Reza Uteem  : « Je n’ai aucune raison de quitter le MMM »

Notre invité de cette semaine est le Deputy Leader du MMM, Me Reza Uteem. Nous lui avons demandé ses commentaires sur l’actualité politique, la situation de l’opposition et sa réaction sur les rumeurs selon lesquelles des députés MMM, dont il ferait partie, seraient en train de négocier un “transfert” au MSM.

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Depuis quelques jours, une grosse rumeur circule dans les milieux politiques selon laquelle des parlementaires du MMM seraient en train de négocier leur passage au MSM. Faites-vous partie de ces négociateurs ?
— Depuis les élections de 2019, il y a eu des émissaires du gouvernement qui ont essayé de débaucher des parlementaires de tous les partis de l’opposition. L’année dernière, pendant une période, il y a eu des démissions en série de membres d’instances du MMM allant rejoindre le MSM les jeudis, avec passage dans le JT de la MBC pendant le week-end. Après, on a vu le même phénomène avec des membres du PTr, ce qui a culminé avec la démission d’un ex-lord maire et Constituency Clerk de la circonscription No 2.
On a dit que le MSM avait essayé de débaucher le député travailliste Osman Mahomed, mais n’avait pas réussi…
— C’est vous qui le dites. À moi Osman Mahomed m’a dit que son temps de réflexion avait été provoqué par des rapports avec son colistier travailliste et que la question a été réglée par le leader de son parti.
Donc, il n’y a pas de cinquième colonne en train d’organiser un départ des parlementaires du MMM, il n’y a pas de sinistrose au sein de la direction mauve. Tout va très bien au MMM…
— Cela dit, soyons clairs : il y a et il y a toujours eu des tendances au sein du MMM : cela fait partie de la culture de notre parti. Aujourd’hui, il existe trois tendances : celle qui souhaite que le MMM contracte une alliance avec les partis d’opposition, celle qui souhaite une réunification de la grande famille militante, donc avec le MSM, et une troisième, pure et dure, qui ne veut pas d’alliance électorale ni avec Navin ni avec Pravind.
Dans laquelle de ces trois tendances est-ce que vous retrouvez, Reza Uteem ?
— Je suis le Deputy Leader et membre du Bureau politique, et je suis la ligne officielle du parti qui souhaite une alliance avec l’Entente de l’Espoir, c’est-à-dire le PMSD, le RM et le PTr. Je respecte les droits des tendances à exprimer leur opinion, mais une fois que la direction du parti a décidé d’une ligne politique, je la suis, comme ça a toujours été le cas, notamment aux élections de 2019, où des tendances souhaitaient conclure des alliances préélectorales.
J’insiste : la rumeur dit que les négociations des parlementaires MMM pour rejoindre le MSM sont allées très loin et qu’on vous aurait même proposé le poste de Deputy Prime Minister pour vous allécher…
— Avant, et juste après les dernières élections, il y a eu des émissaires qui m’ont proposé de rejoindre le MSM avec le poste de Deputy Prime Minister dans la balance. J’ai refusé à ce moment-là et je ne vois pas pourquoi je changerais d’avis aujourd’hui. À aucun moment je n’ai eu l’intention de quitter le MMM pour rejoindre le gouvernement. Si jamais il y a alliance avec quelque parti que ce soit, il faudrait que ce soit une décision collégiale de la direction du MMM. Si cela se produit, Il y aura des débats auxquels je participerai pour donner mon point de vue. Je vous le repète : je n’ai aucune raison de quitter le MMM. D’ailleurs, la question d’un changement d’attitude du MMM par rapport au gouvernement MSM n’a jamais été d’actualité.
Comment expliquez-vous l’existence de cette forte rumeur de défection de parlementaires du MMM ces derniers jours ?
— C’est une campagne de proches du pouvoir pour essayer de faire diversion. Il ne faut pas oublier que le gouvernement s’est retrouvé acculé avec la non-publication de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen. C’est peut-être aussi une tentative du gouvernement de tenter de casser l’élan de l’opposition pour la rentrée parlementaire.
Comment votre père a-t-il réagi aux rumeurs politiques qui circulent à votre compte, ces articles dans la presse, ce que vous n’avez pas démenti d’ailleurs ?
