La machinerie industrielle au CEB est grippée. C’est ce que soutient Clency Bibi, président de la Central Electricity Board Staff Association (CEBSA). Il souligne que les discussions sont difficiles et que les négociations portant sur un nouvel accord collectif se font toujours attendre. « Les négociations auraient dû démarrer trois mois avant la fin de l’accord entre les syndicats et le CEB. Le CEB a mis du temps pour retenir les services d’un consultant », dit-il. Ce n’est qu’en janvier 2022 que le CEB a informé la CEBSA que les services des consultants de Deloitte ont été retenus. D’après ses renseignements, cette firme doit soumettre un rapport intérimaire à la mi-septembre, mais la « CEBSA est pessimiste d’autant plus que l’évaluation des postes vient tout juste de démarrer ».
Dans l’interview qui suit, Clency Bibi parle aussi du projet du CEB d’introduire des Smart Meters, ce qui aura une incidence sur l’emploi des Meter Readers. Parlant de la situation financière du CEB, il souligne que si celle-ci a été fragilisée, c’est bien parce qu’une partie des profits sont allés dans le Consolidated Fund qui, du point de vue de la CEBSA, est inacceptable. « Le CEB n’est pas une banque et la CEB Act énumère clairement la responsabilité du comité d’entreprise. En parcourant la CEB Act, je ne vois aucune obligation de la part du CEB d’effectuer des transferts au Consolidated Fund », dit-il.
Comment se portent les relations industrielles avec la nouvelle direction du Central Electricity Board ?
Nous discutons avec le management dans un forum qu’on appelle le JNC (Joint Negotiating Committee). Malheureusement, le système ne fonctionne pas car les représentants de la direction siégeant sur ce comité n’ont pas de pouvoirs de décision. La machinerie est grippée, ce qui rend les discussions difficiles.
Beaucoup de conflits découlent de la mauvaise mise en application de l’accord collectif dûment signé et enregistré comme le préconise l’article 61 de l’ERA de 2008. C’est frustrant car nous perdons beaucoup de temps en rapportant des litiges au ministère du Travail, à la section Médiation & Conciliation et aux instances comme le CCM et l’ERT pour des conflits qu’on aurait pu régler au niveau du JNC, et qui surtout découle de l’accord collectif. La direction se cache souvent derrière le conseil d’administration et ne prend pas de décisions. Raison pour laquelle la CEBSA a demandé une rencontre avec le président du conseil pour justifier les responsabilités.
Figurez-vous qu’un Award de 2008 n’est pas encore payé dans sa totalité jusqu’à maintenant. Certains accords, datant de 2013 et de 2021 ne sont pas encore exécutés. En 43 ans de vie active syndicale, alors que je partirai à la retraite en février 2023, je n’ai jamais vu autant de conflits, litiges et désaccord. Les relations sont vraiment tendues.
Il y a aussi un manque aigu de personnel et l’Approved Establishment n’est pas respecté, ce qui amène à un manque de personnel dans certains départements. Je peux vous dire qu’il y a un découragement généralisé, de la frustration et le mécontentement. Malgré cela, la CEBSA est fière que le personnel relève le défi et Deliver, comme on dit, dans l’intérêt du pays et des consommateurs.
Une lettre a été adressée récemment aux abonnés dans le cadre de l’installation de Smart Meters. Elle indique qu’à l’avenir, les services des Meter Readers ne seront pas nécessaires. Comment est-ce que la CEBSA accueille cette décision ?
La CEBSA n’est pas en présence de cette fameuse lettre adressée aux abonnés. Nous en avons pris connaissance à travers la presse. Il n’y a pas, non plus, de correspondance de la direction informant la CEBSA qu’il y aura une diminution dans le nombre de Meter Readers. De toutes les façons, il faudra un certain nombre d’années pour remplacer les compteurs existant par des Smart Meters. À un rythme de 100 000 compteurs par an, il faudra au moins cinq ans pour tout remplacer. Malgré cela, le CEB aura toujours besoin d’un certain nombre de Meter Readers.
Comme le CEB n’a pas recruté de releveurs de comptes depuis un certain temps, avec ceux qui partiront à la retraite et d’autres qui ont eu une promotion et qui, malheureusement, ne peuvent pas prendre leur nouvelle position à cause précisément d’un manque de releveurs de comptes, la CEBSA ne se fait pas de souci. Tout compte fait, la CEBSA suit la situation de près et formulera des propositions pour caser ces employés surnuméraires. Par contre, la direction a adressé une correspondance à la CEBSA le 11 mars dernier au sujet du fusionnement de certains postes/catégories, nommément Metering and Administrative.
