Monique Dinan : « Il nous faut apprendre à aimer dans la durée »

Monique Dinan est journaliste et auteure. Elle a déjà publié une trentaine d’ouvrages, dont les deux derniers publiés sont intitulés Les congrégations religieuses féminines présentes dans le pays depuis 1845 et 300 ans de présence de l’Église catholique dans la République de Maurice. Dans le dernier ouvrage, elle s’adresse surtout aux jeunes « afin qu’ils connaissent mieux le beau parcours réalisé par des hommes et des femmes qui ont choisi en toute liberté de consacrer leur vie au Seigneur et d’œuvrer pour le faire connaître et aimer ». Elle ajoute : « nous leur devons beaucoup s’il règne aujourd’hui la paix sociale et le progrès économique que connaît notre République. » En cette veille de Noël, Le Mauricien l’a rencontrée pour voir ce que signifie cette fête en 2022, qui sera célébrée pour la première fois depuis deux ans sans aucune restriction sanitaire et de jauge dans les églises.

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Nous sommes à la veille de Noël. Que signifie cette fête pour vous en cette année 2022 ?
J’aurais souhaité que la fête de Noël apporte un renouveau dans nos familles. Le plus grand problème dans l’île Maurice actuelle est le nombre de divorces, le nombre de drames qui ont affecté certaines familles. Que nous soyons chrétiens ou pas, que nous soyons riches ou pauvres, il nous faut prendre une décision sur ce que nous comptons faire pour apprendre à aimer dans la durée. Cela est très important. Je pense surtout aux jeunes et aux adolescents. Ils ont faim d’amour et croient qu’on peut entrer dans un amour tout de suite et espérer être heureux pour le reste de leur vie.
Le cadeau à demander à Dieu pour nos familles et notre population mauricienne est que nous vivions avec un amour qui va durer et dans lequel chacun s’accepte avec ses différences. Nous choisirons le dialogue et accepterons tout ce qui nous est étranger chez l’autre et nous essaierons de mieux vivre à deux avec le même conjoint au lieu de passer par deux ou trois conjoints sans savoir quel souvenir garder pour notre vieil âge.

Quels sont les souvenirs personnels que vous gardez de la fête de Noël ?
Noël a toujours été pour moi une fête très familiale. Nous avons accueilli non seulement la famille ou une ou deux personnes qui auraient été seules ce jour-là afin de vivre ensemble cette ambiance familiale.

On parle beaucoup ces jours-ci de problèmes sociaux et économiques. Avez-vous l’impression que la population s’est appauvrie ?
Tout est plus cher à l’heure actuelle mais ce n’est pas le plus important. Nous dépensons beaucoup d’argent dans des choses qui ne sont pas nécessairement nécessaires. Combien d’argent sera consacré aux cadeaux qui, nous espérons, feront plaisir. La question pertinente: est-ce qu’ils sont vraiment utiles ?
Je suis impressionnée par les dépliants de publicité que les maisons de commerce distribuent gratuitement. Ils sont très bien faits sur du papier glacé. Nous pouvons toutefois nous demander si, dans nos dépenses, nous allons vers l’essentiel. Est-ce que nous ne pourrions pas partager ce que nous avons en plus avec ceux qui n’en ont pas ?
Il faut vraiment faire des économies et essayer de consommer les produits locaux au lieu de dépendre des produits étrangers qui se vendent de plus en plus cher. Ce sera une façon de contribuer au développement du pays. Essayons donc d’aller vers l’essentiel et faisons de Maurice une île qui n’est pas en train de s’endetter de plus en plus.

Cette année, il a beaucoup été question de Shelters et d’enfants abandonnés…
C’est dramatique, car tout enfant a droit à la vie, à l’encadrement et à l’affection de parents qui s’aiment. Dans l’association Mouvement d’Aide à la Maternité (MAM), vous voyez beaucoup de cas des filles qui se retrouvent enceintes sans avoir de conjoint, avec pour résultat qu’il n’y aura pas de père pour déclarer l’enfant. Or, cet enfant a besoin d’être aimé et d’être encadré. Il faut que dans la société, il y ait cette générosité, de manière à permettre à cette jeune maman de mener une vie normale et à progresser dans la vie et d’élever son enfant.

