Arvin Boolell : « Urgence pour un accord au sein de l’opposition et un programme électoral commun »

Dans une interview accordée à Le Mauricien, le chef de file du groupe parlementaire travailliste, Arvin Boolell, exhorte les partis de l’opposition à passer à la vitesse supérieure concernant la conclusion d’un accord politique et l’élaboration d’un programme électoral commun.

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« Time is of an essence, parce que nous avons devant the best dictatorship », dit-il. Le député travailliste, actuellement suspendu du Parlement, relève que « plusieurs camarades » au sein de la majorité l’ont appelé pour lui dire comment ils se sentaient « embarrassés » par ce qui s’est passé. « Même le Dr Husnoo, qui a présenté la motion, a été très Apologetic envers lui », affirme-t-il.

Arvin Boolell, vous êtes un des parlementaires ayant connu le plus grand nombre de suspensions du Parlement. Comment vivez-vous cette situation, qui fait de vous un Bad Boy ?
C’est malheureux, parce que nous avons toujours valorisé le Speakership. Nous considérons que le Speaker est là pour protéger les minorités au sein du Parlement, qui est le temple de la démocratie. Il est triste de constater qu’à chaque fois que j’ai osé poser des questions embarrassantes au gouvernement, notamment sur l’affaire Angus Road, il a toujours eu une réaction très partisane. Nous nous sommes retrouvés dans un Elected Dictatorship ou le « Best Dictatorship Money can buy ». Avec pour résultat que je me suis vu dans l’obligation de loger une affaire en Cour suprême contre le Speaker.
Dans le cadre de la séparation des pouvoirs, il y a une ligne de démarcation entre le judiciaire, la législature et l’exécutif. Cette ligne de démarcation doit être claire et nette. Je regrette de le dire – et c’est la perception de la population – que cette convention n’est pas respectée par l’exécutif. Il encourage le Speaker à réagir brutalement, arbitrairement, avec pour conséquence qu’il entrave le rôle de l’opposition. Il ne peut pas se permettre de censurer l’opposition indirectement ou même directement.
Malheureusement, cette pratique fait partie de la culture du MSM. Nous avons vu les amendements à l’IBA Act, où il y a une censure indirecte des journalistes. Nous relevons la même chose en ce moment dans le port, avec une tentative de museler les employés de la Mauritius Ports Authority et le traitement infligé à la directrice de cette organisation.

Vous siégez depuis longtemps au Parlement. Voulez-vous dire que c’est la première fois que cette situation se produit ?
Je siège au Parlement depuis 1987, à l’exception d’une période, entre 2014 et 2017. Et je suis triste de constater ce qui se passe actuellement à l’Assemblée nationale. La population a vu dans quelles circonstances j’ai été Named par le Speaker avant d’être suspendu à la suite d’une motion présentée par le VPM Anwar Husnoo en l’absence du Premier ministre et du Premier ministre adjoint.
Plusieurs camarades au sein de la majorité m’ont appelé pour me dire comme ils se sentaient embarrassés par ce qui s’était passé. Même le Dr Husnoo, que j’ai rencontré par la suite, a été très Apologetic envers moi. Alors que nous nous approchons probablement des élections générales – sans compter qu’il y a une épée de Damoclès sur la tête du gouvernement avec le cas logé par Suren Dayal devant le Judicial Committee du Privy Council, contestant les résultats des élections dans la circonscription No 8 –, je m’attends à ce que le gouvernement se ressaisisse.
Nous ne pouvons pas rester silencieux lorsqu’il s’agit du bon fonctionnement de la démocratie. Nous regrettons ce qui se passe, d’autant plus que nous ne sommes jamais entrés dans les antécédents du Speaker. Nous avions cru qu’après son élection, il aurait joué son rôle avec sagesse et indépendance. Malheureusement, il s’est avéré être une déception totale. Il lui revient maintenant de démontrer ce que veut dire la séparation des pouvoirs.