— Il faudrait aller poser la question à mon père. Il est au courant des propositions qui m’ont été faites en 2019. Un des conseils qu’il m’a donnés quand je suis entré en politique, et que j’ai suivi, était d’éviter de polémiquer avec les journalistes. Quand je ne suis pas satisfait que mes propos ont été bien rapportés et que l’article est signé, je le fais savoir au journaliste concerné et il rectifie. Mais dans le cas qui nous occupe, comment réagir, comment démentir une rumeur surtout quand les textes ne sont pas signés.
Changeons de sujet. Pensez-vous qu’il faut publier le rapport de l’enquête judiciaire sur l’affaire Kistnen que vous venez de mentionner ?
— C’est un faux débat, parce que les déclarations et témoignages faits pendant les audiences ont été rapportés mot à mot par la presse. Ce que la magistrate a écrit dans son rapport est basé sur ces faits qui sont de notoriété publique. Il ressort de ces faits que M. Kistnen avait des renseignements compromettants par rapport aux dépenses électorales du MSM dans la circonscription N°8 et l’octroi de contrats sur des directives ministérielles. Ces questions ont été évoquées au Public Accounts Commitee, que je préside. Jusqu’à l’heure, aucune enquête n’a été ouverte dans cette direction et l’ICAC a démontré qu’elle est plus là pour faire du cover-up qu’autre chose.
Que pensez-vous du DPP qui a gardé le rapport pendant presque une année dans ses tiroirs ? Sans le lanceur d’alerte qui l’a rendu public, on n’aurait pas parlé du rapport…
— Le DPP a fait son travail. C’est lui qui a initié l’enquête judiciaire et son bureau a contribué à faire la lumière sur l’affaire lors des audiences, avec l’apport des avocats des Avengers allant parfois jusqu’à se comporter comme des détectives. Le DPP a reçu le rapport du magistrat et a informé le commissaire de police pour lui demander d’orienter son enquête dans l’affaire Kistnen dans une directive précise. Si malgré les directives du DPP, la police a décidé de mener l’enquête autrement, on ne peut pas blâmer le DPP. Si j’étais le DPP, j’aurais rendu le rapport public pour mettre fin aux spéculations qui l’entourent. Il faut aussi souligner les tentatives du gouvernement pour faire douter de l’authenticité du rapport et surtout le fait que le ministre de la Justice, par ailleurs secrétaire général du MSM, a déclaré qu’il allait demander à la cheffe juge de prendre des sanctions contre la personne qu’il soupçonne avoir été à l’origine du leakage en donnant suffisamment d’indications pour qu’on l’identifie ! Comment est-ce que le ministre de la Justice peut tenir des propos qui relèvent d’un secrétaire de parti politique contre le judiciaire, qui bénéficie d’une protection constitutionnelle ? Dans n’importe quel pays démocratique, ce ministre aurait été révoqué sur-le-champ !
Qui devrait être le successeur de Satyajit Boolell au poste de DPP, selon vous ?
— Il n’y a qu’une seule réponse possible à votre question : Rashid Amine, qui est l’adjoint du DPP. Non seulement il fait l’unanimité par sa compétence et son expérience, mais il a démontré sa neutralité dans tous les dossiers qu’il a traités. I N’oublions pas qu’il a été prosécuteur aussi bien dans l’affaire MedPoint contre Pravind Jugnauth que dans l’affaire des coffres-forts contre Navin Ramgoolam.
Autre sujet d’actualité. Pourquoi les partis d’opposition n’arrivent-ils pas à créer un front commun pour faire face au gouvernement ? Ne se rendent-ils pas compte que chaque division, chaque contradiction jouent en faveur du gouvernement, à tel point que des observateurs politiques pensent que le MSM va remporter les prochaines élections grâce aux divisions de l’opposition ?
— Chaque parti politique aurait préféré aller seul aux élections en présentant son leader comme PM et avec une liste de 62 candidats. Une alliance politique veut dire des compromis sur le nombre de candidats et des positions de responsabilité. Vient ensuite la nécessité de tomber d’accord sur un programme commun, qui sera mis en action par des personnes crédibles. Les tendances quant à une alliance qui existent au MMM, existent aussi dans les autres partis politiques. Il ne faut pas croire qu’au PTr tout le monde est d’accord pour une alliance avec l’Entente.
