Atma Shanto : « Rétrécissement de l’espace démocratique à Maurice »

Négociateur de la Fédération des travailleurs unis (FTU), Atma Shanto est dans l’actualité depuis son récente interpellation par la police pour une manifestation remontant à 2019. En liberté sous caution, il a vu son passeport confisqué par la police. Ce qui représente pour lui une tentative d’intimidation. Dans l’entretien qui suit, il évoque les difficultés à faire respecter les droits des travailleurs dans la conjoncture sovio-politique et parle de ses inquiétudes par rapport aux atteintes à la liberté des citoyens.

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Vous avez été interpellé par la police pour une manifestation tenue il y a trois ans. Pensez-vous que nous sommes dans une période de répression ?

Cela fait 37 ans que je suis dans le mouvement syndical. J’ai connu les grandes mobilisations, notamment dans le port, l’industrie sucrière et le transport. Il y a eu des soulèvements populaires. Mais quand nous voyons ce qui se passe aujourd’hui, nous nous disons que nous sommes loin de cette époque. Il y a en effet un sentiment de répression si nous considérons la manière d’agir de la police par rapport à plusieurs activités sur le plan national. Il y a des difficultés par rapport à la mobilisation, surtout en ce qui concerne les travailleurs.

Nous sortons de deux années marquées par la crise sanitaire, où il y a eu deux confinements et des restrictions. Nous aurions dû, valeur du jour, reprendre nos activités normalement, pouvoir entamer des discussions sur l’amélioration des conditions de travail, entre autres. Toutefois, la réalité est toute autre. Nous nous retrouvons en face de nombreuses difficultés. Moi-même, je suis en liberté sous caution, et donc je suis soumis à certaines restrictions et mon passeport a été saisi par la police.

Nous constatons que plusieurs personnes ont aussi été inquiétées par la police ces derniers temps. Qu’en pensez-vous ?

Il y a définitivement un rétrécissement de l’espace démocratique. Dans mon cas par exemple, on a saisi mon passeport sur une accusation de manifestation illégale tenue en 2019. Le 7 décembre prochain, je dois encore me présenter en Cour. Il y a deux ou trois ans, j’avais été interpellé et traduit en Cour, encore une fois pour le délit allégué de manifestation illégale. Je n’avais pas payé de caution et on m’avait envoyé en prison. Plus tard, c’est Ashok Subron qui est venu payer ma caution pour que je retrouve la liberté. Malgré cela, on n’avait pas saisi mon passeport à l’époque. Pourquoi est-ce le cas aujourd’hui ? Soit dit en passant, la précédente affaire a été rayée par la suite.

Je constate que la police agit à la baïonnette aujourd’hui. Surtout depuis que le commissaire de police, Anil Kumar Dip, est en poste. Il y a également une autre occasion où nous étions en train de manifester à Mahébourg et où des hauts gradés de la police qui étaient là m’ont menacé juste parce que j’avais utilisé un porte-voix. Comment peut-on faire une mobilisation sans porte-voix ? Suite à cela, j’ai porté plainte à la National Human Rights Commission, mais à ce jour, il n’y a rien eu. C’est le silence complet. Je considère que c’est un acte d’intimidation caractérisé.

Encore une preuve pour soutenir qu’il y a bel et bien un rétrécissement de la démocratie et de la liberté. Cela ne fait pas honneur au pays. Un jour, j’étais à Ébène et j’attendais dans la voiture. Quelqu’un, que je ne connais pas, s’est approché et m’a parlé. Il m’a demandé si les affaires syndicales allaient bien. J’ai répondu oui. Il m’a alors conseillé de faire très attention.

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a dans l’opinion publique un sentiment d’insécurité et de méfiance. Quand je vois comment des citoyens sont arrêtés, il y a des actions symboliques avec 11 personnes qui sont interdites. Moi, je dis que c’est extrêmement grave.

À mon avis, le Premier ministre doit revoir le fonctionnement de la police et surtout du commissaire de police. Autrement, il payera le prix cher aux prochaines élections. En ce qui me concerne, je suis un citoyen responsable qui a toujours agi dans les paramètres de la loi. Je continuerai à mener mon action en dépit des tentatives d’intimidation.

Je dis également de faire très attention de ne pas jouer avec le feu. Quand nous voyons ce qui se passe sur les réseaux sociaux, je dis que nous sommes assis sur une fournaise. J’habite dans un village où il y a une majorité de personnes de la population générale. Nous avons toujours vécu en harmonie. Ils m’apportent une part de gâteau pour la fête de la Vierge et moi je leur donne des gâteaux pour Divali… Ce n’est pas aujourd’hui que certains vont venir mettre tout cela en péril.

