Dramaturge, metteur en scène, ancien pédagogue — il enseignait la physique et les mathématiques —, Gaston Valayden n’a pas fini de transposer dans ses pièces les travers de la société, de la politique et du Mauricien lui-même. S’il était récemment dans l’actualité culturelle, c’est parce qu’il a signé la mise en scène de The Merchant of Moris, de Meera Bholah. Ce genre d’histoire (inspirée de The Merchant of Venice de William Shakespeare) est le genre qui plaît à Gaston Valayden. Il y a vu des parallèles avec une autre comédie, burlesque celle-ci : celle qui se passe sur la scène politique. Il y a même, selon lui, du Sherry Singh dans The Merchant of Moris. La pièce sera à nouveau sur les planches du Caudan Arts Center le 11 septembre. Il y a peu de chances que les détracteurs de l’ex-CEO de MT courent voir la pièce. Le théâtre, ce n’est pas leur genre de culture, assure le metteur en scène.
Dressez-nous les parallèles entre l’histoire de The Merchant of Moris et ce qui se passe dans le paysage politique local…
Le communalisme et les préjugés. Sherry Singh ! Il est dans le viseur d’un parti et pour le descendre, on va le mettre à nu, on va parler de lui en le surnommant Maharaja, ce qui est très explicite sur sont identité. Le thème des stéréotypes, des étiquettes est présent dans les deux. Que disent les uns pour diminuer les autres et les autres à leur tour pour répliquer. La stigmatisation, quand vous entendez le langage de Pravind Jugnauth à l’encontre de ses adversaires, c’est triste. De manière générale, les discours des politiques sont de la même teneur. Pas toujours certes, et pas par tous les politiques. Les Avengers, le PTr et la plateforme de l’Espoir tiennent des arguments valables. Mais quand j’écoute Bobby Hurreeram, je trouve que le niveau du langage est pitoyable. Les paroles d’Alan Ganoo, un ancien militant, me donnent envie de vomir… Ils mélangent tout, religion et culture notamment, parce qu’ils savent que les gens sont sensibles à la première.
Vous dites cela parce que vous avez des affinités militantes !
À l’époque, oui. Plus maintenant. Il n’y a plus de militantisme en politique, il se trouve dans le théâtre. C’est à cause de Bérenger qu’il y a eu la cassure de 1983, je ne lui ai pas pardonné pour avoir fait cela. C’est aussi à cause de lui que Ramgoolam est devenu Premier ministre et que nous sommes dans cette configuration politique. Et qu’il y a un « crétin » à la tête de notre pays. À cause de Bérenger, certains qui prônaient le mauricianisme se sont retrouvés de l’autre côté.
Personne n’a eu l’idée d’inviter le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, à une représentation de The Merchant of Moris ?
(Rires) Non ! Je ne me souviens pas avoir déjà vu le Premier ministre assister à une pièce de théâtre. Je lui ai même fait la remarque lorsqu’il était ministre des Finances. Il avait organisé une rencontre avec la communauté des artistes. Je lui ai dit que je l’ai croisé dans des concerts musicaux, mais pas au théâtre.
Vous l’inviterez le 11 septembre ?
Non ! D’ailleurs, il revient à l’organisateur de lancer les invitations. Et puis, ils ont d’autres chats à fouetter. Ils sont préoccupés par Sherry Singh. Par contre, il y a un ministre au gouvernement qui s’intéresse au théâtre. Je l’avais même vu dans le public pendant une de mes pièces. Il n’était pas invité. Je ne citerai pas son nom ici.
Le contexte politique pourrait vous inspirer pour une nouvelle pièce, non ?
Elle est déjà écrite. Elle est en attente. Je n’en dirai pas plus…
Est-ce que les politiques de la majorité comme l’opposition vont se reconnaître dans cette pièce ?
Oui. Parce que l’histoire est basée sur des faits qui se sont produits. Je me suis même inspiré de l’agression d’un infirmier dans une clinique par un membre parlementaire. Je suis outré par cet incident et surtout par la position de la clinique. Comment la direction de l’établissement peut-elle conclure un accord à l’amiable avec un agresseur ? Moi, cela me dépasse.