On a même eu des députés rouges qui ont déclaré que le PTr est tellement fort qu’il peut aller seul aux élections et les remporter ! Une alliance entre deux partis est compliquée à faire, imaginez maintenant une alliance entre plusieurs partis ! C’est une question beaucoup plus complexe parce que chaque parti politique doit faire face à ses réalités et ses tendances internes. Malgré les difficultés, malgré le fait que le MSM va tout faire pour tenter de l’empêcher, je suis convaincu que nos allons finir par déboucher sur une alliance des partis de l’opposition.
Vous pensez que ce sera fait avant les prochaines élections générales ?
— Je pense que c’est à cause de l’absence d’une échéance électorale que cette alliance n’a pas été concrétisée. En l’absence d’une échéance, il n’y a aucune urgence, on laisse un peu traîner les choses, mais dès que la date des élections sera annoncée, je suis sûr que tous les leaders vont faire le nécessaire pour conclure une alliance.
La désignation du candidat au poste de Premier ministre de l’éventuelle alliance de l’opposition, revendiquée par Navin Ramgoolam, pose-t-elle toujours problème ?
— Le PTr a un droit légitime de vouloir présenter son leader comme candidat à ce poste. Mais en écoutant les déclarations de diverses personnalités travaillistes, et non des moindres, je note qu’on parle maintenant de Navin Ramgoolam comme un Premier ministre de transition. Ce qui veut dire partage de responsabilités, et c’est un pas en avant. Je suis sûr qu’en temps et lieu, Navin Ramgoolam viendra lui-même définir cette formule.
Mais pourquoi cette question n’a-t-elle pas encore été réglée dans les discussions entre “partenaires” ?
— Je vais vous référer à une déclaration de Paul Bérenger sur ce sujet : « Nothing is agreed until everything is agreed. » Mais je peux vous dire que nous sommes déjà tombés d’accord sur des points essentiels du programme électoral pour un véritable changement avec le passé. Il reste la question du leadership, de la répartition des responsabilités et des tickets, mais rassurez-vous: ce sera fait avant les prochaines élections.
Justement, sur cette question, vous aviez déclaré qu’il y a beaucoup de politiciens qui, comme Nando Bodha, aspirent à devenir PM…
— Je le répète : au sein des partis de l’opposition, il y a des gens qui ont l’ambition de devenir Premier ministre. Certains l’ont déclaré, d’autres non, mais c’est une ambition légitime.
C’est également votre ambition ?
— Ce n’est pas le cas pour moi, ce n’est pas le cas pour Paul Bérenger qui l’a déjà annoncé. Je ne suis pas candidat parce que je ne suis pas intéressé. Je n’ai même pas été ministre en dix ans malgré le fait que j’ai été élu trois fois de suite dans la même circonscription.
C’est dit avec regret ?
— Oui. Parce que je pense que j’aurais pu mieux contribuer au développement du pays avec mes connaissances et mon expérience dans le secteur financier. C’est avec regret que je constate que ça n’a pas été le cas, mais je remercie mes mandants qui m’ont fait confiance trois fois de suite.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’un nombre grandissant de Mauriciens — près d’un tiers de l’électorat — dit ne pas avoir, ne plus avoir, confiance dans les partis politiques. Ces négociations interminables au sein de l’opposition ne risquent-elles pas d’augmenter le nombre de déçus ?
— Est-ce que le grand nombre de petits partis aide à la confusion ? Sans doute. Est-ce que la fragmentation des partis d’opposition va en ce sens ? Probablement. Mais c’est quelque part le prix à payer pour la démocratie. Cela dit, je suis inquiet que des Mauriciens disent ne pas avoir confiance dans les partis politiques et se disent dégoûtés de la politique. Mais je suis plus inquiet encore par les opérations aste-vande, par la facilité avec laquelle des politiciens vendent leur conscience et changent de partis politiques comme ils changent de chaussettes. Si certains politiciens donnent le mauvais exemple, comment voulez-vous que le Mauricien ait confiance en eux ?
Revenons à la désunion de l’opposition dans son ensemble : pourquoi est-ce que l’Entente, dont fait partie le MMM, a boudé la manifestation organisée samedi dernier à Port-Louis par Bruneau Laurette ?
— La position de l’Entente est claire et je la réitère ici : nous ne voulons avoir rien à faire avec M. Bruneau Laurette. Parce qu’il a dit à plusieurs reprises que son but est de récupérer les électorats du MMM et du PMSD. Par ailleurs, il a tenu des propos blessants vis-à-vis du MMM et même personnels vis-à-vis des dirigeants du PMSD. Il se pose comme notre adversaire politique déclaré au même titre que le MSM et je vois pas pourquoi le MMM irait soutenir une de ses activités.
