• Les éventuels partants : le MSM et sa constellation d’ex-MMM, une alliance PTr-MMM-PMSD et un regroupement des partis extraparlementaires
• Le 1er mai 2023 comme objectif pour les premiers galops du regroupement de l’opposition parlementaire
• L’année politique 2022 marquée par le rapport l’enquête judiciaire de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath accablant pour le niveau d’incompétence de la police qui a maquillé un suicide en meurtre et la manière dont les contrats publics sont attribués…
• Navin Ramgoolam pourrait se présenter pour un mandat de trois ans, les deux années restantes étant confiées à Ritesh Ramful, Paul Bérenger serait, lui, vice-Premier ministre, tandis que Xavier Duval assurerait le poste de président de la République
Après une année 2022 agitée faite de tâtonnements, de plusieurs épisodes de « je t’aime moi non plus », de démissions fracassantes ici et là, 2023 s’annonce comme celle de la grande course, celle des générales avec les écuries prêtes à entrer en piste. Les éventuels partants : le MSM et sa constellation d’ex-MMM avec les Obeegadoo, Ganoo et Collendavelloo, une alliance PTr-MMM-PMSD et un cartel de groupuscules extraparlementaires, des outsiders avec des montures différentes et des casaques de plusieurs couleurs.
L’année 2022 aura été très animée sur le plan politique avec le rapport de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen qui a été accablant pour cette police qui a maquillé un meurtre en suicide. Son niveau d’incompétence a été sévèrement critiqué, autant que la manière dont les contrats publics ont été attribués. C’est tout un système mafieux qui a été confirmé par la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath.
S’il y a eu un semblant de mobilisation pour donner suite aux conclusions de la magistrate juste après l’ébruitement du document, la police a, depuis, repris sa posture initiale, celle de l’escargot pas du tout intéressé à trouver les auteurs du crime de Telfair. La police a, en revanche, démontré un activisme bien plus ostensible sur le front de la drogue. Surtout depuis que le nouveau commissaire de police Anil Kumar Dip a donné carte blanche, un peu comme la poudre illégale qu’elle traque, à la Special Striking Team pour procéder à des opérations spectaculaires.
Cette stratégie contre de présumés trafiquants a conduit à une traque d’opposants politiques sans précédent. L’avocat Akil Bissessur, critique du régime connu des services de police pour ses posts provocants mais aussi pour des accusations de violence conjugale et de consommation de cannabis formulées par son ex-épouse, la psychiatre et addictologue Poonam Kangloo, sera interpellé le 19 août 2022 chez sa copine Doomila Moheeputh à Palma après la saisie de 50 grammes de cannabis synthétique.
« Li ti lor nou radar »
L’affaire déjà politisée le sera encore plus lorsque le Premier ministre et ministre de l’Intérieur dira lors d’un rassemblement politique et partisan que « ou truv enn mam Parti travayis Akil Bissessur li ti lor nou radar parski nou ti soupsone ki li ti pe fer trafik ». Ce n’était en fait que le début d’une série de perquitions et de raids chez des opposants visés par le radar du pouvoir.
Le 27 octobre 2022, ce sera au tour de l’avocat de Bruneau Laurette, Sanjeev Teeluckdharry, dénoncé en 2018 dans le rapport Lam Shang Leen sur la drogue et contraint à la démission en tant que Deputy Speaker du MSM, d’être visé par la Special Striking Team. La maison de ses beaux-parents, les Gaya, sera perquisitionnée à Rose-Hill, mais rien de compromettant ne sera trouvé. Après des propos fort élogieux vis-à-vis de la police, l’avocat se montrera bien plus virulent par la suite.
Le feuilleton étant parti pour durer, ce sera au tour de Bruneau Laurette lui-même d’être interpellé le 4 novembre pour trafic de haschich et de cannabis synthétique découverts dans sa voiture. Cette interpellation intervenait sept jours après un rassemblement qu’il avait organisé le 29 octobre à Port-Louis pour évoquer le naufrage du Wakashio et la drogue qu’elle transportait.
De nombreuses interrogations subsistent sur cette affaire. Les produits saisis qui se sont finalement révélés être de la graine de chia mais aussi l’itinéraire plutôt curieux de l’activiste dans les heures précédant son interpellation. Selon les informations qui ont filtré, Bruneau Laurette était chez sa compagne Dominique Raya à Grand-Gaube la veille. Il a pris la route au petit matin pour se rendre d’abord à Pailles, puis à La Tour Koenig, a ensuite emprunté l’ancienne route pour se rendre aux arcades Salaffa à Curepipe, puis à Orchard Centre à Quatre-Bornes, avant de regagner son domicile à Petite Verger, St Pierre, son lieu de résidence dans la circonscription de Pravind Jugnauth.
