En marge de la COP26, qui se tient à Glasgow, Le Mauricien a rencontré Vikash Munbodhe, de l’Albion Fisheries Research Centre. Ce dernier parle avec passion de la recherche consacrée aux espèces rares de coraux et de poissons de récifs. Pour lui, aucun doute : la protection et la conservation des écosystèmes marins contre les impacts sans précédent du changement climatique figurent parmi les plus grands défis du millénaire.
Conjointement avec d’autres scientifiques locaux et internationaux, vous avez publié un article consacré au statut des espèces rares de coraux et de poissons de récifs, de même que de perceptions environnementales associées à Maurice. Pouvez-vous nous en parler ?
En effet, il s’agit d’une étude publiée dans la revue Conservation Science and Practice en septembre dernier, et qui, nous l’espérons, apportera un éclairage supplémentaire sur ces espèces rares de coraux et de poissons de récifs. Ce travail a été entrepris par des scientifiques locaux, régionaux et internationaux, notamment Tim McClanahan , Josheena Naggea, Nyawira Muthiga, Ranjeet Bhagooli et moi-même.
L’article récemment publié est le produit du travail collaboratif présentant Maurice comme un point chaud de la biodiversité marine. Le travail comprend une évaluation écologique, une étude sur le terrain des poissons coralliens et récifaux endémiques et rares autour de l’île, et la perception des communautés côtières vis-à-vis de l’environnement en général, en mettant davantage l’accent sur les espèces rares et endémiques.
Dans l’ensemble, cette étude a réuni des spécialistes des sciences sociales, des chercheurs, des communautés côtières, des centres de plongée et des ONG afin de promouvoir la sensibilisation et de proposer des informations scientifiques pour une meilleure stratégie de conservation marine.
À quel titre avez-vous participé à cette étude ?
Je prépare un doctorat à temps partiel à l’Université de Maurice et mène mes recherches sur les poissons coralliens et récifaux endémiques et rares à Maurice et à Rodrigues. Mes travaux sont supervisés par le Dr Bhagooli (UoM), le Dr McClanahan (USA) et le Dr Muthiga (Kenya).
Sur le plan professionnel, je suis Senior Scientific Officer à l’Albion Fishing Centre, qui tombe sous la tutelle du ministère de l’Économie bleue, des Ressources marines, des Pêches et de la Navigation. Dans ce contexte, je voudrais remercier le ministère de m’avoir accordé l’autorisation officielle de parler à la presse et de sensibiliser les gens sur la conservation marine et au statut des poissons coralliens et récifaux endémiques et rares de Maurice.
Vous avez donc une longue expérience dans le domaine de la recherche halieutique…
J’ai plus de huit ans d’expérience dans la gestion des ressources halieutiques et la conservation marine. J’ai eu l’occasion de diriger des projets de recherche halieutiques, tels que la cartographie des ressources et des études écologiques pour l’approche écosystémique des pêches, ainsi que des études biologiques pour mieux comprendre les pêches côtières afin de renforcer les politiques de pêche et les stratégies de gestion des ressources.
Nous avons effectué des relevés pour évaluer la présence et l’abondance d’espèces marines à des fins d’utilisation potentielle, telles que les oursins, le concombre de mer et le poulpe, afin de déterminer le niveau d’exploitation pour les mesures de gestion en conséquence.
Dans l’ensemble, mon objectif est de fournir des informations scientifiques et fondées sur la recherche pour une formulation appropriée des politiques et un cadre juridique et une réglementation améliorée pour l’exploitation durable des ressources halieutiques, tout en assurant l’intégrité écologique pour un développement socio-économique équitable.
Quelle est la particularité des espèces marines présentes dans les eaux mauriciennes ?
La nature isolée de Maurice entraîne le plus haut niveau d’endémisme (une espèce originaire d’un seul emplacement géographique défini, NdlR) des poissons dans tout l’océan Indien occidental. En fait, la région est la quatrième plus haute région marine pour l’endémisme parmi tous les récifs du monde. Malgré cette distinction, on sait relativement peu de choses sur ces espèces rares qui habitent Maurice. La nouvelle étude, publiée dans la revue Conservation Science and Practice, a pour but d’apporter un éclairage supplémentaire sur ces espèces.
