Kavydass Ramano, ministre de l’Environnement : « Changement climatique : un enjeu de taille pour l’humanité »

La Conférence des Nations Unies sur le changement climatique se déroule du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte. La COP 27 est considérée comme une occasion en or pour que toutes les parties prenantes se montrent à la hauteur et relèvent le défi mondial du changement climatique.

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Le-Mauricien a rencontré le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Kavydass Ramano, qui dirigera la délégation mauricienne à cette conférence. « Nous espérons que les enjeux les plus pertinents pour l’Afrique et les pays en voie de développement seront au cœur des débats, car les pires impacts du changement climatique sont ressentis par ces régions », affirme-t-il, tout en soulignant que le sort de l’humanité et de la jeune génération est un jeu. Pour les petits pays insulaires en développement comme Maurice, c’est une question de survie, insiste-t-il. Et de souhaiter surtout que la COP 27 soit une conférence d’implémentation, et non une conférence d’intentions.

Vous avez déjà participé à plusieurs Conférences des Parties (COP) sur le climat. Pouvez-vous nous situer l’importance de celle de Charm el-Cheikh, qui débutera demain en Égypte ?
J’ai personnellement participé à la COP depuis 2019, c’est-à-dire depuis la COP 25. Donc, la COP de Charm el-Cheikh sera ma 3e Conférence des Parties. Elle a pour particularité d’être une COP africaine, après celle de 2016. Ainsi, nous espérons que des enjeux plus pertinents pour l’Afrique et les pays en voie de développement seront au cœur des débats, car les pires impacts du changement climatique sont ressentis dans ces régions.
Je pense à des sujets tel que l’adaptation au changement climatique, le financement climat, les besoins en termes développement des capacités et le transfert des technologies. Nous sommes dans une phase cruciale des négociations climat et il est impératif de mettre en œuvre l’Accord de Paris et de concrétiser l’objectif de maintenir la hausse de la température globale en dessous de la barre de 1,5 degré Celsius et également à assurer une transition juste pour renforcer notre résilience.

Le temps n’est plus aux déclarations d’intentions, mais à l’implémentation. Ainsi, j’aimerais voir la mise en place d’un nouveau fonds pour payer des choses telles que la relocalisation des villages ou simplement compenser la croissance économique perdue en raison des inondations, des tempêtes et des vagues de chaleur.

Comment Maurice s’y est-elle préparée ?
Nous sommes très conscients de l’urgence de la situation. Le sort de l’humanité et l’avenir de la jeune génération sont en jeu. En tant que petit Etat insulaire en développement (PEID), nous sommes en première ligne des impacts du dérèglement climatique. Notre survie en dépend. C’est pour cela que Maurice et tous les PEID veulent être au cœur des discussions. Nous espérons que les choses avancent rapidement avec des actions concrètes.

Nous avons eu l’opportunité d’avoir toute une série de consultations avec plusieurs partenaires et secteurs pour venir avec une position nationale pour cette COP. Nous avons eu des discussions avec les partenaires concernant les secteurs de l’atténuation, de l’adaptation, du financement climat, et la question de l’égalité des genres.

Nous avons également parlé des éléments concernant l’accès au financement à travers un mécanisme moins lourd et plus transparent, et finalement, nous avons besoin d’un soutien plus accru de la part de nos partenaires de développement pour la formation, le transfert de technologies et l’investissement pour la mise en place des infrastructures.
Lors du conseil interministériel pour le changement climatique, nous avons déjà informé les ministères concernés des points qui ont été soulevés, et nous allons obtenir l’aval du Cabinet des ministres sur ces positions bientôt. J’aurais l’opportunité de partager ces positions lors de mes interventions durant le segment de haut niveau et durant mes échanges avec les partenaires et agences concernés durant cet événement.

Quels sont les progrès que nous avons accomplis depuis la COP 21, à Paris, notamment par rapport à la contribution déterminée au niveau national ?
Au fait, l’Accord de Paris découle de la COP 21 et a eu lieu en 2015. Elle a été un tournant dans les processus des négociations sur le climat. Effectivement, la contribution déterminée au niveau national, plus connue comme CDN, est un outil primordial pour permettre à toutes les parties de s’engager à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Notre CDN a été revue en 2021. Nous avons maintenant des objectifs plus ambitieux, qui visent à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030, et surtout à éliminer progressivement le charbon dans la production d’électricité dans le même délai. Nous allons également augmenter la proportion des énergies vertes à hauteur de 60% dans notre mixte énergétique d’ici 2030.