La guerre des photos
Le Premier ministre s’emparera de cette affaire en accusant l’activiste d’entre un « baron » lors d’une intervention à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2022 sur le Dangerous Drugs (Amendment) Bill et il brandira des photos de l’activiste avec des dirigeants du PTr sans savoir que des clichés de son ministre Joe Lesjongard et de sa députée Subhasnee Luchmun-Roy enlaçant Bruneau Laurette seront aussi déterrés et exhibés par des partis de l’opposition.
Toutes ces affaires ont aussi poussé à la clarification et au repositionnement des partis de l’opposition. Déjà méfiants vis-à-vis de Bruneau Laurette qui a zigzagué et qui avait déclaré avoir pour objectif de chiper son électorat au MMM et au PMSD et plutôt dubitatif quant à ses desseins précis, les deux partis avaient déjà décidé de rester bien loin de l’activiste.
Plutôt indulgents à son égard, le PTr, Navin Ramgoolam et Arvin Boolell, qui voyaient en Laurette un point d’appui de possible ancrage dans les villes vont discrètement le lâcher pour ne rester que dans des demandes pour qu’il soit traité correctement par la police. L’activiste passe les fêtes de fin d’année à la prison de Melrose.
Il n’est peut-être pour rien dans les tractations qui vont bon train en vue de la concrétisation d’une alliance PTr-MMM-PMSD, mais les choses semblent aller dans la bonne direction après des mois d’atermoiements. Les discussions tripartites au sein de l’opposition parlementaire ont été facilitées par d’autres facteurs, l’auto-exclusion de Roshi Bhadain de l’Entente de l’Espoir après que l’assemblée des délégués du Reform Party eut voté pour que le parti aille seul aux élections et que Roshi Bhadain soit présenté comme Premier ministre.
L’inconstance de Nando Bodha
Il y a aussi l’inconstance de Nando Bodha, qui a beaucoup aidé à l’avancement des pourparlers entre le PTr, le MMM et le PMSD. Malgré les derniers efforts de Navin Ramgoolam pour essayer de l’embrigader dans l’alliance des partis de l’opposition parlementaire, au point d’être qualifié de « gentleman » par Paul Bérenger, le leader du Rassemblement Mauricien a constamment regardé ailleurs.
Notamment en direction de Rama Valayden et de Linion Pep Morisien. Il fut un temps question qu’il rencontre les dirigeants de cette formation pour discuter programme, mais le point de rupture semble avoir été non seulement sa participation à la fête de fin d’année de LPM le vendredi 3 décembre dernier, mais plutôt son discours indiquant que lui-même, le LPM et le Reform Party pouvaient créer une vague pour la première fois en dehors des « mainstream parties ». Comprenez les PTr, MMM et PMSD.
Après que des extraits vidéo de cette intervention ont été largement partagées et commentés sur les réseaux sociaux, Nando Bodha a essayé de limiter les dégâts en réaffirmant son appartenance à l’Entente de l’Espoir. D’autres portes s’étant brusquement refermées, il a quand même pu s’entretenir avec le leader de l’opposition, Xavier Duval, cette semaine. C’est à la suite de cette rencontre qu’il s’est fendu d’un communiqué pour préciser sa position et réaffirmer son souhait d’un regroupement des forces de l’opposition pour faire partir le gouvernement dirigé par le MSM. Pas sûr que ces précisions tardives convainquent les autres partis de l’opposition parlementaire.
En dehors du Parlement, il est d’ailleurs également difficile de trouver un terrain d’entente. Membre fondateur de Linion Pep Morisien, Bruneau Laurette a démissionné de cette formation lors d’une réunion publique à Pointe-aux-Sables, plongeant les partisans de LPM dans un terrible désarroi. Le démissionnaire a ensuite expliqué avoir informé les dirigeants de LPM qu’il démissionnait pour des raisons professionnelles, mais la réponse de Rama Valayden aura été, elle, des plus cinglantes.
« Lavi selibate e lavi mari ! »
Reprochant à l’activiste qui a repris le flambeau au sein de son Linion Sitwayen et son penchant à faire cavalier seul et à tirer la couverture sur lui, Rama Valayden devait avoir cette éloquente métaphore pour critiquer son ancien collègue de LPM : « Lavi selibater ek lavi mari li diferan ! Ena enn code de conduite, ena enn disiplinn ! » avait commenté l’avocat-politicien.
Au sein de l’opposition extraparlementaire, le phénomène Sherry Singh ne sera finalement qu’un feu de paille éphémère. Si les révélations sur la « sniffgate » ont alimenté l’actualité durant quelques semaines, le tsunami annoncé par le directeur démissionnaire de Mauritius Telecom n’aura jamais eu lieu. L’ami de Bruneau Laurette sera une ou deux fois entendu par la police, puis rien, son ancien ami intime Pravind Jugnauth, lui-même, mettant une parenthèse dans ce dossier.
Rideau donc sur 2022, alors que 2023 est annoncée comme celle des élections générales pour plusieurs raisons. Il y a un faisceau de circonstances qui pousse à la tenue d’un scrutin national avant la date butoir de fin 2024 qui se résume ainsi : la réticence du MSM et de ses alliés à tenir les municipales dans un contexte où son usure du pouvoir commence à peser et l’issue du procès de Suren Dayal contre les trois élus du N°8 Pravind Jugnauth, Leela Devi Dookun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden devant le conseil privé du Roi.