Pouvez-vous nous donner plus de détails ? Quels sont les points forts de l’étude ?
De nombreuses espèces sont uniques et portent le nom de Maurice, telles que le Mauritian Gregory, le Mauritian Anemonefish, et les Mauritian et Creole Damselfish. Ces deux dernières espèces n’ont pas été trouvées dans l’étude de 119 sites et pourraient donc être éteintes, en attendant de futures études de confirmation.
L’étude met également en lumière le fait qu’il existe de nombreuses menaces potentielles pour ces espèces. D’autant que la plupart des espèces ont de petites populations, des habitats limités et sont limitées à certaines parties de l’île. Cela signifie que d’autres espèces endémiques peuvent être à haut risque d’extinctions supplémentaires.
L’étude a adopté une approche unique en évaluant les perceptions de 1 000 Mauriciens dans 27 villages sur leurs points de vue sur l’environnement et la conservation des espèces endémiques, comme le Mauritian Gregory. Maurice a une grande industrie de la plongée. D’ailleurs, 11 organisations ont participé aux côtés d’Ong marines locales et de nombreux étudiants universitaires ont rejoint cette étude. Cet effort important a permis d’effectuer une évaluation à l’échelle nationale des coraux et des poissons de récifs rares et endémiques, ainsi que des perceptions de l’environnement par les gens.
Comment sont répartis ces poissons endémiques ?
Parmi les dix poissons endémiques étudiés, les deux espèces rares relativement abondantes étaient le grégoire mauricien et le poisson-clown mauricien. Toutes les autres espèces étaient rares et trouvées en faible densité, tandis que deux espèces, Mauritian et Creole Damselfish, n’ont pas été observées du tout au cours de l’étude approfondie.
Quid des coraux ?
Six espèces de coraux étudiées sont présentes uniquement dans l’océan Indien occidental, mais pas seulement à l’île Maurice. Outre Acropora branchi et Pocillopora indiania, les quatre autres coraux étudiés n’étaient pas abondants. À ce stade, Maurice ne peut pas être considérée comme un sanctuaire pour les espèces de coraux que l’on ne trouve que dans l’océan Indien occidental.
Les études montrent qu’il est maintenant nécessaire de concentrer les futurs travaux de conservation sur les cinq espèces qui n’ont pas été trouvées dans les deux études, à savoir trois coraux (Plerogyra, Herpolitha et Echinopora) et deux poissons (Mauritian et Creole Damselfish). La Citizen Science n’a jamais été pratiquée auparavant à une échelle nationale pour évaluer le statut de ces espèces endémiques spéciales.
L’espoir est que ce programme de Citizen Science, avec l’aide continue de l’industrie locale de la plongée, des ONG de conservation marine et des universités, puisse aider à découvrir si les espèces de coraux et de poissons sont manquantes. Elles pourraient être présentes ailleurs à Maurice ou, éventuellement, dans des endroits voisins, comme à La Réunion ou dans le nord de Madagascar. Si elles sont trouvées, elles pourraient être identifiées, multipliées et transplantées dans des endroits sûrs, ou conservées dans des aquariums pour aider à assurer la survie continue de ces espèces rares.
Pouvez-vous nous dire l’importance des récifs coralliens ?
Les récifs coralliens, les herbiers marins et les mangroves sont l’écosystème marin le plus complexe et biologiquement diversifié de la planète. Ces systèmes fournissent des services économiques, environnementaux et sociaux à des millions de personnes.
À l’échelle mondiale, la conservation et la gestion de l’écosystème des récifs coralliens n’ont pas encore été optimisées. La santé et l’existence continue des écosystèmes marins sont constamment menacées par les impacts croissants des activités induites par l’homme, qui sont souvent liées à la pression de la pêche, aux activités touristiques, à la destruction de l’habitat et au développement côtier, parmi lesquelles les récifs coralliens sont constamment menacés par le changement climatique mondial et les activités anthropiques continues.
De même, les récifs de Maurice sont soumis à une pression importante due à une combinaison d’impacts naturels et humains. Un déclin progressif de la couverture corallienne a été observé après l’événement du blanchissement des coraux de 1998. Depuis lors, avec l’intensité et la gravité croissantes des événements El Nino successifs et les activités terrestres persistantes, notamment la pêche, le développement côtier, les activités touristiques, la pollution de l’eau, la prolifération des algues, la sédimentation, entre autres, la dégradation des récifs coralliens a été exacerbée.
