute exploitation minière des fonds marin aura un impact désastreux sur la planète”, observe un spécialiste de la mer qui a souhaité s’exprimer sous le couvert de l’anonymat. Avec le Deep Seabed Mining Bill en préparation, l’exploitation minière en haute mer dans la zone économique exclusive de Maurice est un projet que le pays envisage sérieusement.

Toutefois, Maurice ne dispose d’aucune expertise pour mener une campagne d’exploration et encore moins d’exploitation du genre. Le pays devra, alors, faire appel à une société étrangère spécialisée pour prendre en main ces opérations. Quant au respect de la biodiversité marine dans la zone économique exclusive mauricienne, notre source se dit sceptique : “Nous ne sommes même pas en mesure d’appliquer une surveillance rigoureuse, en matière de pêche, dans notre zone économique exclusive ! Qui s’assurera que notre écosystème ne sera pas endommagé par les recherches ? Il faudrait faire une étude au préalable pour déterminer l’état de cet éco-système.”

Après la terre, on pille la mer

Les recherches menées par des scientifiques des Explorations de Monaco dans la région, entre septembre et octobre derniers, dit-il, n’ont pas couvert toutes les zones, surtout celles susceptibles d’abriter des minerais pour donner un aperçu de la richesse de la biodiversité marine dans leurs profondeurs. Aussi, l’expédition a, certes, fait des prélèvements de quelques espèces benthiques, mais elle a principalement étudié les ressources marines au niveau des colonnes d’eau. D’autre part, malgré le travail important effectué par l’équipe du navire scientifique S.A. Agulhas II, l’océan Indien est une zone immense, inexplorée par endroits.

“Seuls 10% des océans ont été étudiés. L’Ifremer (ndlr : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) estime que seulement 40% des espèces marines ont été jusque-là identifiées”, explique le spécialiste de la mer. Qui ajoute : “Maintenant qu’on a fini d’exploiter la terre, voilà qu’on pense à piller la mer ! Les ressources de l’océan qui seront exploitées ne sont pas renouvelables. On n’y pense pas !” Les grands fonds des océans renferment non seulement des écosystèmes inestimables, mais aussi des métaux et minéraux : zinc, cuivre, manganèse, cobalt, nickel ou lithium qui demeurent des ressources convoitées par des industries. Pour le moment, l’exploitation minière des océans n’est pas vraiment autorisée. C’est “l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), une instance qui dépend de l’ONU, qui est chargée d’encadrer l’exploitation minière en eaux profondes. Un “code minier” est actuellement en négociation entre les États, sous pression des industriels qui voudraient le voir adopté dans l’urgence dès juillet 2023.” (source : Greenpeace).

Du cobalt, du magnesium et du nickel dans notre ZEE

Et Maurice dans tout cela ? En premier lieu, la résolution adoptée par l’Assemblée nationale en France ne devrait pas influencer d’une manière ou d’une autre l’intention de Maurice d’exploiter un jour les profondeurs de sa ZEE pour y ramener des minerais en surface ! On y trouverait du cobalt, du magnesium et du nickel dans les abysses des eaux mauriciennes. Rezah Badal, directeur du Department for Continental Shelf, Maritime Zones Administration & Exploration, répond aussi en rappelant que l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), organisation expressément créée par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, avait approuvé un contrat d’exploration dans l’océan Indien (voir encadré).
“Nous attendons d’avoir suffisamment de données précises et de connaissance, avant de passer à la deuxième étape qu’est l’exploitation”, explique Rezah Badal. Mais outre le Deep Seabed Mining Bill, un cadre légal doit aussi être élaboré pour permettre le recrutement de la compagnie étrangère qui se chargera du forage minier pour le compte de Maurice. Pour l’instant, Rezah Badal laisse comprendre que nous n’en sommes pas encore là.

Mise en garde de Greenpeace

Greenpeace prévient : l’exploitation des fonds marins n’est pas sans conséquences pour la biodiversité qu’abritent les océans à 200 mètres de profondeur. Voilà ce que celle-ci implique : “Des milliers d’espèces fantastiques sont écrasées et broyées au fond de l’océan. La boue dégagée par cette activité au fond de l’eau crée des nuages qui asphyxient la biodiversité. La pollution sonore et lumineuse perturbe les espèces habituées au calme des abysses. Des métaux lourds se diffusent et s’accumulent dans la chaîne alimentaire. Et ce n’est pas tout : l’exploitation minière des eaux profondes menace le climat.”

Exploration et exploitation : Les conditions de l’Autorité internationale des fonds marins

“Dans le cadre de la Convention, l’exploration et l’exploitation des minéraux des fonds marins dans la Zone ne peuvent être entreprises que dans le cadre d’un contrat avec l’Autorité internationale des fonds marins et en étant soumises à ses règles, à ses réglementations et à ses procédures. Les contrats peuvent être conclus à la fois avec des entreprises minières publiques et privées à condition qu’elles soient parrainées par un État partie à la Convention et remplissent certains critères en matière de capacités technologiques et financières. À terme, les avantages économiques de l’exploitation minière des grands fonds marins, sous la forme la plus probable de redevances versées à l’Autorité, devront être partagés dans « l’intérêt de l’humanité toute entière » en mettant particulièrement l’accent sur les pays en développement qui ne possèdent ni les capacités technologiques ni les capitaux pour entreprendre des activités minières dans les fonds marins. L’Autorité a élaboré des réglementations, y compris des dispositions relatives à la protection environnementale, afin de régir les activités d’exploration. À ce jour, elle a approuvé 28 contrats d’exploration dans les océans Pacifique, Indien et Atlantique pour une superficie de fonds marins supérieure à 1,3 million de km2. En janvier 2017, la Pologne a présenté la 29e demande de contrat d’exploration. Ces contrats sont détenus par les États parties à la Convention ainsi que par les entreprises parrainées par celles-ci. Parmi les participants gouvernementaux figurent la Chine, la France, l’Allemagne, l’Inde, le Japon, la République de Corée, la Fédération de Russie et l’Organisation mixte interocean metal (un consortium formé par la Bulgarie, Cuba, la République tchèque, la Pologne, la Fédération de Russie et la Slovaquie). Des contrats ont été aussi octroyés à un groupe de plus en plus important d’entités privées parrainées à la fois par les États parties des pays développés et de ceux en développement, y compris les petits États insulaires en développement comme les îles Cook, Kiribati, Nauru, Singapour et Tonga.” (Source : ONU)

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