Vous avez été à l’origine de plusieurs initiatives sociales et à l’origine de Mouvement d’aide à la maternité. Quel est le but de cette organisation ?
Lorsque mes enfants se sont mariés, je me suis dit que nous avons réussi à bien les encadrer. J’ai moi-même appartenu à une famille de 11 enfants. Nous n’étions pas très riches, et mes parents ont su nous élever avec peu de moyens. Mon père était fonctionnaire et touchait très peu. Mais nous avons reçu beaucoup de chaleur humaine, car nos parents étaient extraordinaires. Nous avons essayé de transmettre cela. Alors que j’avais 12 ans, ma mère a obtenu mon admission dans la Croix Rouge Junior afin d’apprendre à aimer les personnes, les soigner, etc. Elle nous a mis dans le service des autres.
Lorsque j’ai grandi, je me suis toujours demandé ce que je pouvais faire afin d’aider les autres. À une époque où il y avait un mouvement en faveur de la légalisation de l’avortement, je me suis demandé comment nous pouvions aider les jeunes femmes qui sont enceintes et que les encouragions à garder leurs enfants.
C’est ainsi que l’idée est venue de former une association avec quelques personnes, et où pouvait dire : « Ton enfant te pose problème, viens vers nous. Nous t’accompagnerons pour expliquer ce qu’est la grossesse et comprendre que l’enfant a droit à la vie et le droit d’être aimé. »
Au fil des ans, nous avons aidé beaucoup de femmes. Je me souviens d’une Mauricienne qui avait eu son bébé et qui était partie pour l’étranger. Elle a tenu un jour à venir chez moi pour me remercier d’avoir été présente, me disant qu’elle avait réussi sa vie à l’étranger. Il faut dire que nous avions une petite équipe, composée entre autres de sages-femmes, qui savaient vraiment préparer les femmes à l’accouchement.

En fait, il y a beaucoup d’adolescentes et d’étudiantes qui se retrouvent enceintes…
Le Mouvement d’Aide à la Maternité a deux objectifs : accompagner celles qui sont confrontées à des problèmes difficiles et assurer leur éducation à la sexualité. Lorsqu’on nous invite, nous allons dans des collèges et des associations pour expliquer aux jeunes garçons et filles qu’ils doivent savoir ce qui se passe dans leur corps et comment ils doivent être maîtres de leur corps, et non pas de leurs pulsions. J’espère que ceux qui ont reçu ces cours sont devenus de bons époux et ont des familles plus stables.

Pensez-vous que l’éducation sexuelle fasse défaut au niveau des écoles et des collèges ?
En principe, cela ne devrait pas faire défaut. Comme je ne vais plus dans les collèges et ne rencontre plus beaucoup de jeunes pour pouvoir leur parler et leur demander ce qu’ils ressentent. Il y a la volonté de passer le message, mais il faut savoir aussi quel message passer. Est-ce que c’est un message positif ? Nous avons besoin de tenir un langage plutôt cru. Il faut faire comprendre que tout est beau dans le sexe. Il faut tout dire et ne pas hésiter à évoquer les pulsions ressenties de manière claire, parce que tout ce qui appartient à notre corps doit être admiré. Plus nous comprenons ce qui se passe, et mieux nous pouvons nous maîtriser.

Vous avez aussi été à l’origine de la messe annuelle du tourisme, qui réunit chaque année le personnel de tous les métiers liés au tourisme. Pouvez-vous nous en parler ?
C’est vrai. J’ai été l’initiatrice de cette messe du tourisme. L’idée était de valoriser tous les métiers du tourisme et le travail abattu par tous ceux engagés dans le secteur touristique, en particulier les petits employés, dont nous ne parlons presque jamais.

Vous vous intéressez beaucoup aux questions démographiques. Or, voilà que le bureau des Statistiques nous annonce une baisse de la population. Comment cela vous interpelle-t-il ?
Cela va nous créer beaucoup de problèmes. Voilà pourquoi il faut que nous nous intéressons aux jeunes. La question que je me pose, c’est : est-ce que ces questions sont évoquées dans les écoles et collèges par les enseignants ? Est-ce qu’ils demandent aux jeunes d’exposer leur point de vue ? C’est une occasion pour eux de devenir de bons citoyens. Je crains que les enseignants ne s’intéressent qu’aux examens.
Dans un article que j’ai écrit récemment, j’ai demandé ce que font les jeunes pour être de bons citoyens. Il est très important que l’école aide les jeunes à devenir des citoyens responsables. Pour cela, il faut qu’ils s’investissent et participent à des activités sociales à travers des organisations philanthropiques, ou le scoutisme par exemple. Le progrès académique ne suffit pas. Il faut aussi un investissement social, ce qui fera d’eux de bons citoyens.