Quand sera-t-elle présentée ?
L’année prochaine. Nous serons alors dans une période préélectorale.
Si on compare la scène politique à une comédie, souvent burlesque, à qui décernerez-vous la palme du meilleur comédien ?
(Rires) Ces politiques sont tous de mauvais comédiens. Ils font de la comédie, mais ils sont de très piètres acteurs ! Je ne les prendrai jamais dans ma troupe, ils ne sauront pas faire du théâtre. Ils parlent mal, ils mentent mal.
Plus sérieusement, quel est votre regard sur cette actualité politique qui est servie au peuple mauricien ?
Je suis triste pour mon pays. Tout le monde parle d’alternance. J’en ai assez de Jugnauth et de Ramgoolam. Plus personne ne m’inspire. Il n’y a plus de démocratie à Maurice, mais la démon… cratie, oui ! Comment peut-on parler de la démocratie quand le gouvernement MSM est élu avec 37% de voix ? Quand Ramgoolam dit qu’il incarne l’alternance, est-ce que c’est cela la démocratie ? La vraie démocratie existe quand il y a la liberté. Mais la liberté n’existe pas à Maurice. Malheureusement, nous méritons la politique que nous avons actuellement. Je constate aussi qu’en ce moment, à la fin du jour, quand le Mauricien rentre chez lui, il redevient communal. Les stigmates du communalisme sont profondément présents dans notre société, non seulement à cause de la politique, mais ils résultent de la religion qui joue encore un rôle très important à Maurice. Nous vivons dans un pays où chacun croit que son dieu est plus important que celui de l’autre. Je dirai tout de même qu’il y a encore, et heureusement, une minorité de Mauriciens qui n’ont pas de sentiment communal et qui ont la notion du mauricianisme. Je rêve que le Mauricien arrête de ne voir que lui quand il se regarde dans un miroir…
Cela a dû vous procurer un sentiment de plaisir en voyant une jeune fille s’intéresser à une pièce inspirée de The Merchant of Venice et vous confier sa mise en scène.…
Oh oui ! Cette fille, Meera Bholah, était radieuse quand elle a vu sa pièce sur scène. Et la voir ainsi, épanouie, m’a touché. Je suis sûr que notre collaboration l’a encouragée. Vous vous imaginez la déception que cela aurait provoqué chez elle, si nous n’avions pas accepté de la soutenir ! Comme un cerf-volant qui ne cesse de monter plus haut, elle est en train de progresser vers sa voie.
Est-ce qu’à Maurice les conditions sont réunies pour encourager le théâtre chez les jeunes ?
Oui, car il y a des groupes au genre varié qui peuvent former les intéressés. Et parce qu’il y a des fonds que le ministère des Arts et du Patrimoine culturel met à la disposition des auteurs de pièce de théâtre. Non, parce que peu de formations disposent d’un espace approprié et des facilités pour répéter et jouer. Et que pour trouver un endroit afin de pallier cette absence, c’est une autre affaire. Oublions les théâtres de Port-Louis et Plaza, lesquels sont fermés. Le Caudan Arts Center et le théâtre Serge-Constantin ne sont pas à la portée financière de tous en termes de location. Le ministère devrait même songer à mettre la salle de ce théâtre à la disposition de ceux qui se produisent régulièrement sur scène à un prix dérisoire. Cette salle est réservée au festival d’arts dramatiques en 10 langues ! Un festival qui a perdu en qualité et qui réunit plus de comédiens que de spectateurs. Ce festival doit être repensé pour être un rendez-vous qui présente une pièce, la meilleure, dans chaque langue. Bientôt se tiendra la deuxième édition du festival de livre par Barlen Pyamootoo à Trou d’Eau Douce. Que fait le ministère des Arts pour soutenir un événement pareil duquel peuvent émerger des talents ?
