Gérard Sullivan : « Le mariage est une école pour apprendre à aimer »

À l’initiative du cardinal Maurice E. Piat, le père Patrick Langue, auteur du livre « Divorcés en nouvelle union, vers un chemin d’intégration en église », animera cette semaine quatre conférences publiques sur la pastorale des divorcés remariés selon l’esprit de l’encyclique du pape François, Amoris Laititia (La joie de l’amour). Le conférencier a mis en place dans le diocèse de Versailles, en France, une formation destinée aux laïcs, prêtres religieux et religieuses dans le but « d’accueillir mieux les divorcés remariés et intégrer davantage les frères et sœur remariés dans l’Église ». Le-Mauricien a rencontré cette semaine le père Gérard Sullivan, délégué épiscopal pour le service diocésain de la pastorale familiale, qui évoque les efforts qui ont été consentis à Maurice depuis 2018 pour les divorcés remariés. Il souligne l’importance de la préparation au mariage qui, insiste-t-il, est un chantier pour la vie. « Le mariage est une école pour apprendre à aimer », affirme-t-il.
Le père Patrick Langue s’apprête à donner une série de conférences sur le thème « Divorcés en nouvelle union, vers un chemin d’intégration en église ». Pouvez-vous nous en parler ?
Il se trouve que le livre du père Patrick Langue, intitulé Divorcés-remariés : de l’exclusion à l’intégration, est tombé entre les mains du cardinal Piat. Il a été emballé. Il en a parlé autour de lui. Je l’ai moi-même acheté. Je l’ai lu et l’ai prêté à d’autres.
À partir de là, nous avons fait des démarches pour entrer en contact avec l’auteur du livre et pour l’inviter à Maurice en vue de partager son expérience. Il a accepté l’invitation du cardinal Piat. Il animera quatre conférences publiques, à savoir le 25  à l’église Sainte Hélène (Curepipe) de 18h30 à 20h30, le 28  en l’église Saint-Patrick (Rose-Hill) de 18h30 à 20h30, le 1er novembre à l’église Saint-Augustin (Rivière-Noire) de 18h30 à 20h30 et le 3 novembre dans la salle paroissiale de Saint-François D’Assise, de 18h30 à 20h30.

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De quoi parle le livre de Patrick Langue ? Quelle en est sa pertinence?
Comme souligné dans la présentation du livre, l’accès à la communion pour les couples divorcés remariés reste une pierre d’achoppement pour beaucoup de chrétiens. S’appuyant sur Amoris laetitia, l’auteur propose un chemin pour la réintégration des couples divorcés remariés, qui ont pu se sentir exclus de l’Église.
Cette voie nouvelle comporte deux dimensions. La première doit permettre à chacun de trouver la meilleure place possible, la plus adaptée à ce qu’il est dans le service de la vie de l’Église. La seconde concerne la participation à la vie liturgique et aux sacrements que le pape François envisage, non comme une règle générale, mais comme le fruit d’un discernement de personnes dont l’histoire est unique.
Il faut savoir que Patrick Langue, jésuite, est au service du diocèse de Versailles comme enseignant de la Bible, formateur et accompagnateur, et au séminaire comme accompagnateur. Il est aussi conseiller spirituel auprès de la Fédération des associations d’anciens élèves des établissements jésuites.
Le père Langue est aussi très impliqué dans le grand collège des Jésuites, à Versailles, le lycée Sainte Geneviève, qui forme les élèves pour les grandes écoles. Ce livre est le fruit de sa propre expérience, et c’est très intéressant. Toute la première partie de la lettre consiste à réfléchir sur le fait que tout part de l’encyclique du pape, Amoris Laetitia. La seconde concerne son expérience personnelle des couples qu’il a rencontrés.