Cependant, le coût de ces engagements s’élève à USD 6,5 milliards. Nous avons pris l’engagement de mobiliser 35% de ce chiffre localement à travers des investissements des secteurs public et privé. Nous sommes en train de finaliser maintenant le plan d’action de notre CDN.

Maurice est déterminée à contribuer à l’effort mondial de lutte contre le changement climatique, malgré son taux d’émission relativement faible à l’échelle mondiale. Je tiens à vous rappeler que notre CDN, en 2015, était conditionnelle à l’appui financier de la communauté internationale. Les pays développés avaient promis de soutenir les pays en voie de développement pour implémenter les mesures identifiées dans leur CDN. Ils avaient pris l’engagement d’accorder un montant de USD 100 milliards annuellement. Ces promesses n’ont pas été tenues jusqu’ici. Les pays parties de la Convention ont jusqu’à l’horizon 2030 pour implémenter leur CDN.

Quelle est la situation réelle à Maurice en ce qui concerne les effets du réchauffement climatique ?
Maurice est en première ligne des impacts du changement climatique. À titre d’exemple, la température a augmenté en moyenne de 1,39 °C, soit bien au-delà de la moyenne mondiale de 1,1 °C. D’autre part, le niveau de mer augmente de l’ordre de 5,6 mm par an, alors que la moyenne mondiale n’est que de 3,4 mm. Nous continuons à faire face à des événements climatiques extrêmes, tels que des inondations et des cyclones de plus en plus intenses.

Par ailleurs, nos plages ont rétréci jusqu’à 20 mètres dans certaines régions de notre île durant les dernières décennies. Le futur est encore plus sombre, avec des prévisions concernant la réduction de nos ressources en eau, de l’ordre de 13% d’ici 2050, et un déclin dans notre production agricole de près de 30% pour la même période.

Le Parlement mauricien a adopté une Climate Change Act en 2020. Pouvez-vous nous parler de sa mise en œuvre ?

La Climate Change Act a été effectivement adoptée en 2020 par le Parlement. Elle vise à consolider la coordination de la gestion des impacts du changement climatique dans tous les secteurs concernés et soutenir le Mainstreaming. Une des mesures phare est l’opérationnalisation d’un département dédié au changement climatique.

Nous avons déjà une équipe en place pour faire la transition. Nous avons aussi déjà commencé la coordination avec tous les secteurs à travers le Climate Change Committee, qui est présidé par le chef de Cabinet. Nous avons jusqu’ici organisé 11 réunions. À Rodrigues également, l’Assemblée régionale a déjà organisé trois réunions de son comité technique. Nous avons également eu deux réunions du Conseil interministériel, qui est présidé par le Premier ministre. La dernière a eu lieu le 26 octobre. La question de la COP 27 était d’ailleurs un des sujets à l’ordre du jour.

Cette loi-cadre fait provision pour le développement des stratégies et politiques pour la mitigation, l’atténuation, la transparence et le reporting. Conséquemment, nous avons un National Climate Change Adaptation Policy Framework et une National Mitigation Strategy, qui est en phase de finalisation, pour nous aider à mettre en œuvre cette loi-cadre. Nous travaillons également sur les autres aspects.

Est-ce qu’un plan national a été soumis aux Nations Unies concernant Maurice en marge de la COP 27 ?
La COP ne nécessite pas que les pays parties soumettent un plan chaque année. La COP est en fait un temps où tous les pays membre de la Convention se réunissent une fois l’an afin de discuter et de décider de la marche à suivre pour gérer le phénomène du changement climatique. Cependant, la Convention demande aux parties de soumettre un CDN chaque cinq ans afin de revoir à la hausse leurs ambitions et engagements.

Comme je vous l’ai expliqué, nous avons revu et soumis notre CDN en 2021. Nous espérons que les pays développés mobiliseront le financement nécessaire afin de permettre aux pays en voie de développement d’implémenter leur CDN.