Cette situation qui concerne la gestion des espèces rares et endémiques est mise en exergue dans l’étude publiée dans Conservation Science and Practice. Cette étude constate textuellement que Maurice est confrontée à de nombreux problèmes qui menacent ses écosystèmes récifaux. Il s’agit notamment de la mortalité des coraux et de la perte de complexité structurelle, principalement en raison de la période prolongée de stress thermique et des perturbations humaines, y compris la dégradation des bassins-versants due à l’agriculture intense et au développement côtier, à la pêche et aux dommages causés aux coraux par les plongeurs et les bateaux.
Par exemple, le trafic maritime et les menaces de déversement d’hydrocarbures ont augmenté de manière aiguë après cette enquête lorsque le navire japonais MV Wakashio s’est échoué sur un récif corallien le 6 août 2020 dans la région de Pointe-D’Esny et a laissé échapper 800 tonnes de pétrole brut.
Le tourisme côtier a atteint 1,9 million de touristes en 2019 avant la fermeture du Covid-19 en 2020. Le tourisme maritime a accru la diversification des activités liées à la mer avec de nombreuses activités de sports nautiques et les conflits associés. Ainsi, le nombre d’hôtels, de résidences touristiques et de maisons d’hôtes a proliféré avec des permis de construire passant de 367 permis en 2000 à 1 162 en 2011.
Enfin, il y avait 2 000 pêcheurs enregistrés, pêchant environ 800 tonnes métriques de poissons par an, qui sont principalement destinés au marché touristique et local. Toutes ces perturbations locales se produisent ainsi que l’augmentation continue du stress thermique épisodique et l’instabilité économique et touristique mondiale. Pourtant, les parties prenantes sont très préoccupées et les valeurs propres à l’emplacement en matière d’environnement peuvent être exploitées pour aider à relever les défis environnementaux.
Comment se présente la politique gouvernementale à ce niveau ?
En réponse à ces impacts, le gouvernement mauricien a déployé de nombreux efforts pour la protection et la conservation des écosystèmes marins. La plupart des impacts induits par l’homme sont progressivement traités aux niveaux local et national par le biais de politiques, de réglementations et de campagnes de sensibilisation, en collaboration avec les différentes parties prenantes impliquées dans la conservation marine.
À Maurice, chaque citoyen est relié à la mer d’une manière ou d’une autre. L’île Maurice est l’une des destinations touristiques les plus attrayantes et elle est également bien connue pour ses plages de sable blanc, ses lagons et ses magnifiques coraux exotiques et ses poissons de récifs. En outre, les ressources marines sont une source majeure de revenus pour les habitants côtiers en termes d’activités de pêche et de tourisme, tandis qu’écologiquement, les écosystèmes marins abritent des milliers et des milliers d’animaux marins importants dans le cycle des nutriments, la réduction de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, la protection du littoral contre l’érosion des plages, les tsunamis et les fortes vagues et surtensions au large des côtes.
Comment la COP 26 vous interpelle-t-elle ?
Il est capital de tout faire pour freiner le réchauffement climatique. Une hausse de 2 °C pourrait se révéler fatale pour les espèces coralliennes. On ne sait si elles pourront s’adapter à une hausse sensible de température.
Dans l’ensemble, la protection et la conservation des écosystèmes marins contre les impacts sans précédent du changement climatique comptent parmi les plus grands défis du millénaire. Néanmoins, grâce à une approche consultative et collaborative, et à une vigoureuse campagne de sensibilisation, les écosystèmes marins peuvent être sauvés. Il est donc crucial de renforcer les mesures de gestion des récifs et de proposer de nouvelles stratégies adaptatives et résilientes au climat pour que tous les écosystèmes marins continuent de jouer leur rôle écologique et socio-économique.
En tant que tel, à l’ère des changements climatiques, la préservation de l’intégrité de la biodiversité marine est de la plus haute importance, tout en promouvant l’utilisation durable des ressources marines et en respectant les valeurs socioécologiques.