Quelle est l’essence de cette encyclique du pape Franзois ?
Elle propose une nouvelle attitude, une nouvelle pastorale des divorcés impliqués dans une nouvelle union. Les divorcés remariés étaient pratiquement excommuniés. Ils ne pouvaient plus communier et n’avaient plus droit aux sacrements. Or, il y a de plus en plus de situations de ce genre dans le monde, et à Maurice.
À un moment, le pape disait que parfois, dans ces nouvelles situations, il semblerait qu’il y ait une dimension spirituelle beaucoup plus forte que dans la première. Il arrive que dans le premier engagement, les gens foncent tête baissée dans la préparation au mariage, qui est en général assez rapide. Au bout de quelque temps, ils se rendent compte que ce n’est pas ce qu’ils croyaient.
Pour beaucoup de gens sortis du baptême et des premiers sacrements, comme la confirmation et la première communion, ils sont complètement coupés de l’Église. À 25 ans, ils reviennent, et on leur dit qu’il faut une préparation et que vous êtes le reflet, le signe de la présence de l’amour vivant de Dieu dans l’Église. Or, on leur a donné une formation rapide. Personnellement, lorsque je suis allé voir l’évêque pour m’engager à vie dans le sacerdoce, on m’a envoyé sept ans en Europe pour avoir une formation. Aujourd’hui, le pape réclame une formation au mariage beaucoup plus longue. Il parle de formation catéchuménale. C’est-à-dire qu’il faut leur faire comprendre ce qui s’est passé depuis leur baptême. On retrouve tout cela dans Amoris Laetitia, et surtout comment accueillir ceux qui ont connu une rupture et qui se sont réengagés dans une nouvelle union.
Auparavant, c’était l’exclusion ou l’excommunication, mais aujourd’hui, on leur dit : « Non, vous êtes toujours partie prenante de cette Église ». Il faut changer le regard que les divorcés remariés ont sur eux-mêmes et celui de la communauté chrétienne sur eux. C’est cela cette nouvelle pastorale.

C’est dur de se sentir rejeté par son église…
C’est vrai. Comment faire comprendre aux gens que dans toutes les situations les personnes sont traitées avec bienveillance, sauf dans le cas des divorcés remariés. Je m’occupe des couples. Je me suis aussi occupé des prisonniers. J’ai dit des messes dans les prisons et j’ai organisé des sessions de dialogue et de prières avec des prisonniers qui ont parfois commis des délits dramatiques, jusqu’à tuer des gens. On me dit souvent : « Tu vas dans les prisons, les prisonniers viennent se confesser à toi et ils reçoivent la communion, alors que lorsqu’on s’engage avec d’une deuxième femme ou un deuxième mari, on est traité pire que des assassins. » Comment donc dire aux personnes que, quelle que soit votre situation, étant donné la miséricorde et la compassion de Dieu, vous êtes au même titre partie prenante de cette communauté ? On se retrouve donc sur un terrain sensible. Comment maintenir le caractère sacré du mariage et l’indissolubilité de ce lien avec la possibilité que ceux qui, un jour ou l’autre, ont connu la blessure, la rupture de l’amour, et de ce lien sacré, soient considérés comme faisant toujours partie prenante de cette Église et facilitent leur réintégration ?

Le cardinal Piat parle en effet de la nécessité de tenir fermement а la doctrine de l’église, tout en reconnaissant les difficultés et les circonstances spéciales dans cette situation irrégulière…
Le problème, c’est que cette situation irrégulière est de plus en plus fréquente. Déjà, le pape Benoît XVI avait souligné cet aspect. C’est-à-dire que très souvent, des jeunes s’engagent dans le mariage sans connaître les implications de cette décision. Lorsqu’ils en prennent conscience, ils sont décontenancés. Souvent, lorsqu’on rencontre quelqu’un, cinq minutes après, on entre tête baissée vers le mariage. Ensuite, lorsque ces gens s’engagent dans une deuxième expérience conjugale, très souvent, leur relation est beaucoup plus intense et spirituelle.
Le pape citait un jour en exemple une femme qui a trois ou quatre enfants, qu’elle élève toute seul. Elle rencontre quelqu’un qui l’aime et qui accepte de porter avec elle la responsabilité de ces enfants et de cette famille pratiquement et spirituellement. Est-ce que ce couple peut être présenté comme plus coupable que les autres ? C’est tout cela qu’on veut revoir. Effectivement, on touche à un terrain sensible. Comment garder ce trésor béni de l’engagement dans le sacrément de mariage et en même temps tenir compte des ruptures, de la compassion et de la miséricorde de Dieu. Le problème, c’est le remariage.