Quel regard jetez-vous sur la société mauricienne en général ?
Nous avons le devoir d’avoir un regard positif. Nous prêchons souvent dans le désert. Cependant, il ne faut pas tomber dans la négativité. Nous regardons ce qu’il y a; nous évoquons certains problèmes. Nous savons que nous ne serons pas en mesure de changer le monde.

Quel est le problème qui vous préoccupe le plus dans le pays ?
Le plus grand problème est celui que je viens d’évoquer, à savoir que l’amour est malade dans notre pays. À la moindre querelle, les couples se séparent. Il a également les violences conjugales. Il y a beaucoup trop de féminicides. Il est déplorable que les hommes agissent de cette façon. Il est possible qu’eux aussi ont leur propre souffrance, qui dégénère en violences. Je salue par ailleurs l’association des papas, qui fait du bon travail et qui explique que les hommes ne sont pas tous coupables, et que les femmes également doivent faire leur examen de conscience.

Encore une fois, l’éducation des jeunes ou des adultes a son rôle à jouer… Les formations au mariage sont-elles insuffisantes ?
Nous ne pouvons obliger personne à se former. Nous pouvons organiser des sessions très intéressantes, très actives et très modernes, dans lesquelles les fiancés sont invités à participer activement. Nous pouvons aussi organiser des campagnes de prières, qui sont effectives. Nous pouvons avoir des pèlerinages auxquels sont invitées les familles fragiles. Ceux qui sont dans l’enseignement témoignent chaque jour de la manière dont le divorce affecte l’éducation des enfants. Ils sont incapables d’avoir de bons résultats s’ils sont blessés intérieurement. La vie à deux n’est pas un long fleuve tranquille. D’où l’importance que des couples ayant duré de participer à la formation des jeunes à travers leurs témoignages. Je pense que la période des fêtes est une bonne occasion de se rencontrer et de régler les problèmes qui peuvent être corrigés.

Vous avez trouvé le temps d’écrire un livre sur les 300 ans de présence de l’Église catholique à Maurice. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai écrit deux livres cette année, un premier qui traite des congrégations religieuses féminines et un second à l’occasion des 300 ans de l’Église catholique, dont l’anniversaire est célébré cette année. Et je me suis dit qu’il était opportun de reprendre les grands moments de cette histoire. C’est une histoire très riche, qui a contribué à créer l’île Maurice pacifique que nous avons aujourd’hui. L’Église catholique ne s’est à aucun moment refermée sur elle-même et ne s’est pas limitée à enseigner aux Mauriciens de foi catholique. Son message s’est toujours adressé à la nation mauricienne tout entière.
Lorsque je regarde la vie des premiers prêtres mauriciens, je me rends compte que ce ne sont des jeunes de 18 et 19 ans qui choisissent le sacerdoce. C’était des professionnels du monde du droit, de la médecine ou des finances qui, à un moment de leur vie, se sont arrêtés pour passer en revue leur vie et leur rôle dans la société, avant de choisir la voie du sacerdoce. C’est le cas d’Hippolyte Déroulède, de Joachim Gonin et de Tristan Bardet.
Il y a eu 172 Mauriciens ordonnés à la prêtrise. Le premier prêtre mauricien a été ordonné en 1821. La petite île Maurice a eu deux cardinaux et deux visites papales, dont le pape Jean Paul II, qui est allé jusqu’à Rodrigues. Nous avons une majorité de prêtres âgés dans le diocèse de Port-Louis. Heureusement que cette année, neuf jeunes sont partis aux séminaires. Nous ne savons combien d’entre eux iront jusqu’au bout et nous prions pour chacun d’eux. Il faut savoir que la formation des prêtres est entièrement financée par les Mauriciens. Nous avons une forte proportion de prêtres étrangers dans le clergé mauricien. Ils viennent d’Inde, de Chine, d’Afrique… Ce qui fait que Port-Louis est un diocèse international, une véritable richesse.

Beaucoup de livres ont été écrits sur l’histoire de Maurice. Quelle est la spécificité du vôtre ?
Dans ce livre, je pose la question de savoir quel est l’avenir de l’Église à Maurice, que ce soit parmi les religieux et les religieuses, parmi les jeunes et les laïcs. Comment comptent-ils mettre leurs talents au service de l’église. Je pense à Zezi Vre Zom, qui est une excellente initiative. Je souhaite aussi un retour de la démonstration publique de notre foi à travers la procession dans les paroisses pour les fêtes religieuses. Il faudrait qu’on soit en mesure de témoigner publiquement de sa foi et de la faire grandir.

