Week-End a rencontré une Jenny Adebiro encore sous le coup des résultats négatifs du Recount dans lequel elle espérait renverser la vapeur contre Ivan Collendavelloo et devenir le troisième député de la circonscription N°19. Mais l’exercice a viré au cauchemar puisqu’outre les trois couacs enregistrés, 73 bulletins manquants, 1 bulletin du N°1 au milieu de ceux du 19 et deux bulletins sans sceau, lors du counting, son adversaire Ivan Collendavelloo a maintenu une avance de 80 voix finalement et a été déclaré l’élu de la circonscription.
La déception passée, elle se console du soutien marqué de ses collègues du parti. Et affirme qu’elle ne lâchera rien et verra avec ses hommes de loi la marche à suivre. Et quand Week-End évoque que le MMM n’est plus ce qu’il était, qu’il est condamné aux compromissions, etc., on voit rebondir une militante de foi qui affirme aussi agir comme militante, car quoiqu’on en dise, le MMM, c’est la hantise du gouvernement.
Jenny Adebiro, on a beaucoup entendu parler de vous ces derniers temps, mais pour le grand public vous n’êtes pas très connue…
Après un long parcours, les militants et ceux qui suivent la politique, et surtout ceux qui suivent le MMM doivent me connaître. J’ai quelques années, mais surtout quelques années intenses au MMM, en tant que présidente de l’aile jeune et présidente de l’aile féminine, par exemple. Avant, j’étais secrétaire de l’aile féminine au niveau national. J’ai été conseillère municipale, pressentie pour être maire de Port-Louis un certain temps, pour être ensuite candidate aux dernières élections générales. Je pense donc que ceux qui suivent la politique, surtout l’histoire du MMM, ces dernières années, me connaissent, car j’ai été très active avec des responsabilités. Mon adhésion au MMM n’a pas été d’être assise à écouter les réunions. J’ai été partie prenante de tout ce qui était de l’ordre de l’organisation du parti au niveau national. J’ai vécu beaucoup l’histoire, beaucoup d’alliances, beaucoup de décisions très importantes par rapport au parti… Autrement, professionnellement, je suis assistante-administrative d’une firme privée et maman d’un petit garçon, et dans quelques jours, de mon deuxième enfant.
Êtes-vous déçue des résultats du recount obtenu de haute lutte ?
Je ne sais pas si déçue est le mot. Mais je dois dire qu’on avait beaucoup d’attentes. Dans toutes mes déclarations depuis qu’on a rendu le jugement, j’avais exprimé mes réserves. Mais j’insiste pour dire qu’on attendait un résultat positif. Surtout à cause de toutes les anomalies qu’on a pu voir pendant les élections, avant les élections, pendant le counting et pendant l’affaire en cour. Tenant compte ce qui s’est passé avec le registre électoral, les noms qui ne figuraient pas sur la liste électorale… c’étaient des choses flagrantes pour lesquelles nous n’arrivons pas à avoir de réponses et à comprendre. Donc, réaliste mais aussi optimiste, on s’attendait à un résultat positif. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, et je dis bien quand même que ce n’est pas une élection perdue pour moi. J’insiste également pour dire qu’au plus profond de moi, je crois que le MMM est sorti gagnant. S’il y avait vraiment quelque chose de fair and free depuis le début avec le registre électoral, la liste des votants, etc., le MMM aurait pu avoir un plus fort pourcentage.
Ils confirment à 12 voix près le résultat initial. Concédez-vous la défaite ?
Le MMM n’a jamais été un mauvais perdant. On a toujours accepté les résultats. Mais j’insiste et conteste les anomalies qu’on a vue pendant le recount. Les anomalies prouvent qu’il y a encore des zones d’ombre par rapport aux 73 bulletins introuvables notamment. Imputer la « human error » pour expliquer le manque de 73 bulletins, c’est beaucoup trop. Aussi, le bulletin du N°1 retrouvé parmi les bulletins du N°19 est une anomalie majeure ! Essayez tous les scénarios possibles, on ne pourra pas l’expliquer. Comment c’est arrivé là ? La question qui se pose et la population attend une explication. Tout ce qui concerne la procédure des élections est remis en question, ne serait-ce que par ce bulletin du N°1. Et les bulletins sans sceau de la Commission électorale mettent encore plus de doute dans la tête des Mauriciens. Pourquoi des bulletins sans sceau ? Comment sont-ils arrivés dans ce lot du N°19 ? Comment cela s’est passé alors qu’il y a des talons, des procédures, des procédures par rapport à la Commission électorale, des procédures le jour du vote… Expliquez-nous tout ça. La population a besoin d’une explication. Si nous n’avions pas toutes ces anomalies, alors oui, on aurait accepté la défaite.