La CEBSA, n’étant pas d’accord, a déjà adressé une correspondance à la direction pour une rencontre. Comme il y a actuellement une réévaluation des postes par Deloitte Consultant, il aurait été plus sage de la part de la direction, dans un souci de transparence et de bonne gouvernance, de formuler la demande au consultant et cela aurait été inclus dans le rapport préliminaire pour des discussions approfondies. La CEBSA, non seulement, n’acceptera pas le Downgrading d’un poste, mais veillera aussi que l’article 26 de l’Equal Remuneration for work of equal value de la Workers’ Rigths Act (WRA) soit respecté.
Tout le monde appréhende une hausse des tarifs d’électricité. Pensez-vous qu’il faut réellement augmenter ces tarifs ?
Il faudra tout d’abord restructurer les tarifs. Différencier les PME et les grandes entreprises. Revoir les tarifs des hôtels trois étoiles et cinq étoiles qui ne peuvent facturés de la même manière. Aussi, une campagne de sensibilisation agressive doit être initiée pour sensibiliser la population à une utilisation judicieuse de l’électricité, surtout en période de pointe. Il faut aussi mettre en place un tarif horaire d’utilisation, c’est-à-dire des prix élevés pendant les heures de pointe et des prix plus bas pendant les conditions de faible charge.
Le CEB disposait de milliards dans ses caisses jusqu’à tout récemment. Comment, selon vous, les fonds ont diminué ?
D’après nos renseignements, une partie des profits sont allés dans le Consolidated Fund. Ce qui, du point de vue de la CEBSA, est inacceptable. Le CEB n’est pas une banque et la CEB Act énumère clairement la responsabilité du comité d’entreprise. En parcourant la CEB Act, je ne vois aucune obligation de la part du CEB d’effectuer des transferts de fonds au Consolidated Fund. D’autre part, il y a eu la création des subsidiaires dont la CEBSA a toujours été contre. Le temps nous a donné raison. Pendant le confinement, le CEB a donné beaucoup de facilités aux abonnés et aux entreprises. Tout cela a pesé lourd dans les comptes du CEB. On n’est pas contre, mais c’était le devoir de gouvernement d’aider à travers des subsides.
Où en est-on avec le litige sur le plan de pension des travailleurs du CEB ?
Il y avait quelque 24 points litigieux devant l’Employment Relation Tribunal. L’ajustement de la pension était parmi les points litigieux. La CEBSA avait fait le point et il ne restait que la direction à déposer. Le tribunal a invité les parties concernées à retourner à la table des négociations. Un comité technique, composé de la direction et de la CEBSA, s’est penché sur le montant pour ajuster la pension. Deux options ont été retenues.
La CEBSA vient d’envoyer une lettre au directeur du CEB à la suite d’une réunion que nous avions eue la semaine dernière pour justement demander que le comité d’entreprise ratifie une des options. D’autre part, pour le prochain exercice de l’accord collectif, la CEBSA a déjà formulé sa proposition pour un ajustement de la pension des retraités du CEB. Je tiens à faire ressortir que lors de chaque rapport du PRB, la pension de retraite des fonctionnaires est ajustée conformément aux recommandations du PRB.
La pension de retraite des fonctionnaires est payée à partir du Consolidated Fund, donc avec l’argent des Tax Payers et la contribution des fonctionnaires au fonds de pension souscrit par ces derniers. Tout ajustement est puisé du Consolidated Fund. Si je transpose cela dans le cas du CEB, la pension est payée par les contributions des employés du CEB et de l’employeur. Comme le comité d’entreprise du CEB est composé de fonctionnaires, ils auraient dû, pour résumer, appliquer le même principe (Equal Treatment) car le CEB est un corps para-étatique sous l’ombrelle du ministère des Utilités publiques. Il est inconcevable que ma pension des retraités du CEB ne soit pas ajustée de la même façon.
En fin de compte, avec l’érosion du pouvoir d’achat, les retraités vont tomber dans une Relative Poverty. Je profite de l’occasion pour faire un appel aux membres du conseil d’administration et à leur responsabilité envers les anciens, qui ont façonné le CEB et qui méritent une retraite décente car la vision du CEB est d’être « the preferred employer in the region ».