À la rentrée parlementaire, en mars, vous serez toujours suspendu…
Je me souviens que lorsque le Speaker, Ramesh Jeewoolall, avait suspendu Paul Bérenger, le Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, avait présenté une motion en faveur de sa réintégration, même si cela n’avait pas plu au Speaker. Je dois reconnaître que l’ancien Premier ministre et leader du Ptr a toujours été respectueux des institutions. Par exemple, je ne l’ai jamais vu appeler un juge à son bureau. Il a toujours fait le déplacement vers la Cour suprême s’il fallait le faire. Il a toujours maintenu une distance avec ceux qui sont à la tête des institutions, dans le respect des pouvoirs constitutionnels.
Actuellement, la situation est floue. Je n’ai aucune amertume concernant ma suspension. Je suis en colère. J’espère que pendant la période des vacances parlementaires, le Speaker a lu Erskin May, qu’il comprend que l’accès à l’information est un droit, et non pas un privilège, qu’il a vu comment le Speaker de la Chambre des Communes opère et qu’il tire les leçons qui s’imposent afin de se rapprocher de l’âme et de la pratique parlementaire.

Quel regard jetez-vous sur les travaux parlementaires durant l’année écoulée ?
Je regrette que le gouvernement ait péché par manque de dialogue. Nous sommes très loin de l’époque où le Premier ministre, sir Seewoosagur Ramgoolam, et sir Gaëtan Duval, alors leader de l’opposition, se rencontraient pour discuter de sujets d’intérêt national. Aujourd’hui, les consultations entre le chef du gouvernement et le leader de l’opposition se font par écrit et sont très peu prises en compte.
Or, je suis certain que le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, peut lui faire des propositions très valables pour le pays. Le Premier ministre aurait pu agir avec fermeté si son gouvernement était un exemple de discipline et de rigueur, et s’il appliquait ce qu’il prêche. Or, il y a eu beaucoup de carence au sein de son gouvernement. Les rapports du directeur de l’Audit mettent très bien en lumière les irrégularités pratiquées au niveau des ministères.
D’autre part, il est dommage que du côté des ministres, qui ont droit à certains privilèges attachés à leur statut, il y ait eu un droit à l’excès. Nous avions vu ce qui s’est passé lors de la Dubaï Expo, où les ministres ont défilé sans grands résultats. Ensuite, tenant en compte l’intégrité territoriale, il est inacceptable que nous ne sachions pas ce qui se passe à Agalega. Nous comprenons ce que la situation géopolitique et géostratégique veut dire, mais il faut que nous sachions ce qui se passe sur notre territoire. Agalega fait partie de la circonscription No 3 et il est inacceptable que les députés n’aient pas la possibilité de visiter leur circonscription.
Je reconnais que concernant certains thèmes transversaux, il existe un consensus entre le gouvernement et l’opposition. C’est le cas pour le changement climatique. Nous critiquons, mais il y a une convergence. C’est également le cas pour les efforts en vue de récupérer les Chagos. Il est vrai que je ne suis pas satisfait avec la façon de procéder de la Grande-Bretagne, qui agit comme la perfide Albion concernant ce dossier. Je considère qu’alors que des discussions entre les deux parties sont prévues pour le mois prochain, il ne faut pas entretenir la perception que le gouvernement est à la recherche d’une cogestion des Chagos.
Que nous le voulions ou pas, lorsque nous parlons de l’intégrité territoriale, le travail a commencé devant l’UNCLOS pour contester la création de la zone maritime protégée. Il y a donc eu une permanence de l’État et une constance sur ce dossier de la part de tous les gouvernements. Je déplore que Londres continue de présenter les Chagos comme le BIOT/Chagos. C’est un recul, tenant en compte de ce qui s’est passé devant la Cour internationale de Justice et aux Nations Unies, et qui fait que ce dossier relève des droits internationaux. En matière de cogestion, il ne faut pas oublier que le gouvernement français de Jacques Chirac était d’accord avec la cogestion de Tromelin. Nous savons que le Parlement français l’a rejeté.

