Fin 2014, alors que la campagne électorale battait son plein, sir Anerood Jugnauth profitait d’un meeting pour annoncer à ses partisans qu’une fois élu, il mettrait fin, une fois pour toutes, à la « nasion zougader », rappelant, avec raison il faut l’avouer, les dommages irréversibles occasionnés par les jeux de hasard sur le budget de ceux qui s’y adonnent, interférant ainsi sur la cohésion sociale et provoquant d’inutiles endette- ments. Ce faisant, il prenait pour preuve qu’un nombre de plus en plus élevé de familles, toutes couches sociales confondues, se retrouvaient enlisées dans la spirale de la pauvreté après avoir succombé à la tentation du gain facile. Disons-le d’emblée, pas question ici de faire le procès de ce type de jeux mais, plutôt, de faire apparaître que, sur ce point, les promesses n’auront pas été tenues.
Tout avait pourtant bien commencé. Ainsi, lorsque l’Alliance Lepep est arrivée au pouvoir, l’ancien Premier ministre et ac- tuel ministre mentor avait mis un point d’honneur à honorer son engagement, annonçant très rapidement le retrait des cartes à gratter, et dont l’émission était alors assurée par Lot- totech. Ce faisant, cette dernière compagnie s’était vite retrou- vée face à de sévères pertes sèches, en sus de l’obligation de licencier une vingtaine de personnes, qui assuraient jusque-là le département à charge desdites cartes à gratter. Même si l’on ne peut évidemment que regretter la mise sur le carreau de ces employés de Lottotech, il semblait néanmoins, une fois n’est pas coutume, que le nouveau gouvernement élu avait effectivement décidé d’entamer un réel virage dans la manière de concevoir le jeu de hasard à Maurice. Éphémère illusion, il faut l’avouer, car cela aura finalement été l’unique mesure prise en ce sens.
En fait, c’est à l’exact contraire auquel nous aurons assisté depuis. Évidemment, l’on ne pouvait penser que l’on toucherait à la Loterie Verte, quand bien même cette dernière finirait par changer d’opérateur. Il faut dire que ce type de tombola, plus encore que du simple jeu, tient assurément du folklore local. Tout comme les sacro-saintes courses hippiques, qui sont deve- nues depuis des lustres plus qu’un simple divertissement, pra- tiquement un patrimoine qu’il convient avant tout de protéger. Pour peu, les autorités, guidées par les gains mirobolants que celles-ci drainent, plus pour l’État évidemment que pour les parieurs, l’on serait même presque tenté d’en demander l’ins- cription au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco. Histoire de s’assurer que les bénéfices générés resteront encore longtemps acquis. Au final, là encore, au lieu de voir naître une réelle volonté de durcir les lois dans le monde hippique, l’on aura même, depuis peu, accordé l’accès au pays au PMU en délivrant très rapidement à ce dernier l’indispensable permis d’opérer. Histoire, une fois encore, d’augmenter encore un peu plus la cagnotte de l’État.
Car ne nous leurrons pas : c’est bien cet argent facile – que l’on peut comparer à une forme d’impôt, certes non obligatoire mais auquel nous aurons tous souscrit, si ce n’est sur une base régulière tout au moins un jour ou l’autre – qui motive nos décideurs. La dernière preuve a d’ailleurs été apportée par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, lors de son discours du Budget 2018/19, lorsque ce dernier aura annoncé la ponction automatique de 10% de taxe sur les gains supérieurs à Rs 100 000 pour les actuels détenteurs des six numéros correspondant au jackpot du Loto. Une manne providentielle qu’il convenait en outre de multiplier, un peu comme les pains d’un certain livre. Aussi les autorités ont-elles agréé, à la demande de la Loterie Nationale, l’organisation d’un second tirage hebdoma- daire du Loto avec, pour seul leitmotiv, l’équation élémentaire : deux tirages, deux rentes. À cela, nous devrons aussi bientôt ajouter les gains rapportés à l’État par la création, contenue dans le Finance Bill, d’une nouvelle licence, l’Hotel Casino Operator, permettant aux hôtels d’installer dans leurs établis- sements des machines de jeux et à sous tout comme dans les casinos traditionnels.
Encore une fois, rappelons que l’objet, ici, n’est pas la pertinence, ou son absence, du démantèlement des jeux de hasard, mais de mettre l’accent sur le contraste entre les discours d’intention – affichés le plus souvent à la veille d’élections – et les actions, une fois les orateurs placés au pouvoir. Reste que le mandat du gouvernement n’est pas encore terminé. Aussi, à défaut de faire l’objet de véritables changements, les jeux de hasard mériteraient peut-être, à notre humble avis, tout au moins une campagne nationale de prévention, au même titre que pour la consommation de drogues, d’alcool ou de respect du code de la route. Mesure qui, dispensée à toutes les couches de la population, pourrait cette fois rapporter gros pour une mise, il faut l’avouer, plus que réduite.