Comment expliquer que seule l’église catholique insiste sur cette doctrine d’indissolubilité ?
Parce que les autres Églises ont d’autres approches. Il faut voir comment elles considèrent le sacrement du mariage. Le pape François, au début de sa papauté, avait eu cette phrase étonnante : « Peut-être que nous aurions dû aller voir du côté de nos frères orthodoxes, qui ont une autre approche par rapport à cette rupture. » Amoris Laetitia tient compte de tout cela. Tout en insistant sur la construction du couple, l’encyclique tient compte de la façon de traiter la rupture, lorsqu’elle a lieu, au cas par cas. Il y a à chaque fois des situations différentes. Chaque cas est un cas unique, chaque couple est un couple unique.

А Maurice, une réflexion sur cette question a été engagée depuis quelques années déja. Pouvez-vous nous en parler ?
La réflexion à ce sujet à Maurice avait commencé en 2018, lorsqu’un livret avait été publié. Une messe avait été dite à la cathédrale pour annoncer cette nouvelle pastorale. Comment donc tenir compte de cette exigence de la doctrine de l’Église et en même temps tenir compte de la blessure, de la compassion et de la miséricorde que Dieu a toujours montrées à l’égard des pécheurs. Nous sommes tous pécheurs.

Qu’est-ce qui s’est passé dans l’église а Maurice depuis cette initiative de 2018 ?
Après avoir publié ce premier livret à partir de tout ce qui a été dit de la part de l’expérience pastorale des uns et des autres, aussi bien des personnes qui s’occupent des mouvements de couples que des prêtres qui ont été en contact avec des couples divorcés remariés, l’évêque s’est rendu compte qu’il y a tout un territoire à déblayer afin de ne pas se précipiter. Alors qu’auparavant on disait que personne n’a droit à quoi que ce soit, maintenant, chacun fait ce qu’il veut. On passe d’un extrême à l’autre.
L’évêque a compris cela et a entamé une première réflexion. Depuis, il a créé autour de lui une équipe de prêtres et de laïcs sensibilisés à cette pastorale, des couples qui sont engagés dans les équipes Notre Dame, etc. On a commencé par fonder une série de mouvements et d’équipes avec des divorcés remariés. On les met ensemble et leur permet d’avoir un accompagnement de la foi et de redécouvrir toute la dimension spirituelle de cet engagement, et des blessures passées. Il s’agit de savoir ce qu’on construit à partir de là. Notre tâche consiste alors à les accompagner dans la réintégration dans la communauté chrétienne, et cela peut aller jusqu’à l’accès à des sacrements, auxquels ils n’avaient pas droit auparavant. Nous en sommes là. La lecture et l’étude du livre de Patrick Langue ainsi que les conférences qu’il donnera durant son séjour devraient nous permettre d’avoir une meilleure visibilité sur l’avenir.

Le cardinal souligne la nécessité de changer nos regards de jugement vers un regard de bienveillance sur les divorcés remariés, car tous sont aimés de Dieu…
On le fait dans beaucoup de domaines. Mais dans ce domaine particulier, le regard est plus dur que les autres, et ils sont considérés comme des parias. Même si ce regard de jugement n’existe pas, ceux qui vivent des situations tendues et difficiles, et qui sont blessés, ont l’impression qu’on les juge et qu’on les met à l’écart.

Ils sont dans la réalité а l’écart ?
On les met à l’écart ou ils se mettent à l’écart.

Le prкtre peut-il empкcher quelqu’un de prendre la communion ?
Depuis 2018, beaucoup sont venus et ont compris la nécessité d’être présents avec la communauté des fidèles. Beaucoup viennent chercher un geste de paix au moment de la communion. D’autres estiment qu’ils n’ont rien à se reprocher et prennent la communion. C’est dans le but de mettre de l’ordre dans cette situation qu’il y a eu la lettre du pape. Ce dernier initie la discussion et donne des pistes de discussions dans lesquelles s’est engagé le père Patrick Langue avec son livre, et demande aux évêques ce qui a été fait dans leurs diocèses. Chaque cas est un cas particulier, et chaque diocèse a une histoire à ce sujet. Ainsi, c’est à chaque évêque de décider, à partir de la maturité ou du cheminement qui a été fait, les mesures à prendre sur son territoire.