Quels sont les points forts de ce plan d’action ?
Notre CDN a été revu en 2021. Nous avons maintenant des objectifs plus ambitieux, qui visent à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030, et surtout à éliminer progressivement le charbon dans la production d’électricité dans le même délai. Nous allons également augmenter la proportion des énergies vertes à 60% dans notre mixte énergétique d’ici 2030.

Nous avons également abordé l’adaptation pour rendre le pays plus résilient aux impacts du changement climatique. S’agissant du volet adaptation, il vise à atteindre à l’horizon 2030 une réduction de notre vulnérabilité et à accroître la résilience des secteurs identifiés, qui sont les ressources en eau, une agriculture raisonnée, un élevage qui respecte l’environnement, l’aquaculture, la biodiversité, l’utilisation des terres, la santé ainsi que les zones côtières. Le CDN aborde également la gestion durable des déchets et vise à réduire par 70% les déchets qui sont actuellement enfouis à Mare-Chicose.

Quels sont les principaux défis auxquels Maurice est confrontée concernant le changement climatique ?
Maurice, en tant que PEID, est parmi les pays les plus vulnérables de la planète. Le World Risk Report 2022 nous a classés au rang de 107e pays les plus à risques aux aléas naturels. Nous sommes dans une zone de l’océan Indien où les formations cycloniques sont très communes. Nos paramètres climatiques, en termes de température, de pluviométrie et d’élévation du niveau de la mer, sont supérieurs à la moyenne mondiale.

Nous avons d’ailleurs noté une diminution de la pluviométrie de 8% durant les 50 dernières années et une érosion accélérée de nos plages de l’ordre de 5,6 mm par an. Des secteurs comme l’agriculture, la pêche, le tourisme, les infrastructures et même la santé publique sont tous à risques. Notre production agricole sera réduite de 30% d’ici 2050, selon nos estimations. Plus de 50% de notre récif corallien sont atteints par le blanchiment.
Nous avons aussi observé le rétrécissement de nos plages, jusqu’à 20 mètres dans certaines régions. Les infrastructures publiques et privées sont impactées durant les inondations, et nous avons eu des épidémies de maladie vectorielle, comme le Chikungunya et la Dengue, qui sont reliées à des pics de température et une pluviométrie incertaines.

Où en sommes-nous avec la production des énergies nouvelle et renouvelables ? Quid de la gestion des déchets et de la production d’énergie ?

Nous avons été très courageux de prendre des engagements forts afin de démontrer notre détermination à contribuer à l’effort global pour combattre le changement climatique, malgré nos moyens limités. Nous avons désormais l’objectif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030. Nous allons éliminer le charbon dans notre production d’électricité d’ici 2030. Dans ce sens, les accords d’achat d’électricité avec des producteurs indépendants, utilisant uniquement du charbon, ne seront pas renouvelés.

Nous allons en même temps augmenter la proportion des énergies vertes, jusqu’à 60%, dans notre mixte énergétique d’ici 2030. Nous avons été très proactifs avec la création de la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA) et l’introduction de la MARENA Act en 2015 pour promouvoir les énergies renouvelables. Le ministère de l’Énergie a déjà élaboré une feuille de route pour les énergies renouvelables, qui est en cours de mise en œuvre. La feuille de route vise à permettre une production optimale d’énergie à partir de ressources renouvelables et à assurer une transition vers des sources d’énergies plus vertes. Nous sommes actuellement à un taux de 21,5% d’énergies renouvelables dans notre mixte de production électrique.

À travers une enveloppe d’aide de près de USD 28,2 millions obtenus du Fonds Vert pour le Climat, nous appuyons la transition énergétique vers une économie à faible émission carbone et la promotion des énergies renouvelables. Mais pour atteindre le 60% d’énergies renouvelables, il est essentiel d’augmenter l’efficacité énergétique, et donc de réduire l’utilisation d’énergie du côté de la demande. Nous comptons ainsi augmenter l’efficacité énergétique de 10% d’ici 2030, comme mentionné dans le CDN révisé.

