Masud Bin Momen, Foreign Secretary du Bangladesh : « Nous invitons les investisseurs mauriciens à venir s’établir au Bangladesh »

Notre invité de ce dimanche est Masud Bin Momen, Foreign Secretary du Bangladesh qui, à la tête d’une délégation, vient d’effectuer une visite officielle à Maurice. Diplomate de carrière, M. Bin Momen a déjà représenté son pays au Japon et en Italie, et en tant que représentant permanent aux Nations Unies. Dans l’interview qu’il nous a accordée mardi dernier, le Foreign Secretary du Bangladesh répond à nos questions sur la création du Bangladesh, sa situation économique, le problème des réfugiés Rohingyas et de ses relations avec Maurice.

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l À l’heure où nous commençons cette conversation, mardi après-midi, on vient d’annoncer que le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui est en train de séparer le monde en deux blocs, n’est toujours pas réglé. Vous qui avez représenté votre pays aux Nations Unies, quel commentaire vous inspire ce conflit, que certains qualifient de prélude à une troisième guerre mondiale ?

— Nous avons appris qu’une partie des troupes russes vont quitter la zone frontalière avec l’Ukraine, ce qui semble signifier que les appels venus de beaucoup de pays demandant une désescalade armée semblent avoir été entendus. Bien qu’étant éloigné de la zone en question, le Bangladesh, comme tous les pays du monde, suit avec attention l’évolution de la situation. Aujourd’hui, avec la globalisation, n’importe quel conflit entre deux pays a des répercussions sur le reste du monde dans les domaines diplomatique, politique, économique, mais surtout énergétique. Par exemple, nous dépendons des pays du Moyen-Orient pour notre approvisionnement en produits pétroliers. Si les pipelines ne peuvent plus fonctionner et le trafic maritime perturbé, cela aura des répercussions sur le Bangladesh et le reste du monde.

l Pour présenter votre pays à nos lecteurs, pourriez-vous résumer l’histoire du Bangladesh depuis son indépendance ?

— Nous avons une histoire longue et très mouvementée avant et depuis l’indépendance, qui remonte à un demi-siècle. Nous venons d’ailleurs de célébrer, il y a deux ans, le centenaire de la naissance du père de la nation bangladeshie et premier président du Bangladesh, feu Sheik Mujibur Rahman. Permettez-moi de rappeler, en passant, que le Bangladesh a comme Premier ministre depuis plusieurs années Sheikh Hasina, qui est la fille aînée de Sheik Mujibur Rahman. Mais revenons à la question. Avant l’indépendance, il y eut la période de la partition de l’Inde avec la création du Pakistan en deux parties géographiques distinctes, dont une partie orientale, celle qui est devenue le Bangladesh. Nous nous sommes battus pour obtenir l’indépendance du Pakistan à travers une guerre menée par nos freedom fighters. Cette guerre pour l’indépendance a, il faut le souligner, fait plus de trois millions de morts, des centaines de milliers de viols et beaucoup d’exilés. Cette guerre a pu être remportée avec l’aide de l’Inde et de l’ex-URSS. À l’époque de l’obtention de l’indépendance, beaucoup de diplomates, surtout occidentaux, se sont interrogés sur sa viabilité économique et la capacité d’exister du Bangladesh. C’est vrai que nous sortions d’une guerre qui avait duré neuf ans et avait littéralement ravagé le pays, comme le Bangladesh peut l’être après le passage d’un cyclone. Mais nous sommes un peuple résilient et dès que nous avons obtenu l’indépendance, nous avons commencé à reconstruire notre pays, plus exactement à le bâtir. Cette entreprise a été gênée, à certains moments, par des membres de l’armée et des conspirateurs qui ont voulu essayer de prendre le pouvoir.

l C’est vrai que votre pays a connu plusieurs tentatives de coup d’État menés par des militaires…