Est-ce qu’il y a eu des cas de réintégration gratio?
Dans ce cas, il faudrait que le couple prenne conscience de sa responsabilité dans la rupture passée et sa démarche depuis par rapport à la communauté chrétienne. Je connais des gens qui, une fois mariés, n’ont jamais remis les pieds à l’église. Quelquefois, ils se sont remariés et ne sont plus revenus à l’église. Mais de temps en temps, lorsque cela les arrange, ils veulent bien revenir à l’occasion. Ils veulent bien revenir à l’église pour recevoir la communauté et repartir.
Dès qu’il y a une interdiction, on le vit très mal. On se demande pourquoi on l’interdit, mais pas aux autres, qui sont des situations pires. C’est pourquoi lorsqu’une personne demande à être réintégrée dans la communauté et à avoir accès aux sacrements de la réconciliation et la communion, il faut que cette personne prenne conscience dans cette communauté. Tout le travail consiste à cheminer avec ces couples qui demandent la réintégration afin qu’ils comprennent bien ce que veut dire réintégration et sa responsabilité de baptisé. Il ne s’agit pas de revenir prendre ta place une fois comme ça, par plaisir, et prendre la communion comme on prend une cacahuète. C’est tout un chemin de réflexion effectué en insertion dans une équipe pastorale ou un mouvement, et après, au bout d’un certain temps, voir l’évolution. Ce sont autant de sujets où il faut aider quelqu’un à prendre conscience. On ne peut pas dire qu’on repart à zéro. Cela n’est pas possible.

Une porte a été ouverte dans le passé par le pape. Les instances canoniques, dans tous les diocèses, ont reconnu la nullité du premier engagement. Il y a des conditions précises pour qu’un « oui » soit reconnu comme le signe vivant de l’amour de Dieu pour la communauté dans l’Église. Il y a des conditions à respecter. Le membre d’un couple peut venir dire après quelque temps qu’il a été forcé de se remarier. Or, l’Église exige qu’on se marie par amour, librement, et non parce qu’on a été contraint pour réparer une erreur. Malheureusement, dans beaucoup de cas, un membre du couple peut dire : « On m’a forcé à me marier. Je ne voulais pas le faire ! » Ce sont des choses qui existent.

Vous кtes responsables du service Famille. Qu’est-ce que ce service exactement ?
Le service Famille est le service diocésain de la pastorale familiale. On s’occupe de la préparation au mariage. Le pape insiste pour qu’on le fasse plus longuement et plus tôt. Si quelqu’un vient nous voir pour nous annoncer son intention de se marier, on lui dira que s’il veut se marier à l’Église, il faudra prendre le temps nécessaire pour le faire. Le service Famille veut travailler davantage sur cet engagement, qui est pour la vie.
Le plus grand problème, c’est que les gens confondent souvent le coup de foudre avec l’amour conjugal. Le pape en parle dans son encyclique, en affirmant que « c’est un chantier à vie,  et non pas pour trois mois ou dix ». Le mariage est une école pour apprendre à aimer. Pour réussir cette manière d’aimer à vie, il faut apprendre à le faire jour après jour. L’amour est une décision. L’amour doit être construit. L’outil principal est la communication.

Qu’attendez-vous de cette sйrie de confйrences du pиre Patrick Langue ?
Le père Langue a déjà une longue expérience, qu’il relate dans son livre. Je suis convaincu qu’il pourra nous aider à réfléchir dans la bonne direction sur tout qui est impliqué dans cette exhortation du pape François et qui nous ouvre des perspectives nouvelles par rapport à l’accompagnement pastoral des divorcés engagés dans une nouvelle union. Ceux qui sont divorcés simplement ont toujours tous leurs droits dans l’Église. C’est à partir du moment où l’on s’installe dans une nouvelle union que la question se pose. Il s’agit maintenant de savoir comment, dans cette nouvelle perspective, cheminer avec les gens de manière différente. Il faut d’abord les regarder de manière différente et cheminer avec eux dans cette réintégration. Il est donc question d’un nouveau regard, d’un nouvel accompagnement, d’une nouvelle écoute. Pour moi les divorcés remariés sont le signe d’une chose : d’un amour toujours blessé. À partir de là, on est ouvert à la compassion et à la miséricorde, et sur la manière d’accompagner ces personnes.

 

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