Vous représentez les travailleurs de l’hôtellerie, un secteur qui se retrouve avec des problèmes de main-d’œuvre actuellement. Comment expliquez-vous cette situation ?

Il y a des positions qui sont contradictoires dans ce secteur. D’un côté, vous avez des employeurs qui continuent à se plaindre des difficultés financières liées au Covid-19 et de l’autre, il y a le ministre du Tourisme, Steven Obeegadoo, qui vient vous dire qu’il y a une reprise dans ce secteur. Il ne faut pas oublier non plus que le secteur privé a bénéficié du Wage Assistance Scheme et autres facilités du gouvernement. Aujourd’hui, l’AHRIM et Business Mauritius viennent crier pour dire qu’il y a un manque de main-d’œuvre et qu’il faut importer des ressortissants étrangers. Cela, alors même que le National Remuneration Board travaille sur la révision du Remuneration Order pour ce secteur. Le dernier RO date de plus de dix ans. La Fédération des Travailleurs Unis (FTU) a déjà soumis un memorandum à ce sujet.

Ce qui est d’autant plus préoccupant, c’est que la Premier ministre a donné la garantie aux hôteliers qu’ils pourront recruter des travailleurs étrangers. La question que je me pose, c’est : est-ce que le gouvernement est prisonnier du secteur privé ? D’une part, le NRB est en train de travailler sur les conditions et d’autre part, on veut permettre le recrutement des travailleurs étrangers. Soit dit en passant, il y a déjà des hôtels qui ont recruté des Malgaches, des Indiens et des Bangladais.

Vous voulez dire que s’il y a de meilleures conditions de travail dans l’hôtellerie, il y aura plus de Mauriciens intéressés par ce secteur ?

Effectivement. Dans notre memorandum, par exemple, nous avons suggéré une semaine de travail de 35 heures. Ce qui est la tendance mondiale. Actuellement, la semaine de travail dans l’hôtellerie est de 45 heures. Sans compter les heures supplémentaires calculées sur une base hebdomadaire et non pas mensuelle. Et les heures supplémentaires sont obligatoires. Les travailleurs doivent souvent redoubler leurs Shifts. On appelle cela des Split Shifts. Les droits au Vacation Leave ne sont pas respectés. Vous pouvez voir des gens, dans leur joli uniforme, aller travailler dans un joli van qui vient les récupérer, mais la réalité est que les conditions de travail sont des plus difficiles.

Je ferai un parallèle entre ce secteur et le textile. Quand on a lancé la zone franche à Maurice, c’était surtout les femmes qui y travaillaient. Les conditions étaient difficiles et l’Overtime obligatoire. Ensuite, les compagnies ont commencé à délocaliser et nous nous sommes retrouvés avec un problème de main-d’œuvre. Nous avons voulu faire croire que les Mauriciens n’étaient pas intéressés à travailler dans le textile. Or, tout ce qu’ils voulaient, c’était de meilleures conditions et que leurs droits soient respectés. Je ne suis pas en train de dire que je suis contre les travailleurs étrangers, mais la vraie question est qu’il faut des conditions de travail plus humaines.

Les conditions ne sont-elles pas régies par des lois ?

Je vais vous donner un exemple. Il y a des hôtels qui recrutent des étudiants étrangers qui font des études à Maurice. Ces jeunes travaillent 7/7 jours. Ils font le même travail que les Mauriciens, mais sont payés moins. Ils n’ont même pas droit au salaire minimum. De plus, on déduit une somme d’argent pour l’hébergement, car on leur donne un endroit pour se loger. Ceci a été fait pour que ces pauvres étudiants soient disponibles à n’importe quel moment. C’est de la surexploitation. Nous avons dû tirer la sonnette d’alarme pour que les autorités concernées réagissent.

Cela nous interpelle. Allons-nous en faire de même avec les travailleurs étrangers qu’on veut emmener dans l’hôtellerie ? Allons-nous nous retrouver avec une situation similaire au textile, où les conditions des travailleurs étrangers ont été maintes fois décriées ?
Je rappelle que Maurice a signé des déclarations du Bureau international du travail. Nous avons des lois à respecter. Le ministre du Travail est conscient de cela, et j’espère qu’il va aviser le Premier ministre à ce sujet et qu’on ne va pas se contenter de se plier aux exigences du secteur privé. Je savais que tôt ou tard, on allait arriver à une telle situation dans l’hôtellerie en raison des conditions de travail défavorables.