— Nous avons connu des coups d’État et des contrecoups d’État. Cette période particulière de notre histoire a été marquée par une situation de violence dont ont été victimes des milliers de civils, ce qui a poussé des centaines de milliers de personnes à s’exiler. Nous avons vécu depuis l’indépendance des périodes politiques très compliquées, pour dire le moins, ce qui a ralenti considérablement le développement du pays. Mais malgré tout, nous sommes restés une démocratie et avons pu non seulement reconstruire le pays, mais nous avons su le développer grâce à une politique socio-économique qui, au cours de la dernière décennie, nous a fait passer du statut de pays les moins développés du monde pour atteindre celui des pays en voie de développement, dans quelques années, en 2026. Un plan de développement industriel a fait du Bangladesh un des premiers pays exportateurs de produits textiles dans le monde. Cette industrie, une des principales du pays, a régressé, comme ceux des autres pays du monde entier avec l’épidémie du Covid, et le Bangladesh a connu, ces deux dernières années, une croissance négative. Beaucoup de contrats ont été annulés, des centaines d’usines ont été obligées de fermer leurs portes, provoquant la perte de centaines de milliers d’emplois. Mais nous sommes en train de remonter la pente économique, la production textile et les importations sont en train d’augmenter. Grâce aux aides financières internationales, la situation économique s’améliore et il est prévu que d’ici 2026, nous allons sortir définitivement du groupe que je viens de mentionner, retrouver une croissance positive et nous préparer à d’autres défis économiques à relever.

l Quels sont les défis économiques qui pointent à l’horizon de l’année 2026 pour le Bangladesh ?

— D’ici 2026, le Bangladesh ne bénéficiera plus des mesures financières internationales qui nous auront permis de faire face à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques. Nous aurons à être beaucoup plus compétitifs que nous ne le sommes actuellement. Nous aurons à mettre au point et développer des stratégies pour créer les conditions idéales pour faire accélérer les conditions de l’économie, ce qui va nous permettre d’atteindre les objectifs fixés par le gouvernement : d’ici 2041, faire du Bangladesh un pays prospère et développé. Mais avant, déjà, l’objectif à court terme est d’arriver à un taux de croissance économique de 5 à 6%. Le gouvernement a déjà créé une centaine de zones économiques exclusives pour les investisseurs locaux et étrangers, et pas mal d’investisseurs étrangers ont déjà entamé les démarches nécessaires pour ouvrir des unités au Bangladesh.

l On a souvent dit que le Bangladesh est un des plus importants acteurs de l’industrie textile international. Or, le Covid a provoqué un bouleversement dans la manière des citoyens du monde de s’habiller, de consommer du textile et de nouvelles habitudes sont nées. Comme celle de pratiquer rigoureusement le respect de l’environnement dans la production des produits de consommation. Comment est-ce que le Bangladesh compte faire pour garder sa place dans le textile international dans ce monde en perpétuelle mutation ?

— Je vous l’ai déjà dit, nous devons nous réinventer pour faire face aux nouveaux défis. Notre industrie textile est déjà en train de travailler dans le sens du respect de l’environnement dans la production. Nous sommes le deuxième pays exportateurs de textile au monde et sept des dix green factories les plus importantes du monde se trouvent au Bangladesh. Comme vous le savez, il y a quelques années, nous avons connu un désastre dans une de nos plus grandes usines de textile. Il a provoqué la mort d’au moins 1 135 ouvriers lors de l’effondrement d’une usine. Depuis, nous avons tiré les leçons de cette situation, des mesures ont été prises pour que les usines bangladeshies respectent les normes sanitaires et environnementales exigées par les pays et les consommateurs occidentaux. Ce ne sont pas des normes faciles à mettre en place, d’autant plus qu’il faut changer des décennies de manière de faire. Mais le Bangladesh est un pays résilient qui a toujours su se mobiliser pour faire face aux situations de crise, comme celles que nous subissons régulièrement au niveau climatique.

l En dehors de l’adaptation de son industrie du textile aux nouvelles normes, quel est le principal problème économique du Bangladesh ?