Quels sont les domaines dans lesquels l’Église a le plus contribué ?
Je pense que c’est dans le domaine de l’éducation. L’Église a été pionnière en accueillant les gens de toutes les religions et de toutes les communautés. L’éducation a été à la portée de tout le monde, y compris ceux qui n’étaient pas particulièrement doués intellectuellement. Il y a eu des écoles techniques, qui ont été fondées dans le diocèse. Le Collège St-Gabriel fait un très bon travail dans la formation des métiers. D’autres institutions, comme le collège de La Confiance, s’intéressent à la formation agricole.
Ensuite, l’Église a beaucoup fait pour l’éducation des femmes à travers ses collèges. Le cardinal a récemment effectué une mission pour trouver le financement de la formation technique. Il est très engagé dans la lutte en faveur de l’éducation des enfants les plus démunis. Si nous ne nous occupons pas de cette frange de la population et que nous les laissons à l’abandon, ce ne serait pas bon pour la justice sociale et la paix sociale dans le pays. Je parle également du malaise créole dans mon livre. L’Église a entendu l’appel venu du plus profond de l’Église et a su s’adapter à la situation. Elle a démontré qu’il y a de la place pour tous dans l’église, et ce, toutes cultures confondues.

Vous avez beaucoup travaillé avec le cardinal Jean Margéot. Quel souvenir gardez-vous de lui ?
Je lui dois un immense remerciement. Je l’ai connu comme curé de la paroisse de Notre Dame de Lourdes durant toute mon adolescence. Il a célébré notre mariage et j’ai été très proche de lui durant ses dernières années. C’était une bénédiction pour le pays. Il avait toujours une parole positive à dire. Ce n’étaient pas des sermons, mais des prises de position très positives.
Le père Souchon et lui ont été des piliers dans l’Église catholique. Il a eu la grâce d’être aussi un facteur de développement de la société. Je voudrais à ce stade dire un mot spécial pour la richesse du foyer de l’Unité à Souillac, et où le père Arthé fait un excellent travail. Ce foyer réunit des personnes qui prennent le temps de réfléchir et de faire des retraites.

Puisque vous dites que votre livre est tourné vers l’avenir, comment appréhendez-vous justement cet avenir ?
J’espère qu’il continuera de répondre aux besoins des années qui viennent. En conclusion dans mon livre, je relève qu’en cette année de nos 55 ans d’indépendance et 30 ans de République, Maurice est citée comme un pays de tolérance, de pluralité et de métissage. Je me dis que l’Église catholique mauricienne a aussi sa contribution dans la réalisation de cette performance. Elle doit continuer sur cette voie.
Cependant, de manière générale, il y a des combats à mener, notamment la défense du capital spirituel des sociétés. Le premier capital de toute société est spirituel, « invisible, mais plus réel que le capital financier ou technologique ». Trop de jeunes souffrent souvent d’un « manque de sens » dans les sociétés modernes. Il y a trop de suicides de jeunes. Il y a un manque de joie dans la société. Il y a l’hiver démographique en cours dans de nombreux pays. Il y a l’effet pervers du consumérisme sur les familles. L’inégalité pollue aussi mortellement notre planète.
Alors que nous multiplions nos efforts pour sauver la planète, nous ne pouvons pas négliger l’homme et la femme, qui souffrent. Que les jeunes qui sont l’avenir en prennent bonne note. En fin de compte, le défi à relever pour consolider l’avenir de notre République est d’avoir des familles stables, aimantes et désireuses d’accueillir des enfants, qui seront bien encadrés et pourront devenir des citoyens responsables.

ACCROCHES
« Le cadeau à demander à Dieu pour nos familles mauriciennes et notre population est que nous vivions avec un amour qui durera et dans lequel chacun s’accepte avec ses différences. On choisira le dialogue et on acceptera tout ce qui nous est étranger chez l’autre. On essaiera de mieux vivre à deux avec le même conjoint, au lieu de passer par deux ou trois conjoints sans savoir quel souvenir garder pour notre vieil âge »

« Le plus grand problème du pays est celui de l’amour, qui est malade. À la moindre querelle, les couples se séparent. Il a également les violences conjugales. Il y a beaucoup trop de féminicides. Il est déplorable que les hommes agissent de cette façon »

« Que les jeunes qui sont l’avenir en prennent bonne note. En fin de compte, le défi à relever pour consolider l’avenir de notre République est d’avoir des familles stables, aimantes et désireuses d’accueillir des enfants, qui seront bien encadrés et pourront devenir des citoyens responsables »

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