Il y a également beaucoup de Mauriciens qui sont partis travailler à l’étranger…

Effectivement. Et ils profitent justement de meilleures opportunités. J’ai rencontré des gens qui travaillaient dans des hôtels ici et qui sont partis travailler sur des paquebots, par exemple. Ils me disent qu’ils comptent repartir, car pour le peu de temps qu’ils sont partis, ils ont pu progresser financièrement. C’est sûr qu’ils ont dû faire des sacrifices. Ils ont quitté leurs familles pour aller travailler ailleurs, mais au moins, au bout du compte, ils s’en sortent avec un salaire honorable.

Si nous avions des conditions plus attrayantes dans nos hôtels, peut-être qu’ils n’auraient pas eu à aller chercher du travail ailleurs. Malheureusement, notre modèle économique est basé sur la surexploitation des travailleurs. C’est ce système que rejettent aujourd’hui les travailleurs de l’hôtellerie. Je dis que pour y faire face, il faudra s’organiser. Toutefois, cela s’avère difficile, car dès qu’un employeur est mis au parfum d’un quelconque mouvement, il y a des tentatives d’intimidation. On va tout de suite chercher à savoir qui est le Ring Leader. Je rappelle que le droit de se syndiquer est garanti par la Constitution.
Ce n’est pas tout, les procédures sont aussi compliquées. Il faudra faire une demande à la direction, souvent, entrer une action au tribunal, pendant ce temps la répression et le harcèlement se poursuivent… et ainsi de suite.

Nos lois protègent-elles suffisamment les travailleurs de nos jours

La loi est là, c’est sa mise en application qui pose problème la plupart du temps. Je vous donne un exemple. L’Employment Rights Act fait provision contre la violence au travail. La loi prévoit une amende de Rs 100 000 et une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans pour toute infraction sous cette disposition de la loi. Or, il y a actuellement une soixantaine de plaintes pour violence au travail au ministère du Travail. Tous ces cas sont en suspens, car ils attendent les directives du State Law Office pour savoir comment procéder. Mais quand allons-nous finalement avoir une réponse du SLO ? Quand ces dossiers seront-ils transmis en Cour et quand les plaintes seront-elles entendues ? Donc, les patrons qui font usage de violence peuvent continuer d’agir sans être inquiétés.

Je cite un autre cas. Quand il y a une plainte au ministère du Travail, peu importe la raison, et qu’après enquête, le ministère vient à la conclusion qu’il y a eu une infraction, il sert un Notice of Compliance à l’employeur concerné. Ce qui se passe depuis quelque temps, c’est que l’employeur décide d’aller contester cet ordre du ministère du Travail en Cour. Et tant que la Cour n’aura pas tranché, il ne va pas appliquer les recommandations du ministère. Or, nous savons combien de temps les affaires prennent en Cour. Entre-temps, il continue à agir en toute impunité.

Vous représentez également les employés du Shelter L’Oiseau du Paradis, où un enfant est tombé gravement malade. Quelle en est la situation aujourd’hui ?

Dans cette affaire, jusqu’ici, l’enquête était surtout tournée vers la fuite de l’information. On voulait surtout savoir comment une photo de l’Occurrence Book s’était retrouvée sur la page Facebook de Bruneau Laurette. La police a fait une descente, qui a traumatisé les enfants, dans le but de chercher cette information. On a emmené une employée au poste de police de Grand-Baie et ses droits n’ont pas été respectés. Elle n’a même pas été autorisée à téléphoner à son époux pour dire où elle était.

Entre-temps, le manager lui, a pu se retirer tranquillement, pour des raisons personnelles, dit-on. La question que je pose c’est où en est le Fact Finding Committee annoncé par la ministre Kalpana Koonjoo-Shah ? J’ai écrit au Permanent Secretary de son ministère, qui devait présider ce comité, et j’ai demandé à déposer, mais à ce jour je n’ai eu aucune réponse.

Entre-temps, je vois que le National Children’s Council, qui opère sous le ministère des Genres, a lancé un appel d’offres pour la gestion des Shelters par des Ong. Ce qui relève de la privatisation, selon moi. Aujourd’hui, les employés des Shelters sont couverts par le PRB. Qu’en sera-t-il quand les Ong prendront la relève ? Tout cela est fait dans le dos du syndicat, en dépit du fait que nous ayons une reconnaissance. Si un corps parapublic commence par nier les droits des travailleurs et négocier dans le dos d’un syndicat reconnu, c’est un très mauvais signal qu’on envoie. C’est l’anarchie.

Propos recueillis par Géraldine Legrand

 

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