Pourquoi êtes-vous restée dans les salles du recount alors que d’emblée il y avait l’anomalie des 73 bulletins manquants ?
C’est la prérogative de la Master and Registrar. Si elle décide de continuer avec le décompte, on n’aurait pas pu l’empêcher. Cependant, nous avons soulevé nos doutes. Eux ont dit qu’ils avaient leurs chiffres, la Commission électorale a dit avoir les siens, et la décision revenait au Master and Registrar. Nous sommes restés parce que nous avions demandé un recount. D’ailleurs, c’est pendant le recount qu’on a vu d’autres anomalies avec le bulletin du N°1 et deux bulletins sans sceau qu’on a brought to notice. Qu’est-ce que qu’on peut faire de plus ? Mais aujourd’hui, ce recount a confirmé les lacunes dans notre système électoral.
Nous supposons qu’au vu des anomalies notées lors du dépouillement, vous — qu’on dit tenace, celle qui ne lâche rien — travaillez avec vos hommes de loi pour faire appel de cette nouvelle donne…
(Rires) Oui, la ténacité est l’un de mes traits de caractère. Nous n’avons pas encore discuté en profondeur sur la question. Une discussion viendra éclaircir les questions que vous posez, mais à ce stade, elle n’a pas encore eu lieu. Il y a eu le cyclone et aussi mon état de santé en ce moment. Mais certainement, nous viendrons avec quelque chose dans les jours à venir. Mais vu qu’on n’a pas abordé ce sujet dans le fond, je préfère ne pas répondre pour l’instant.
Sous quelle forme pensez-vous faire cette contestation ? Ne risquez-vous de faire invalider l’exercice complet de l’élection de 2019 ?
C’est une question que je me suis posée personnellement. D’où la raison pour laquelle je vous dis par rapport à la question précédente qu’il faut qu’on s’asseye avec les hommes de loi pour réfléchir, car il y a toute une implication. Les zones d’ombre du recount du N°19 apportent plus de doutes sur le processus électoral et a jeté plus de doutes sur les élections de 2019 en général. Mais c’est aussi bien que les zones d’ombre du recount du N°19 apportent plus de lumière par rapport aux pétitions logées pour d’autres circonscriptions.
En attendant, ne serons-nous pas déjà aux prochaines élections générales ?
La question de quelques jours d’attente pour la réflexion ne va pas bloquer un processus. D’ailleurs, cela ne dépend pas de nous. Le recount du N°19 est un exemple. La pétition a été logée en décembre 2019 et le jugement prononcé deux ans après. La question que l’on doit se poser n’est pas par rapport à notre décision, mais par rapport à toutes les institutions qui sont parties prenantes dans cette décision. Il est important de considérer que l’implication de ce recount demande plus de sérieux et d’urgence. Un recount ne peut pas prendre deux ans…
Seriez-vous candidate à l’avenir, car on voit poindre un petit ventre qui en dit long sur une évolution de votre vie de famille ?
Je ne pense pas que la vie de famille nous empêche, par rapport à notre vie professionnelle et encore moins la vie politique, d’avancer. Les années précédentes, les candidates ont montré que la vie familiale ne les empêchait pas d’être candidate. Je me souviens de Mireille Martin au N°4 et plus récemment de Joanna (Bérenger). Au contraire, cela montre que la femme peut faire de la politique active. Quant à la forme que prend notre carrière après une élection, c’est une réflexion intériorisée, car on va dans une élection soit pour gagner soit perdre en gardant toujours la tête stable et sachant que même avec une défaite, on est toujours là et on se bat toujours. Car à la fin, on a un but, on a une idéologie, on a des objectifs pour le pays. Une défaite ne bloque pas la vie politique d’une personne.
Après ces épisodes malheureux, avez-vous le même regard sur la tenue des élections à Maurice ?
J’ai participé à deux élections municipales et une générale, et je peux dire que les lacunes étaient flagrantes. Mais c’est vrai que le regard que l’on porte aujourd’hui sur l’organisation des élections est différent. On parle de démocratie, de la voix du peuple, mais après ce qu’on a vu avec le recount, lorsqu’on se pose la même question, on n’a pas les mêmes réponses que nous avions avant.
