Murielle Ravina, enseignante et Miss Rodrigues : « Nous avons besoin d’une autonomie avec des opportunités »

Bloquée à Maurice, Murielle Ravina, Miss Rodrigues 2012, a les yeux rivés sur son île, où la politique et l’explosion des cas de contamination au Covid-19 dominent l’actualité de son pays d’habitude paisible. Si la jeune femme, enseignante de français et d’Arts & Design au collège de Grande-Montagne, diplômée en science politique, s’intéresse de près aux prochaines élections de l’Assemblée régionale, c’est aussi parce qu’elle a des ambitions bien calculées.

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À 27 ans, elle se donne encore quelques années avant de se lancer pleinement et avec la maturité voulue dans l’arène politique. Sous sa couronne de Miss, l’élégante Murielle Ravina a la tête bien remplie, celle d’une intellectuelle visionnaire.

Avec sa première vague de Covid-19, Rodrigues traverse actuellement une situation particulière. Comment vivez-vous cela, loin des vôtres ?

J’ai été testée positive au Covid-19 en janvier dernier, alors que j’étais en France et que je m’apprêtais à rentrer à Maurice. L’expérience de la maladie me permet d’aider, de conseiller et de rassurer ma famille et toutes les personnes de Rodrigues qui me suivent sur les réseaux sociaux. Comme l’île est en train de vivre sa première vague, le sentiment de panique est là. Ce qui est compréhensible. Mais le stress peut amplifier les complications. C’est un moment où le mental joue un rôle important et même en étant loin, j’essaie de mon mieux de soutenir ma famille et les Rodriguais.

De Maurice j’ai organisé la livraison de produits alimentaires par un supermarché pour ma grand-mère. Les Rodriguais ont le devoir de se protéger et d’être responsables. Il ne faut pas se dire qu’il revient qu’aux autorités de prendre la situation en main et attendre qu’elles nous disent de porter le masque pour le faire. Nous n’avons pas un système de santé avancé, nous devons faire avec les moyens du bord. Le Covid-19 nous donne là l’occasion de corriger les manquements de notre système et non de chercher des boucs émissaires au moment des constats. L’urgence en ce moment est de relever les failles, on les comblera plus tard. Malgré plus de 2 000 cas positifs au Covid-19, il n’y a eu aucun décès à cause du virus. Ce qui est rassurant. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous devons adopter les bonnes pratiques en cours à Maurice, où la population a fini par apprendre à vivre avec le Covid-19. Les gestes barrières sont désormais quasi automatiques pour la plupart des Mauriciens.

Quels sont les manquements dont vous faites allusion ?

Nos hôpitaux sont débordés. Si nous avions ne serait-ce qu’une clinique privée, nous aurions pu désengorger les hôpitaux. Et en temps normal, beaucoup de Rodriguais n’auraient pas eu à se rendre à Maurice pour se faire soigner. Combien sont morts parce que le temps jouait contre eux ! Nos ressources sont peut-être limitées, mais nous avons des idées.

Les Rodriguais ont des idées, mais quelles sont les initiatives à leur portée qu’ils peuvent prendre pour participer au développement de leur île ?

Pour commencer, il faut outiller le Rodriguais afin qu’il soit indépendant d’esprit et ne tombe pas dans le piège de l’assistanat. Les organisations non gouvernementales ont la capacité de faire ce travail, lequel consiste à développer le sens du relationnel pour faciliter l’interaction entre les villages. Et il n’est pas nécessaire de faire de la politique pour être le moteur du changement. Ce changement peut aussi se faire à travers la professionnalisation de l’entrepreunariat pour améliorer la qualité des produits proposés, y compris moderniser leur emballage.

D’autre part, nous n’exploitons pas assez nos ressources végétales pour, par exemple, la production de produits cosmétiques, voire médicinaux. Nous avons pourtant la possibilité de nous spécialiser tout en nous diversifiant. Mais tout le monde fait la même chose parce que la tendance de suivre est présente. Toutefois, pour apporter ces changements dans notre économie, nous avons besoin d’eau. Qu’on nous assure l’accessibilité à l’eau pour produire. Il nous faut des moyens pour nous permettre d’investir. Il faut des structures administratives qui favorisent la mise en application des initiatives. Et nous avons besoin d’une autonomie qui nous garantisse des opportunités.

Maurice doit assurer aux Rodriguais cette autonomie qui leur donnera l’occasion de se perfectionner et d’évoluer. Il revient aussi aux Rodriguais de réclamer l’autonomie de leur île et à Maurice de les écouter. Nous faisons partie intégrante de la République. C’est un fait. Mais en 2022, c’est aux Rodriguais d’apporter les changements évoqués ici et attendus par le peuple. Aujourd’hui, il nous faut voir plus grand. C’est le moment de créer une nouvelle histoire avec de nouvelles fondations !

Quel est, selon vous, le secteur qui a le plus besoin de nouvelles bases ?

L’éducation ! L’école à Rodrigues est focalisée sur l’apprentissage académique, alors qu’elle doit assurer l’épanouissement et donner les mêmes chances à tous les enfants. L’éducation, pour reprendre Nelson Mandela, est l’arme la plus puissante. Mais si l’enfant n’est pas armé, comment va-t-il s’épanouir et participer au développement de son pays ? Peut-on juger l’habileté du poisson en lui demandant de grimper à un arbre ? Ce qu’il nous faut, c’est une éducation adaptée à nos étudiants et leur donner le choix : académique et formation. Mais une formation qui est axée sur la professionnalisation des métiers liés à notre contexte, où les jeunes peuvent apprendre la transformation des produits et comprendre la biodiversité marine pour ceux qui s’intéressent à la pêche. À Rodrigues, nous avons besoin d’une vraie école de pêche. Cela dit, tous les secteurs ont besoin d’un nouveau souffle, allant de la culture, de la jeunesse, du social, à l’économie pour plus de création d’emplois… car au final, tous les secteurs sont connectés.

Qu’attendez-vous des élections du 13 février ?

Peu importe quel parti remportera les élections, qu’il agisse selon son agenda électoral pour développer Rodrigues. Nous avons grandement besoin d’un nouveau souffle, respirer un nouvel air. J’attends que l’électorat vote avec une maturité politique pour mettre des personnes capables à la bonne place pour consolider le pays.

Avez-vous été approchée par un parti politique ?

Oui. J’ai eu plusieurs propositions pour ces présentes élections. Vous savez, il ne suffit pas d’avoir une licence en science politique pour se lancer. J’aime faire les choses bien et à fond. Au moment voulu, quand je me lancerai en politique, je me donnerai à fond dans mon engagement. Je ne veux pas faire de la politique maintenant juste pour essayer. Pour le moment, je suis en mode d’observation et d’analyse. On va dire que je suis en apprentissage. À 27 ans, je suis encore jeune, je vais finir certains projets personnels d’abord et consolider ma vie en tant qu’enseignante également. Quand j’aurai la trentaine, je serai alors prête pour faire de la politique avec une maturité économique qui fera de moi une politicienne avec l’envie de faire la différence et être à la tête serait un bonus, pas pour être regardée, mais pour mieux voir la population afin d’être présente pour elle.

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