Quelle est votre réaction à l’arrestation de Bruneau Laurette par la police en fin de semaine ?
— Je suis surpris d’apprendre qu’il a été arrêté dans un contexte de trafic de drogue. Je ne dispose pas d’éléments pour élaborer sur ce sujet. Tout ce que je peux dire à ce stade, c’est qu’il faut laisser l’enquête suivre son cours.
Arrivons-en maintenant à la rentrée parlementaire. Comment trouvez-vous le fait que cela fera trois fois mardi prochain que les séances parlementaires ne comporteront pas de questions aux ministres à cause des congés publics?
— Il faut amender d’urgence les standing orders qui imposent que le Question Time n’a lieu que le mardi. Il faut qu’on puisse poser des questions à chaque séance du Parlement et, éventuellement, augmenter le temps de ce Question Time. À l’heure actuelle, le Premier ministre ne répond qu’à une seule question par séance, alors que des centaines de questions posées aux ministres ne sont pas tirées au sort et que souvent les ministres ne déposent pas de réponses écrites à ces questions. Il faut donner aux parlementaires les moyens de faire leur travail en questionnant l’exécutif.
Restons au Parlement où une motion du Premier ministre a été votée par la majorité pour suspendre Rajesh Bhagwan pour plusieurs séances suite à une plainte du Speaker. Votre commentaire ?
— Je déplore l’attitude que le gouvernement a adoptée vis-à-vis de l’opposition parlementaire depuis 2019 avec le nouveau Speaker. Il faut bien comprendre une chose : le Speaker ne peut expulser un député que pour une séance et informer la chambre de la conduite, qu’il considère comme inappropriée, d’un membre. La décision de sanctionner revient au Premier ministre et en son absence, à son Deputy. Ce sont eux qui décident, à travers une motion automatiquement votée, de la durée de la suspension. À un moment donné, ils avaient suspendu les députés Bérenger, Bhagwan et Boolell pour l’ensemble d’une session. Cette affaire a fait l’objet d’un procès et le Premier ministre est revenu sur sa décision la veille de la mention du procès en cour. Il est dommage que la Cour suprême, avec le chef juge d’alors, n’ait pas eu l’occasion de se prononcer sur les suspensions de parlementaires décidées par le Premier ministre et leur proportionnalité. Parce que, selon la loi, toute sanction doit être proportionnée à la faute commise. C’est vrai que nous avons un Speaker… difficile et qu’il n’est pas facile pour les députés de l’opposition de ne pas régir face aux provocations et aux injustices, mais la responsabilité des suspensions et de leur durée relève du Premier ministre soutenu par son gouvernement.
Au Parlement toujours, le Premier ministre a annoncé que la Grande-Bretagne et Maurice vont entamer des négociations sur le dossier Diego Garcia. C’est une grande victoire pour la diplomatie mauricienne du gouvernement MSM…
— Attendons voir. C’est une bonne chose que la Grande-Bretagne ait décidé de négocier avec Maurice pour un accord éventuel en début d’année prochaine. Il faut espérer qu’avec le dernier changement de Premier ministre en Grande-Bretagne, le gouvernement conservateur a modifié la position qu’il avait adoptée sur ce dossier depuis des années et qu’il va appliquer les résolutions des Nation unies sur les Chagos. Mais attendons voir le dénouement des discussions, en soulignant que l’objectif de Maurice devrait être que l’océan Indien soit une zone non militarisée.
J’aimerais, pour terminer cette interview, connaître votre réaction sur la révolte des Iraniennes qui refusent de porter le voile, ce qui a déclenché un immense mouvement de protestation — et de répression — qui a lieu en Iran depuis plus de deux mois…
— Loin de moi l’idée de m’ingérer dans la politique interne de n’importe quel pays. Chaque pays a ses particularités et ses réalités propres à lui et il est libre d’appliquer ses lois. Mais ce qui est en train de se passer en Iran est autre chose. J’aimerais signaler que l’aile féminine du MMM, avec l’appui de sa direction, a pris une position ferme contre la façon de faire des autorités iraniennes après le décès, dans des conditions troublantes, de cette Iranienne qui était accusée de ne pas porter correctement son voile. Nous au MMM condamnons la répression qui a suivi les manifestations de protestation et sommes solidaires de tous les peuples opprimés, y compris celui de l’Iran.

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