En outre, un cadre national de la biomasse est piloté par le ministère de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire pour tracer la voie pour les différentes sources de biomasse dans le pays en vue d’augmenter la production de bioélectricité en promouvant et en mettant en œuvre des projets pour une utilisation plus efficace de la canne à sucre. La bagasse et la collecte d’ordures, l’introduction de variétés de canne à fibres plus élevées, la plantation et l’importation d’autres biomasses sont aussi d’actualité.

Afin de s’appuyer davantage sur l’orientation stratégique de la CDN, le gouvernement mauricien élabore une vision à long terme nationale (2050) pour décarboniser les secteurs de l’énergie et des transports afin d’atteindre la neutralité carbone 2050. Une feuille de route sur les déchets solides pour détourner 70% de ces déchets du site d’enfouissement et un plan hydro fluorocarbone (HFC) sont en cours d’élaboration, conformément à la CDN pour avoir une perspective à plus long terme.

Dans notre stratégie et plan d’action national d’atténuation, nous projetons de composter 31% des déchets solides municipaux en 2030; recycler 22% des déchets solides municipaux d’ici 2030; 20% des déchets solides municipaux récupérés pour la valorisation énergétique des déchets, réduire les HFC de 10% de la valeur de référence (2024) d’ici 2029; interdire d’importer des réfrigérateurs utilisant des HFC en 2024, et tous les équipements RAC fonctionnant aux HFC d’ici 2029; et récupérer et éliminer en toute sécurité des HFC dans les stocks d’équipements RAC retirés.

Une série d’autres projets en lien avec l’économie circulaire est en cours. Ils comprennent, entre autres, le recyclage des pneus usagés, une étude de faisabilité sur la méthanisation des déchets organiques, un système de responsabilité élargie des producteurs pour la gestion des déchets électriques et électroniques, la mise en place d’une casse pour les véhicules hors d’usage, l’élaboration d’un projet de loi sur la gestion des déchets et une réglementation sur le tri à la source des déchets en vue de concrétiser l’économie circulaire des déchets. Nous allons lancer un appel d’offres pour la mise en place des centres de tri et de compost pour stimuler l’économie circulaire.

Vous dites que Maurice a besoin de USD 6,5 milliards pour la mise en œuvre de son plan d’action… Comment comptez-vous le financer ?
Le financement climat est primordial pour la gestion du changement climatique. Malgré nos moyens limités, en tant que PEID, nous avons pris l’engagement de mobiliser près de 45 millions d’euros chaque année de notre budget national pour soutenir l’action climatique. En sus de cela, nous avons pris l’engagement d’implémenter 35% de notre contribution déterminée au niveau national, estimé à USD 6,5 milliards, à travers des investissements publics et privés.

Nous sommes également en train de mobiliser nos ressources diplomatiques pour obtenir du soutien de la communauté internationale à travers les coopérations bilatérales. Nous travaillons aussi d’arrache-pied pour accéder à des financements climat à travers des mécanismes multilatéraux du Fonds Vert pour le Climat, entre autres. Une approche intégrée est ainsi utilisée pour manœuvrer dans ce secteur.

Comment ces centres de tri et de composts seront-ils alimentйs ?
En amont de l’exploitation de ces installations, le tri des déchets à la source commencera par la mise en place de trois poubelles de couleur différente dans chaque foyer. Une poubelle verte pour l’entreposage des déchets alimentaires et des déchets de jardin, une poubelle bleue pour le stockage des déchets recyclables (papier, plastiques et métaux) et une poubelle marron pour le stockage des déchets résiduels. Les déchets de chaque poubelle seront ensuite collectés séparément et canalisés de manière appropriée.

Les déchets alimentaires et de jardin (poubelle verte) seront envoyés à l’usine de compostage pour la production de compost, tandis que les déchets recyclables (poubelle bleue) seront canalisés vers l’unité de tri pour une séparation étendue en composants individuels, tels que le papier, les plastiques et les métaux, avant la vente aux recycleurs. Quant aux déchets résiduels (poubelle de couleur marron), ils seront dirigés vers la décharge de Mare-Chicose. En marge de la distribution des trois poubelles par foyer, une campagne de sensibilisation sera menée afin d’éduquer les citoyens sur la manière de trier leurs déchets correctement. Le succès de l’opération de la mise en place et l’exploitation des installations de traitement des déchets intégrées dépendra donc fortement de la collaboration de tout un chacun.

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