Par ailleurs, comment un ministre qui a récemment rencontré des artistes (ndlr : en juin dernier avant la reprise des activités économiques après la levée des restrictions sanitaires) peut-il ne pas savoir qui sont ceux qui font du théâtre à Maurice ? Je n’étais pas invité à cette rencontre, pourtant, je pense faire partie d’un groupe de personnes qui font du bon théâtre. Peut-être que je ne suis pas dans son bon carnet. Certains au ministère des Arts et du Patrimoine culturel, qui sont au conseil du National Arts Fund et qui sont censés travailler pour les artistes, n’ont jamais été voir une pièce de théâtre. Ils ne connaissent pas les artistes de théâtre ! Pourtant, ce sont des personnes très influentes sur lesquelles dépend le financement des œuvres ! Mais l’actuel ministre des Arts, lui, s’y connaît un p’tit peu en culture.
Un « p’tit peu ? »
Oui. C’est l’impression qu’il a dégagée des fois où j’ai eu l’occasion de le rencontrer. Il a une formation française, laquelle s’assure que les étudiants s’imprègnent de la notion culturelle indépendamment de la filière qu’ils ont choisie. Mais je pense qu’il est malheureusement limité par des contraintes, dont budgétaires, pour faire plus qu’il ne peut. Mais ses prédécesseurs que j’ai connus n’ont rien fait pour démontrer leur connaissance culturelle… Qu’a fait par exemple le président de la République, Pradeep Roopun, lorsqu’il était aux Arts et la Culture ? Rien, zéro ! Et quid de Mukeshwar Choonee, dont la préoccupation était la subvention des associations socioculturelles ? Ici, les ministres confondent culture et religion, et s’intéressent au financement quand il s’agit de leur circonscription ou celle du Premier ministre. Il y a des ignorants au ministère des Arts et du Patrimoine de la Culture. Tout comme il y a des personnes qui s’y connaissent, mais qui, elles, n’ont pas le courage de reprendre les ignorants et leur dire qu’ils se trompent.
L’état de nombreux vestiges et patrimoines pourrait être le reflet de cette ignorance, selon vous ?
À Maurice, les politiques, je le redis, confondent culture et socioculturel. Avez-vous déjà entendu des politiques de tous les bords parler de la culture dans le sens le plus large sur une plateforme ? Moi, non. Même l’actuel Premier ministre ou son prédécesseur, Navin Ramgoolam, lequel était d’ailleurs un camarade de classe au collège Royal de Curepipe, n’évoquent pas la culture comme nous les artistes nous l’entendons.
À cette époque, au collège, nous avions des enseignants comme Daniel Koenig, Georges Espitalier-Noël, même des recteurs qui nous parlaient de théâtre, enrichissaient les connaissances sur un plan culturel. On nous proposait des séances de films d’auteur après les cours, les collégiens les plus intéressés choisissaient de rester. Le collège Royal de Curepipe était connu pour ses pièces de théâtre annuelles. Mais un Premier ministre, et ce, même s’il a eu les mêmes profs que moi, a sans doute d’autres chats à fouetter que de parler de culture. Pour tous les gouvernements qui se sont succédé, la culture est quelque chose qu’il faut éviter d’encourager ! Parce que la culture amène la réflexion. Regardez ce qu’il se passe actuellement dans les congrès. De quoi parlent les orateurs si ce n’est pour endormir le public ? S’ils donnaient de quoi réfléchir à l’audience, il est probable qu’ils signeraient leur départ du gouvernement.
Vu l’état du Plaza et du théâtre de Port-Louis, vous aurez des regrets si vous n’y jouiez pas un jour ?
Bien entendu que j’aurais aimé y jouer un jour. Mais pourquoi vais-je regretter de n’avoir pu le faire alors que j’ai une salle où je peux dire ce que je veux ?
Vous avez rendu votre médaille MSK il y a dix ans. Pas de regrets depuis ?
Sans regret ! Je le referai s’il le faut. J’étais heureux de cette médaille, car je croyais qu’elle m’apporterait une forme de reconnaissance pour mon travail dans le futur. Il n’en a rien été. Aujourd’hui, les médailles de la République sont distribuées à gauche à droite, comme on donnerait des samoussas et des gâteaux piment. La manière dont c’est attribué leur enlève leur valeur. Il y a des récipiendaires qui ne sont pas méritants, surtout des politiciens. Comment peuvent-ils s’octroyer des médailles entre eux ? C’est rigolo, non ?