— Nous subissons des conditions climatiques qui nous rendent vulnérables et affectent plus particulièrement les habitants des régions côtières. Non seulement nous recevons la visite de cyclones de plus en plus forts, mais notre agriculture est tributaire de la mousson, dont les effets sont souvent imprévisibles, et des inondations. Sans parler des conséquences du réchauffement climatique qui pourrait, avec la montée des eaux, nous faire perdre une partie de notre territoire. À ces problèmes climatiques est venu s’ajouter un autre problème qui pèse lourd dans balance sociale et économique : les réfugiés Rohingyas. Le Bangladesh accueille depuis 2016 plus d’un million de réfugiés Rohingyas qui ont fui le Myanmar, leur pays natal, où ils sont persécutés et pourchassés. Nous avons eu dans le passé de petits groupes de Rohingyas qui ont cherché refuge chez nous. Mais il y a quatre ans, il y a eu une augmentation très substantielle du nombre de Rohingyas qui ont été obligés de quitter leurs villes et leurs villages pour passer la frontière et venir se réfugier chez nous. Il y a aujourd’hui plus d’un million de Rohingyas qui ont fui le Myanmar pour se réfugier au Bangladesh !

l Comment un pays surpeuplé comme le Bangladesh peut accueillir plus d’un million de réfugiés ?

— Nous avons dû, dans l’urgence, faire face à une situation totalement imprévisible. Le Premier ministre, le gouvernement et les Bangladeshis ont réagi en termes de solidarité et d’entre-aide pour donner une place à ces réfugiés qui avaient tout laissé derrière eux. Nous avons été aidés par la communauté internationale, des agences et des ONG qui nous ont permis d’accueillir, de nourrir, de soigner et de loger ces réfugiés qui n’avaient aucun endroit où aller. Mais cette situation ne pourra pas durer indéfiniment.

l Est-ce qu’il est possible d’envisager, à terme, l’intégration des réfugiés Rohingyas au Bangladesh ? Ce qui serait, peut-être, une manière de régler le problème…

Vous venez de me poser une question qui explique pourquoi la situation que vous proposez n’est pas envisageable. En effet, comment un pays dont la superficie est réduite, avec un des taux de densité démographique les plus élevés au monde, avec une population de presque 168 millions d’habitants, peut accueillir 1,1 million de réfugiés sur son sol ? Nous n’avons pas d’espace à offrir. La seule, l’unique solution viable c’est de rapatrier les Rohingyas dans leur pays d’origine.

Il est manifeste que leur pays d’origine, le Myanmar, et une bonne partie de ses autres habitants ne veulent pas des Rohingyas !

— Il faut que la communauté internationale trouve une solution à ce problème social, politique, démographique et humanitaire qui concerne le monde entier. Nous avons fait ce que nous pouvions de façon temporaire et ne pouvons continuer dans cette voie. Je le répète : aucun pays ne peut accueillir plus d’un million de réfugiés sur son territoire. Il serait peut-être possible que certains pays accueillent un petit nombre de ces réfugiés. Il faut trouver une solution à ce problème qui ne concerne pas seulement le Bangladesh, mais tous les pays de la région et le monde. Depuis plus de trois ans, et malgré nos propres difficultés, nous avons accueilli les réfugiés, mais cette situation ne peut être que temporaire. Pour le Bangladesh, les Rohingyas sont les citoyens du Myanmar et doivent être rapatriés dans les meilleurs délais dans leur pays. Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale pour rétablir les droits des Rohingyas et les rapatrier dans leur pays, le Myanmar.

l Quels sont les autres problèmes auxquels doit faire face le Bangladesh ?

