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NITISH JOGANAH: Le temps de l’introspection

Tou Korek a été forgé à partir des expériences vécues par Nitish Joganah, des années Soley Ruz à ce jour. Pour marquer ses trente ans de carrière, il sort un “dix-titres” aussi beau que profond, rappelant ô combien riche a été son parcours. D’où l’excellent album qu’il propose sans qu’il n’ait eu à réinventer son style pour faire la transition vers la période actuelle. Dans une musique émotionnellement forte, il nous invite à l’introspection.
L’album qui sort cette semaine s’inscrit dans une démarche de continuité pour un artiste qui se considère surtout militant de la cause humaine. Pour passer d’une génération à l’autre, il n’a pas eu besoin de se réinventer ni de réadapter son style. Né de l’authenticité pour communiquer avec les âmes et les consciences, le style qui a porté la chanson engagée des années 70/80 s’est déjà avéré intemporel. Nitish Joganah l’accompagne dans la nouvelle ère au rythme d’une musique qui semble ne s’être jamais aussi bien portée.
Roots.
Pas de batterie, ni de synthé. On revient à la ravanne, au tabla, au tonga, aux bruitages, au violon, au piano, à la guitare, à l’harmonica, à la flûte, dans cette mélodie chaleureuse et rythmée qui compose la musique de base de Maurice. Elle resplendit de fraîcheur dans une densité restée intacte malgré les évolutions auxquelles elle a été soumise ces dernières années. Sans y apporter d’effets superflus, l’arrangement respecte cet esprit en offrant une belle mosaïque de rythmes créée par la diversité des instruments. La poésie de ce militant de la langue créole et du mauricianisme reste toujours acerbe et cinglante. Bien que souvent sombre, le tableau porte aussi les couleurs des richesses locales et de l’espoir qui demeure.
Faut-il vraiment préciser le sarcasme du titre ? Quiconque aura un peu suivi la carrière de Nitish Joganah l’aura tout de suite compris. Tou Korek dénonce avec virulence les faux-semblants derrière lesquels on se cache pour mieux ignorer ce qui se passe autour de soi. Après tant d’années à en balancer plein la gueule, Nitish Joganah n’a pas encore tout dit. Il ne pouvait en être autrement. Les changements observés au sein de la société le plongent dans une réflexion qu’il exprime par des compositions. Certains textes ont été presque improvisés. L’un d’eux ne lui a pris que deux heures, les autres ne lui ont demandé que quelques jours pour être peaufinés. Il faut aussi savoir que lorsqu’il compose, Nitish Joganah invente à la fois ses phrases et sa musique. Cette inspiration spontanée s’appuie sur les constats et les indignations d’un homme qui ne croit pas dans la langue de bois.
Lapay dan to lizie.
Officiellement, nous ne sommes plus en campagne électorale. Après avoir été associé au MMM, puis au PTr, “parce que j’espérais le changement pour le bien du peuple à travers eux”, Nitish Joganah choisit une voie indépendante. Sans prendre le ton d’un album politiquement engagé, Tou Korek veut inviter à l’introspection. “Ena enn koze ki dir : get lapay ki dan to lizie avan ! Cette fois, j’ai voulu m’adresser directement au peuple, qui a trop souvent tendance à jeter le blâme sur les politiciens et les autres en général pour des choses dont il est lui-même responsable. Ena boukou problem ki pran nesans dan lakaz, ki aroze par mama papa, ek kan li sorti lor sime, li exploze kouma bom.”
Souvent sévère dans ses propos, Nitish Joganah évite le ton du moraliste, préférant inviter tout un chacun à réfléchir sur ses responsabilités. “Nous devons prendre conscience de cela parce que nous avons le pouvoir de changer les choses. La solution est entre nos mains. Nou bizin aprann sanz nou regar.” Il met en garde ceux qui se croient protégés par le confort. “D’une manière ou d’une autre, la misère dans laquelle ils auront volontairement abandonné leurs voisins les rattrapera.” Il se dit aussi convaincu que l’on ne peut prétendre au bonheur tant que le sentiment n’est pas unanime : “Comment peut-on se dire heureux quand, juste à côté, quelqu’un vit dans la misère ?”
Contre l’injustice.
Tou Korekaborde la spirale infernale du jeu, le drame de l’endettement, les souffrances de l’exil, les disparités sociales, la souffrance silencieuse d’hommes persécutés, la manipulation au nom de la religion (qui, entre de mauvaises mains, sert la division), le culte de l’argent. Tout n’est pas noir, puisqu’il y a aussi la beauté de la nature, le pouvoir réconciliateur de la musique et ces autres valeurs dans lesquelles on a raison de croire.
Qu’il lui faille se répéter ne semble pas le déranger. Il était un adolescent quand il a pris conscience de l’injustice, et il s’était senti interpellé. “J’aurais pu avoir choisi une autre carrière qui m’aurait rapporté de l’argent. Mais j’ai voulu m’engager contre l’injustice dans l’espoir de contribuer à faire changer les choses afin que chacun puisse aspirer au bonheur.”
Trente ans dans la chanson engagée lui ont rapporté “enn ta problem”, mais il retient aussi les nombreux moments de joie vécus. “Je n’ai aucun regret. Ces trente ans dans la musique m’ont permis d’acquérir une richesse humaine que rien d’autre m’aurait offert.” Si le communalisme, la division, l’égoïsme, l’individualisme et plusieurs des autres maux dénoncés demeurent, l’artiste conserve un sérieux optimisme : “Même s’il y a des choses qui n’ont pas changé, nous avons contribué à amener une réflexion et cela a eu une influence sur des individus. Le travail n’a pas été vain.” Nitish Joganah croit aussi en la nécessité de continuer le combat, parce que “Moris enn paradi. Li enn zoli pei. Nou ena tou isi… Me se so dimoun ki fer erer.”
Colère.
Nitish Joganah est toujours un homme en colère, “parce qu’on veut nous faire croire en des choses qui n’ont aucun sens. Et on finit par en faire des vérités que le peuple accepte”. Il crie pour que les ressentiments ne l’étouffent pas. C’est ce qui permet à ce grand romantique de se laisser aller vers des sentiments plus nobles. “Les gens me connaissent comme étant un homme qui est souvent en colère. Mais au fond, je suis quelqu’un de très sensible, au point de verser des larmes devant un film lorsqu’une scène me touche.” Il ne dévoilera pas davantage sur cet autre aspect de sa personnalité, sauf pour dire qu’avec le temps, il a appris à se retenir dans ses propos. Tout simplement parce qu’“il y a des choses que le peuple n’est pas encore prêt à entendre. Des vérités qui risquent de blesser ceux qui se refusent à les affronter. Le moment viendra pourtant où il faudra qu’ils se mettent à l’écoute pour permettre au pays d’avancer avec plus de sérénité”.
Pour cet album, Nitish Joganah a bénéficié du soutien de Zaid, Didier Baniaux, Maurice Antoinette, Alain Rémila, Alain Sandian, Rico Edouard, Noël Malabar, Sunil Dabee, Dany Aukhaj, Jayen Coollen, Jean-Paul Chrétien, Ganesen Kaliapermal, Tanesen Parapen, Ram Joganah, Vani Tirvengadum, Nancy Dérougère, Maya Juquel, Bruno Mooken, Rouben Gopal, Henriot Figaro, Richard Hein, Nicolas Tabanie, Bayen et Tikou Ramsamy.

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