Les dirigeants du gouvernement estiment, eux, que l’opposition verse dans la démagogie…
Ils le disent parce qu’ils savent que nous pratiquons un langage de vérité lorsque nous dénonçons l’incompétence, la corruption et les abus de pouvoir.
Est-ce que parler de l’affaire Kistnen, de l’Angus Road ou du Wakashio relève de la démagogie ? Les faits sont attestés par des organisations internationales. Pour ma part, je considère que Pravind Jugnauth a raté le coche lorsqu’il s’agit de la bonne marche de la démocratie parlementaire, au point où le pays est devenu the Best Elected Dictatorship.
Je ne le dis pas pour régler des problèmes personnels. Je suis un politicien et je dois l’attaquer sur ses manquements. De plus, on ne peut continuer avec une politique revancharde dans la gestion politique. Je connais le Parti travailliste. Cette pratique n’est pas dans ses mœurs. Actuellement, les problèmes de fonds ne sont pas traités comme ils le devraient.

À quels problèmes pensez-vous ?
Aux problèmes démographiques, au manque de ressources humaines, à la transformation de Maurice en pays orienté vers l’économie de services. Nous n’utilisons pas suffisamment le génie mauricien. Par ailleurs, il nous faut réaliser que depuis 1968, il y a eu un changement démographique, et nous ne vivons pas avec ce changement.
À ce propos, je constate qu’il y a eu un manquement de la part des partis traditionnels, parce que nous ne pouvons pas maintenir le statu quo. Ce n’est pas parce que le redécoupage électoral est resté inchangé qu’il faut croire que la démographie électorale n’a pas changé. Or, il n’y a pas eu jusqu’ici un recensement électoral. Il y a une situation évolutive à laquelle il nous faudra nous adapter. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d’être en inadéquation avec notre société.
Avec le développement du secteur tertiaire, comme le disait Gaëtan Duval, zenes frot zepol. Vous seriez étonné du nombre de mariages intercommunautaires qui sont célébrés annuellement. Il ne faut pas faire abstraction de cela. Il y a un changement évolutif de la société. Il est vrai que chacun doit garder sa culture et doit avoir une orientation, mais la mosaïque mauricienne est en pleine mutation.
C’est là que je fais appel à la conscience citoyenne, qui transcende les barrières politiques et nous interpelle, pour nous dire ce qu’il faut faire, pour que Maurice devienne meilleure et pour guérir les maux du pays. Il faut cesser d’agir de manière émotionnelle à travers ses tripes. La conscience citoyenne doit interpeller tous les Mauriciens. Nous ne pouvons vivre sur la gloire du passé. Il nous faut nous réinventer pour affronter les grands défis et saisir les grandes occasions.

Sur le plan politique, les partis de l’opposition continuent d’avancer en rangs dispersés. Qu’en pensez-vous ?
Au niveau de l’opposition parlementaire, il n’y a aucun problème. Même si les parlementaires de l’opposition doivent surmonter beaucoup de problèmes, puisqu’on les empêche de faire leur travail convenablement. Mais on ne peut pas laisser le champ libre au gouvernement. Il faudrait qu’il y ait une convergence au sein de l’opposition parlementaire et extraparlementaire.
Malheureusement, alors que nous accusons le gouvernement de n’avoir pas créé une convergence nationale sur les thèmes transversaux, il faut aussi reconnaître qu’il n’y a pas eu suffisamment de convergence au sein de l’opposition. Nous n’avons pas discuté des grands thèmes, au-delà des rencontres qu’il y a eues entre les leaders des Mainstream Political Parties. Il y a eu un mauvais départ. La question est de savoir qui sera le leader si une alliance éventuelle reste pertinente et n’a pas été réglée…

Y a-t-il un problème d’ego ?
Je ne dirais pas qu’il y a un problème d’ego parce que chaque décision doit être prise en tenant en compte de la conscience citoyenne.