Quel regard portez-vous sur le projet du CEB d’installer des panneaux solaires sur les réservoirs ?
Plusieurs projets photovoltaïques, privés pour l’essentiel, ont pu être mis en exécution, augmentant ainsi de manière significative la contribution d’énergie renouvelable au réseau électrique. Le développement des énergies renouvelables autour du photovoltaïque et de l’éolien éventuellement doit être accéléré. Pour cela, il faudra moderniser le réseau pour l’intégration de l’énergie verte.
Aussi il faut que les investisseurs dans le SSDG aient un retour intéressant sur l’investissement et que la charge minimale réclamée par le CEB soit annulée (excepté la location du compteur). Ce sera à l’URA (Utility Regulatory Authority) de veiller que ceux qui investissent dans l’énergie renouvelable aient un retour intéressant. Et j’espère que cela sera pris en compte par l’URA pendant la révision des tarifs réclamée par le CEB.
En prélude à la préparation du budget 2022-2023, vous avez proposé l’abandon du charbon comme combustible. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En tant que syndicaliste et avec la fédération, nous avons beaucoup réfléchi au problème de l’environnement et de l’énergie propre. Nous avons une vision. Étant un Etat insulaire, nous sommes parmi les premiers à subir les conséquences du changement climatique.
En 2008, j’avais dit dans une entrevue qu’il faudra mettre fin au charbon en 2025 et qu’il faudra avoir au moins 35% d’énergie renouvelable d’ici là. Nous sommes une île gâtée, nous avons la chance d’avoir le soleil (pendant au moins 12 heures par jour), le vent, la bagasse, et j’en passe. Donc, pourquoi ne pas mettre tout cela en valeur et produire de l’énergie propre en respectant notre environnement ? Nous avons fait beaucoup de tort à la nature, nous avons le devoir de laisser un héritage propre à la génération à venir. Je suis vraiment content que la raison ait primé et que le gouvernement ait pris des engagements fermes d’aller dans cette direction.
Le CEB fournit de l’électricité à Metro Express. Pensez-vous qu’il sera possible de soutenir toutes ses extensions tout en abandonnant le charbon et l’énergie fossile ?
Il faudra définitivement, à part les énergies renouvelables, investir dans une nouvelle centrale pour un « reliable et continuous production of electricity ». Dans la conjoncture, la seule mesure appropriée pour le CEB demeure l’installation immédiate d’une turbine à combustion de 40/45 MW à Fort-Georges comme la première phase d’une installation CCGT, en utilisant le gas-oil comme combustible.
Dans le long terme, il faudra la construction d’une centrale CCGT (Combine Cycle Gas Turbine) de l’ordre de 120/140 MW à Fort-Georges, pour tourner au gas-oil dans un premier temps, avec passage au gaz naturel liquéfié à plus long terme. Le LNG comporte plusieurs avantages : faible émission de carbone, faible NOx et zéro oxyde de soufre.
Avec le Phasing Out du charbon d’ici 2030, l’université de Maurice doit être mise à contribution pour optimiser la bagasse (une nouvelle variété de la canne à sucre) pour la production d’électricité et trouver un substitut aux charbons.
Où en est-on avec les négociations portant sur un nouveau protocole d’accord ?
L’accord collectif est arrivé à terme depuis le 30 juin 2021. D’après l’article 55 (3A) de l’Employment Relations Act de 2008, les négociations auraient dû démarrer trois mois avant la fin de l’accord. La CEBSA avait dénoncé l’accord, le CEB a mis du temps pour retenir les services d’un consultant. Ce n’est qu’en janvier 2022 que le CEB a informé la CEBSA que Deloitte Consultant a été retenu.
D’après nos renseignements, le consultant est censé donner un rapport intérimaire vers la mi-septembre, mais la CEBSA est pessimiste d’autant plus que l’évaluation des postes vient tout juste de démarrer. Tout dépendra de la durée des négociations pour arriver à un accord.
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Pensez-vous que le CEB est suffisamment équipé pour faire face à un éventuel black-out dans le pays ?
Le mot black-out est mal utilisé. Je m’explique : le CEB a beaucoup investi dans la nouvelle technologie. Le réseau est bien protégé, il peut y avoir de délestage au cas où un générateur tomberait en panne, mais pas de black-out comme on l’interprète. Oui comme je vous l’ai dit, le CEB a suffisamment de réserve, mais on ne sait jamais. C’est l’électromécanique et une panne peut toujours survenir.