Et sur le rôle et le traitement des femmes dans le monde politique, vous pensez quoi ?
Je pense que les femmes sont amenées à s’engager de plus en plus dans la politique. C’est vrai qu’en tant que femme, on voit les choses différemment, on a cette sensibilité qui est aussi un atout dans la politique. On dit que la population féminine est plus importante en nombre que celle des hommes, mais l’engagement des femmes est très faible encore. Il faut continuer à encourager les femmes à faire de la politique active. Pour moi, le futur du pays va dépendre aussi de l’engagement des femmes.
Pour répondre au traitement que l’on réserve aux femmes, je dirai que je ne pense pas que d’avoir été candidate au N°19, d’avoir vécu un recount ont un rapport à ma féminité et mon statut de femme. Cela aurait pu être un autre candidat. Cependant, je dois remercier d’avoir le soutien de tout un chacun au niveau du MMM (larmes dans les yeux et trémolos dans la voix) : que ce soit au niveau du leadership, que ce soit par rapport aux avocats, aux militants… Il y a un réel élan de solidarité envers moi. Je ressens cette ardeur me disant : Jenny, ne lâche pas prise, on est derrière toi, tu n’es pas seule. Et cela m’a beaucoup aidée. Je ne sais pas si c’est le fait d’être femme qui a poussé à plus de soutien, si c’est ça, tant mieux, mais une large partie de cet encouragement et cette ténacité relève ntsimplement de la nature militante.
Venons-en maintenant à votre parti, le MMM. Longtemps un leader, aujourd’hui jouant un rôle moins majeur sur l’échiquier politique. Même dans ses bastions, le MMM a du mal à s’imposer. Quelle en est la raison selon vous ?
Vous trouvez ? Mais moi je me base surtout par rapport aux valeurs du MMM (larmes à nouveau dans les yeux). J’ai adhéré au MMM par rapport à ses valeurs et je pense que le MMM n’a pas changé. (Respiration profonde, et voix tremblotante…) La population a changé. Les aspirations du peuple ont changé et certainement ce changement implique un changement au niveau des partis. Le MMM a une histoire. Le MMM a une histoire très forte. (Étincelles dans les yeux, voix très posée et ferme). Mais comme je le disais, la démographie du pays a changé. Et certainement on doit aussi évoluer par rapport à ce que le peuple attend. Mais le MMM a toujours ses valeurs et ce sont ces valeurs qui font cette force. Je suis entrée au MMM très jeune (nouvelles larmes dans les yeux) par l’aile jeune et le MMM reste cette fondation, cette université, cette école de politique, du militantisme… Et ça, je ne pense pas qu’on ne peut pas dire le contraire. C’est quelque chose qui est fondamental. Pour faire de la politique, pour comprendre la politique, c’est le MMM.
Vous avez, vous-même, dû prendre du recul avec votre parti alors que vous étiez le leader de l’aile féminine. Et vous êtes rentrée dans le rang avec la promesse d’une investiture. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut bien comprendre… Je n’ai pas pris du recul, parce que j’étais toujours dans le parti. À un moment (larmes aux yeux et voix cassée), j’ai dû prendre une décision pour dire, voilà, si l’aile féminine, qui est aussi une structure qui fait partie du parti, qui est dans le Bureau politique, qui est partie prenante à tout ce qui est décisionnel par rapport au parti, je pense que j’avais mon mot à dire en tant que présidente de l’aile féminine. La femme avait sa place en tant que femme dans la politique et je l’ai bien fait comprendre. J’ai eu une discussion avec mon leader par rapport au rôle de l’aile féminine, de la présidente de l’aile féminine et par rapport à mon engagement personnel dans le parti. Je pense que mon leader a bien compris. C’était une discussion, en interne, dans le respect de toutes les règles et structures de mon parti. Les choses ont été faites en interne, j’ai eu des discussions avec mon leader, avec les membres de l’aile féminine, avec le Bureau politique et le Comité central et les principes ont été respectés.
Ne pensez-vous pas que le recul du MMM est son incapacité à renouveler Ses cadres et d’avoir perdu ceux qui s’opposaient à la hiérarchie ?