— Nous devons nous préparer et prendre les mesures nécessaires pour faire face à la situation économique quand nous ne bénéficierons plus des mesures d’aide internationale que nous recevons en tant que pays moins développés. Nous aurons à devenir plus résilients, plus compétitifs et consolider nos secteurs d’activités économiques. Dans cette optique, nous faisons appel aux investisseurs étrangers à qui nous offrons une série de mesures incitatives. À ce sujet, je souligne que nous avons au Bangladesh deux succursales de groupes mauriciens qui travaillent selon les nouvelles normes dont nous avons parlé : CIEL Textiles et la Compagnie Mauricienne de Textile. Je profite de l’occasion de cette interview pour inviter les autres acteurs du secteur textile mauricien à venir investir dans ce secteur pour bénéficier des conditions favorables, dont une main-d‘œuvre expérimentée à bon marché. Mais nous avons aussi des opportunités à offrir dans d’autres secteurs que le textile comme, par exemple, l’industrie pharmaceutique. Elle travaille actuellement en étroite collaboration avec d’autres pays pour produire, très bientôt, des vaccins et des médicaments contre les épidémies qui affectent le monde.

l Quelle est la politique étrangère du Bangladesh qui a autour de lui de grands et puissants voisins comme l’Inde et la Chine ?

— Nous sommes un pays non-aligné qui entretient de bonnes relations avec tous les pays du monde. Nous essayons de maintenir une balance dans nos relations avec les autres pays, ce qui, avec l’évolution de la situation diplomatique mondiale, devient de plus en plus difficile. Nous sommes membres du Commonwealth, des Nations Unies et de l’Organisation mondiale du commerce. Nous suivons une politique modérée de relations internationales qui met l’accent sur la diplomatie multinationale, particulièrement au sein des Nations Unies.

l Le Bangladesh a été affecté dans le passé par le terrorisme. Qu’elle est la situation à ce niveau aujourd’hui ?

— Effectivement, nous avons été affectés dans le passé par des attaques de mouvements terroristes au cours desquelles des mercenaires étrangers ont été tués. Mais, depuis, le gouvernement a pris les mesures nécessaires, demandé et obtenu la collaboration des forces vives du pays pour mener la guerre à l’embrigadement dans la société bangladeshie, en particulier chez les jeunes. Nous pratiquons une politique de zéro tolérance contre le terrorisme qui porte ses fruits.

l Abordons, pour terminer cette interview, le volet des relations entre le Bangladesh et Maurice…

— Ce sont des relations fortes appelées à durer. Il existe beaucoup de complémentarité entre nos deux pays, et nous souhaitons les fortifier et développer. Je pense que des visites de très haut niveau des dirigeants de nos pays ne pourront que renforcer ces liens. Nous avons déjà invité le ministre des Affaires étrangères mauricien au Bangladesh et espérons que bientôt les Premiers ministres de nos pays respectifs pourront visiter officiellement nos pays respectifs. Nous avons perdu du temps dans le domaine du développement de nos relations en raison du Covid, mais nous avons bien l’intention de le rattraper rapidement.

Il y a un certain nombre de Bangladeshis qui travaillent dans l’industrie textile et dans d’autres secteurs économiques mauriciens…

— Nous avons un nombre important de migrant workers à travers le monde et il y a un nombre assez important à Maurice, effectivement. J’ai eu l’occasion pendant cette première visite effectuée dans votre pays de rencontrer quelques ouvrières bangladeshies employées dans de grandes usines textiles mauriciennes. Elles se disent heureuses de travailler à Maurice dans de bonnes conditions de travail et d’hébergement.

l Par contre, il est arrivé que des travailleurs bangladeshis se plaignent des conditions que leur imposent certains employeurs mauriciens. Certains travailleurs avaient parlé de non-respect des conditions du contrat et le terme exploitation avait même été mentionné…

— Ce n’est pas, en tout cas, ce que m’ont dit les ressortissantes bangladeshies que j’ai rencontrées. En ce qui concerne votre question, je ne connais pas le dossier que vous évoquez. Il y a sans doute des plaintes et des mécontentements de la part de certains employés bangladeshis travaillant à Maurice, mais je suis sûr qu’ils sont pris en considération et traités par notre haut-commissaire à Port-Louis. Je suis certain que le haut-commissaire suit la situation de près et travaille pour trouver les solutions nécessaires aux problèmes soulevés, en collaboration avec les autorités mauriciennes concernées.

 

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