Quel regard portez-vous sur la Contribution Sociale Généralisée (CSG) ?
Cela représente une nouvelle taxe imposée sur les travailleurs. Je tiens à faire ressortir que malgré qu’il y ait aussi la contribution de l’employeur, c’est en grande partie les travailleurs qui financent ce fonds. D’autre part, la CSG a sonné le glas du Welfare State. Donc, la pension dite universelle est devenue contributive. La pension de vieillesse est plafonnée à Rs 9 000 et les Rs 4 500 restant pour arriver au montant de Rs 13 500 représentent la différence qui est devenue contributive.
Pensez-vous qu’il faut accorder les Rs 13 500 aux pensionnés maintenant en raison de la hausse continue des produits ?
En effet, avec la cherté de la vie, le prix des médicaments en hausse, je pense que nos aînés méritent Rs 13 500, et même plus. Ayant travaillé pour construire le pays, certains éprouvent aujourd’hui des difficultés. Il faut être reconnaissants envers eux et qu’ils puissent vivre décemment. Pour un retraité, la pension représente son salaire.
Des employées du CEB ont organisé une manifestation à Curepipe en raison du harcèlement au travail. Où en est-on avec le dossier ?
Il y a eu des rencontres au niveau du département des ressources humaines. Nous n’aurions jamais dû nous retrouver devant une telle situation. Ce sont heureusement des cas isolés. La CEBSA n’a pas vraiment enregistré beaucoup de plaintes en ce sens de la part de nos collègues féminins.
Êtes-vous satisfait de la performance du CEB Facilities Ltee ?
La CEB Facilities Ltd n’est pas intégrée au CEB, qui a toujours son propre comité d’entreprise. Pour l’instant, il n’a que le Call Center sous sa responsabilité. Comme toute faute rapportée passe par lui, il serait recommandé que son personnel ait une formation technique et comprenne comment fonctionne notre réseau, cela évitera beaucoup d’incompréhension.
Le CEB ne peut plus maintenant décider de ses propres tarifs. Cette tâche a été confiée à une autorité. Pensez-vous que c’est une bonne chose ?
Définitivement oui, car le CEB était juge et partie jusqu’à tout récemment. Pour la transparence, je trouve que c’est une bonne chose. Le CEB aura le devoir et l’obligation de prouver et de justifier toute demande d’augmentation de tarif.
Qu’est ce que vous proposez pour améliorer la situation du pays ?
Il faudra changer notre modèle économique. La pandémie nous a éclairés. Coupée du reste du monde, notre économie libérale/pro capitaliste ne fonctionne plus. Donc, il faut le repenser pour être indépendant économiquement. Nous avons évoqué plusieurs sujets dans notre dernier mémoire pour le budget.
D’abord, nous pensons qu’il faut relancer l’agriculture pour atteindre l’autosuffisance alimentaire à long terme. Il faudra recommencer à exploiter les terres agricoles et arrêter la conversion pour d’autres besoins ou le bétonnage des terres fertiles. Planter entre les lignes et entre la saison des coupes. Il faut revoir aussi notre cursus scolaire pour introduire l’agriculture, intéresser les jeunes depuis leur tendre enfance à la terre et la plantation.
En ce qui concerne la protection de l’environnement, nous pensons qu’il faudra un développement intégré et en harmonie avec notre environnement. Le réchauffement climatique est une réalité et si on ne fait pas attention, la nature reprendra ses droits. Voyez les inondations dans le monde, dans le sud de l’île, ce sont des exemples tangibles. Il faut aussi geler toute construction d’hôtel sur le littoral. Et encourager et donner des facilités aux Mauriciens pour installer des panneaux solaires chez eux et produire de l’énergie propre. En même temps, il faudra enlever la charge minimale sur la facture d’électricité. Il faut aussi changer de mode de construction pour optimiser l’éclairage naturel.
« Il faudra définitivement, à part les énergies renouvelables, investir dans une nouvelle centrale pour une “reliable et continuous production of electricity”. Dans la conjoncture actuelle, la seule mesure appropriée pour le CEB demeure l’installation immédiate d’une turbine à combustion »
« Le CEB a beaucoup investi dans la nouvelle technologie. Le réseau est bien protégé, il peut y avoir de délestage au cas où un générateur tomberait en panne, mais pas de black-out, comme on l’interprète. Oui, comme je vous l’ai dit, le CEB a suffisamment de réserve, mais on ne sait jamais. C’est l’électromécanique et une panne peut toujours arriver »