Je ne comprends pas pourquoi vous parlez de recul du MMM. Si c’est vous qui le voyez, moi je ne le vois pas ainsi. Avec les dernières élections, qui se sont déroulées avec très peu de votants, avec des anomalies, avec des problèmes sur la liste électorale, que ce soit au N°19, ou sur le plan national, on ne peut pas venir dire que le MMM a fait du recul. Quant aux démissionnaires, c’est leur décision, mais les démissionnaires ont permis de nouveaux adhérents. Qui dit nouveaux adhérents dit rajeunissement du parti. Cela veut dire la chance à d’autres personnes de rejoindre le parti et je pense que rien que cela montre que le MMM est en train de se renouveler. Se renouveler par rapport au nombre de femmes qui sont dans le parti, se renouveler par rapport au nombre de jeunes dans le parti. Aujourd’hui, la situation sanitaire fait qu’on ne peut pas organiser de grands événements, de grands rassemblements. Tout a changé. Mais cela ne veut pas dire qu’on n’a pas évolué et qu’on n’a pas de nouveaux adhérents. C’est le cas pour tous les partis. Peut-être qu’on va devoir revoir notre manière de communiquer aux militants et de rassembler.
Pensez-vous que le MMM est condamné à faire partie des alliances au point de redonner une chance à Navin Ramgoolam de rebondir après les casseroles de son dernier mandat ?
Je n’aime pas le mot condamné. On n’est jamais condamné, on a toujours un choix. Et je pense que mon leader a bien montré qu’on a toujours un choix. Depuis 2019, on a une entente politique. On a eu un refroidissement et maintenant on a une relance. Notre stratégie politique est basé sur notre objectif qui est de sauver le pays. Si sauver le pays implique qu’on fasse des concessions ou qu’on revoie notre artillerie, ce sont des sacrifices par rapport au pays.
Est-ce que c’est le seul moyen de se débarrasser du MSM et ses alliés — de nombreux ex-MMM — au pouvoir où les abus de toutes sortes sont commis ?
C’est ce qu’on est en train de voir. Nou pa pou les okenn lespas ou chemin libre par rapport à l’adversaire, et pour que les abus continuent. Nous sommes parvenus à un niveau très grave dans le pays. Lorsque nous parlons de démocratie et que l’on voit que cela n’est pas respecté, lorsque nous observons la violation des lois, de nos institutions…, nous nous retrouvons dans une situation très grave. Peut-être que nous ne nous en rendons pas compte, parce que nous sommes bloqués par notre vie de tous les jours, mais avec des situations comme la St Louis Gate, ou le scandale Molnupiravir, entre autres, on se pose la question : quelle est la limite de ce gouvernement dans sa gestion du pays ? Mo pa krwar ki pou kapav permet nou les li fer, les li fer, les li fer ek pans zis nou, koumadir nou bloke dan enn tour san ki nou kapav ouver laport kot à ce moment-là nou ti pou kapav fer kikzoz de mieux.
Faut-il revoir le système politique ? Que proposez-vous ?
Après 53 ans, certainement. Plus tôt j’ai parlé de l’évolution de la population, des Mauriciens. Le système date d’il y a plus de 50 ans et aujourd’hui ce n’est plus la même chose. Nous avions un système d’avant l’indépendance par rapport à un système de vote. Posons-nous la question : est-il toujours pertinent, répond-il toujours aux besoins de la population ? Ne faut-il pas un changement ? Je pense que nous sommes à un moment où il faut revoir ce système et certainement s’adapter à la population et non pas continuer avec un système rien que pour certains.
Que répondez au gouvernement qui, avec Ivan Collendavelloo et d’autres comme Maneesh Gobin, vous fait un appel du pied en vous disant « kit sa MMM-la ! » ?
Je crois que la hantise du gouvernement c’est le MMM. (Rires) Tann zot koz MMM… Même s’ils critiquent autant le MMM, mo panse zot pas dormi avek MMM. Je suis une militante et vraiment pour moi, si c’est pour travailler, c’est travailler pour le pays. Mais est-ce que ce qu’ils font aujourd’hui c’est travailler pour le pays ? Il y a beaucoup qui se disent militants, me nou pas zis dire ki nou militan, nou azir kouma militan. J’ai toujours entendu les anciens du MMM dire : militant se enn ras, et il faut vivre les valeurs du militantisme. Je retourne la question aux camarades qui ont quitté le MMM : eski to pe viv sa valeur militantisme ki to ti finn prone la pou touzour ? Je le redis, moi aujourd’hui, je veux vivre ces valeurs, car je crois que c’est cela l’avenir d’un pays. C’est cela qui va bâtir davantage l’île Maurice.