Avec ce qui vient tout juste de se passer dans les conseils de district, où des consignes de ministres, pour ne pas dire des injonctions accompagnées de menaces qui ont été royalement ignorées et que des membres de l’opposition ont pu faire des percées ostensibles à Grand-Port et Savanne — tandis qu’ailleurs certains font semblant d’être du côté de la majorité et des ministres en attendant de montrer leurs véritables couleurs à la veille des élections générales —,on voit mal le MSM organiser des consultations populaires dans 10 des circonscriptions urbaines à un moment où les hausses de prix, du carburant et de l’électricité et d’autres commodités de consommation courante exaspèrent la population.
Le long mandat
des édiles urbains
Il serait aussi par ailleurs très mal vu que ces élections municipales soient une nouvelle fois repoussées. Déjà reportées de 2021 à 2022, puis de 2022 à 2023, un nouveau renvoi provoquerait un effet dévastateur d’avant que toutes les restrictions sanitaires ont été levées et que même le port du masque a été aboli dans tous les espaces publics et les transports en commun
Les deux derniers reports avaient été justifiés un peu facilement par le Covid, alors que les élections villageoises se sont elles tenues en octobre 2020 en pleine pandémie. Il serait ainsi bien compliqué de venir une nouvelle fois s’abriter derrière le prétexte du Covid pour ne pas tenir des municipales, dont la dernière édition remontre à juin 2015. Un long mandat pour des édiles puisque, à juin 2023, cela fera huit ans que les mêmes conseillers se vautrent de manière illégitime et antidémocratique dans les mairies.
La célébration des 40 ans du MSM en avril 2023, célébrés l’année dernière pour des raisons inconnues et qui avaient en fait pour but d’endiguer les effets dévastateurs du meurtre de Soopramanien Kistnen, pourrait être le point d’orgue de la future campagne électorale du Sun Trust. Les anniversaires étant l’occasion de la distribution de cadeaux, il se pourrait que le Premier ministre annonce la pension payable au 1er juillet 2023 à Rs 13 500 pour les plus de 60 ans à cette période d’avril 2023 et la présentation d’un budget anticipé pourraient être le tremplin du lancement de la campagne du MSM en vue des générales.
En face de la redoutable machine financière du MSM : une éventuelle alliance PTr-MMM-PMSD mais aussi la participation des mouvements extraparlementaires. Les discussions qui se poursuivent au sein des partis sont en bonne voie, laissant entendre certains des protagonistes impliqués dans les pourparlers menés au plus haut niveau.
XLD au Réduit
Le peu que l’on sait de ces négociations, c’est que Navin Ramgoolam pourrait se présenter pour un mandat de trois ans, les deux années restantes étant confiées à Ritesh Ramful, Paul Bérenger serait, lui, vice-Premier ministre, tandis que Xavier Duval assurerait le poste de président de la République. Les investitures et la répartition des autres postes de responsabilité sont toujours en discussion, de même que le programme de gouvernement et les mesures prioritaires qui seront introduites en urgence.
Cette plateforme pourrait être adoubée par au moins un parti de gauche, Resistanz ek Alternativ, las des atermoiements du MSM sur la réforme électorale et le maintien de la déclaration ethnique, qui milite depuis quelque temps pour un gouvernement de transition, concept vague qui a néanmoins fait l’objet de discussions avec le PTr, le MMM et le PMSD.
La suite à donner à ces pourparlers n’est pas encore connue à ce stade. Mais elle devrait porter sur des engagements programmatiques clairs et précis visant à consolider la République. Les autres partis, eux, s’organisent comme ils peuvent, d’un côté le LPM de Valayden, de Jean-Claude Barbier et de Dev Sunnasee, de Vasant Bunwaree très présents sur le front des manifs hebdomadaires et dans l’envoi de correspondances ici et là sans jamais obtenir des réponses et, de l’autre, Linion Sitwayen, qui n’a pas encore dévoilé sa stratégie, son porte-drapeau étant incarcéré à Melrose.
Aux dernières élections générales, le MSM et ses alliées, le Muvman Liberater d’Ivan Collendavelloo, Mouvement Poire d’Alan Ganoo, Kavi Ramano et la Plateforme Militante de Steve Obeegadoo, avaient fait recueilli 37% des suffrages, Lalians national PTr-PMSD 33% et le MMM 22%. La grande question est de savoir à qui ces partis extraparlementaires vont prendre des voix. À un MSM démonétisé depuis 2019 et qui est aux affaires depuis neuf ans cette année, à cette alliance de partis parlementaires qui, sur le papier, additionne les 55% mais qui a néanmoins en mémoire le désaveu de 2014 avec son projet de République incompréhensible pour les masses populaires ? C’est dire que les préférences affichées à l’approche des échéances seront très intéressantes à scruter.