Pourquoi parlez-vous de mauvais départ ?
J’ai assisté à beaucoup de réunions en ma capacité d’ancien leader de l’opposition et en tant que dirigeant de mon parti. Au-delà de la question de savoir qui sera le leader, nous aurions dû revoir le décor afin de créer une convergence à travers des thèmes aussi importants que la Constitution du pays.
Comment peut-on vivre avec une Constitution dépassée par les événements ? Quel pouvoir doit être attribué au commissaire électoral, sans mettre en doute la compétence de l’actuel commissaire électoral ? Il ne faut pas oublier que c’est l’épine dorsale de la démocratie. La commission électorale doit pouvoir être au-dessus de tout soupçon et se départir de toute perception de partisanerie. Les responsables des institutions doivent être choisis sur la base du mérite, et non par sur la base de leur appartenance ethnique. Il nous faut voir si le Premier ministre sera toujours le First among Equals, et quelle devrait être la durée de son mandat.

Vous avez été leader de l’opposition. Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir retrouvé ce poste ?

Nous regrettons la manière dont les choses se sont déroulées. Je ne peux pas être le leader de l’opposition sans que le Whip de l’opposition ne soit un membre de mon parti. Je compte écrire dessus afin d’expliquer ce qui s’est passé. Je ne suis pas là pour m’engager dans un Blame Game, mais je sais ce qui s’est passé. Il y a eu un jeu politique.
Nous avons tourné la page sur cette question, puisque notre priorité aujourd’hui est de faire partir le gouvernement MSM. Nous sommes arrivés à un moment où nous n’avons plus droit à l’erreur. L’île Maurice doit en sortir gagnante. Il est temps que l’opposition passe à la vitesse supérieure et avance à pas de géant. Il ne suffit pas d’avancer à petits pas et de dire que nous irons ensemble aux élections municipales sans savoir ce qui se passera aux élections générales. Je crois dans la clarté, la certitude et la prévisibilité. Je ne souhaite pas payer le prix que nous avons payé en 2014.

Voulez-vous dire qu’il faut conclure une alliance électorale pour les élections générales au plus vite ?
Il faut arriver à un accord politique et venir avec un programme électoral commun. La différence entre l’opposition parlementaire et extraparlementaire est claire. Il est impératif que les partis de l’opposition parlementaire deviennent une identité commune et ouvrent la porte aux partis extraparlementaires. La politique est l’art du possible. Il ne faudrait pas avoir une opposition au sein de l’opposition. Time is of an essence, parce que nous avons devant nous the Best Dictatorship.
De plus, il ne faut pas sous-estimer notre adversaire politique. Car ce n’est pas l’opposition qui remporte les élections, mais le gouvernement qui les perd. Les leaders politiques de l’opposition ont une obligation morale de sauver le pays. C’est le moment d’agir avec efficacité pour le bien-être de tout un chacun.

Qu’attendez-vous de 2023 ?
2023 sera l’année de toutes les batailles. Les pauvres et la classe moyenne continueront de subir les effets de l’inflation et de la hausse des prix de l’électricité, qui auront un effet domino sur le coût de la vie. Le gouvernement n’aura d’autre choix que de faire marche arrière et de baisser les prix excessifs du carburant afin de donner un boost au commerce et à la consommation. Les commerçants devront respecter leurs obligations et respecter les droits des consommateurs.
Par ailleurs, la révision à la hausse de la croissance économique pour 2022, qui est passée à 7,8%, au lieu de 7,2%, est considérée comme négligeable par des économistes. Il faut savoir que le PIB au prix du marché se situait à Rs 512 milliards en 2019, avant le Covid-19. Il est passé à Rs 486 milliards, toujours au prix du marché, en 2022 (à toute chose égale). Il est donc à 94,9% de 2019. Avec une croissance de 5% en 2023, le PIB augmentera à Rs 510 milliards, soit à 99,7% du PIB de 2019.
Le pays reste en dessous du PIB pré-Covid en 2022, et on attend le PIB pré-Covid que fin 2023. Voilà la vérité. Le drame est que nous continuons de vivre au-dessus de nos moyens. La balance courante affiche un déficit conséquent alors que la dette publique, elle, reste élevée. Par ailleurs, la Banque Centrale ne peut pas continuer d’être l’otage du ministère de Finances.

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